Parachath Vaéra
Réflexion cartésienne et dimension surnaturelle
Rav Eliahou Elkaïm
Dans la paracha de cette semaine, il est question d’événements surnaturels. Quelle est la position de la Thora face à tout ce qui touche au magique, à la sorcellerie, à une dimension fantastique ?
Moïse, pour prouver qu’il est envoyé par D.ieu, fait des miracles devant Pharaon et ses magiciens : son bâton se transforme en serpent puis reprend sa forme initiale, sa main devient lépreuse puis guérit miraculeusement, enfin il envoie la première plaie, celle du sang.
Rachi, qui rapporte le Talmud (Ména’hot p. 85), explique que la réaction de Pharaon et sa suite fut de montrer que les magiciens d’Egypte étaient eux aussi capables d’effectuer de telles prouesses.
Et Pharaon ajoute : « Tu introduis de la paille dans un silo », métaphore pour indiquer à Moïse qu’il perd son temps, tentant d’impressionner des spécialistes en la matière ! Et en effet, l’Egypte était à l’époque, à la pointe des domaines de magie, sorcellerie et autres sciences surnaturelles.
Finalement, ce n’est qu’avec la troisième plaie (la vermine), un prodige qu’ils n’arrivèrent pas à égaler, que les magiciens égyptiens reconnurent la main divine : « Les devins dirent à Pharaon : Le doigt de D.ieu est là ! Mais le cœur de Pharaon persista et il ne les écouta point, comme l’avait dit l’Eternel.» (Exode 8 ; 15)
Toujours d’après Rachi, qui cite le Talmud (Sanhédrin p.67), les magiciens ne purent parvenir à imiter les prodiges de Moïse qu’en utilisant des moyens obscurs de magie noire, de sorcellerie, faisant appel aux démons. Il était très important pour les Egyptiens de pouvoir réaliser certains miracles, pour pouvoir arguer que ceux de Moïse étaient du même ordre.
En réalité, la Thora nous explique que les démons auxquels ils faisaient appel n’ont pas de prise sur les créatures d’une taille inférieure à un grain d’orge. C’est le cas de la vermine, des poux. C’est la raison pour laquelle ils ne purent réaliser le même prodige. Leur première réaction fut de reconnaître D.ieu, mais ensuite, Pharaon justifia son attitude en prétendant que Moïse était seulement un magicien plus expérimenté.
Quoiqu’il en soit, par le fait de parler de démons et de leurs pouvoirs, nos Sages reconnaissent l’existence de pouvoirs surnaturels, au service de magiciens païens.
Il ne s’agit donc pas de prestidigitations, ni de tours de passe-passe, mais bien de magie, d’une véritable science.
Par la suite, la Thora interdit l’usage de telles pratiques.
Nos Sages expliquent que la racine du mot « keshafim » (sorcellerie), est « ka’hash » (renier). Et ils poursuivent (‘Houlin 6b) que « ces forces ont été créées pour donner la possibilité à l’homme de renier l’existence de l’armée céleste » (Pamalia chel maala).
Dibouk et magie noire
A d’autres endroits, le Talmud donne des descriptions exhaustives des différentes formes d’éléments surnaturels (démons, magie noire…), ainsi que les directives pour éviter leur contact ou neutraliser leurs effets destructeurs (Pessa’him 110-113).
Il n’est pas besoin de remonter très loin dans notre passé pour trouver des descriptions claires et des témoignages solides de grands maîtres à propos d’événements surnaturels, comme notamment du Dibouk (âme errante s’incarnant dans un corps humain).
De nos jours, ces pratiques et ces phénomènes ne font plus partie de notre vie, et plus personne ne maîtrise de telles techniques.
De ce fait, d’aucuns viennent à remettre en cause le bien-fondé des textes sacrés et s’imaginent avoir à faire à des écrits fantaisistes.
Pourtant, l’un des fondements de notre foi est de croire, de façon totale et absolue, à tout ce qui est écrit dans la Thora de Moïse.
Douter d’une seule ligne est déjà considéré comme une atteinte aux fondements de notre foi (cf. les treize principes de la foi de Maïmonide).
Comment concilier cet aspect qui reconnaît l’existence d’éléments surnaturels et notre monde qui ne connaît que ce qui est rationnel, un monde où la main divine est cachée ?
C’est seulement en approfondissant notre compréhension du but de la création de l’homme que nous pourrons régler cette apparente difficulté.
Equilibre parfait
D’après nos maîtres, l’homme a été créé dans un but bien précis : celui de se rapprocher de son Créateur, en choisissant le chemin du Bien. Pour que son choix en soit réellement un, pour qu’il puisse retirer un mérite personnel de sa décision, il faut que le monde qui l’entoure soit en équilibre parfait entre le Bien et le Mal.
Ainsi, l’homme et lui seul, en son âme et conscience, devra discerner la Vérité dans ce brouillard, voulu et créé par D.ieu.
Si cette Vérité était trop flagrante, cela déséquilibrerait obligatoirement le principe fondamental du Libre Arbitre.
Mais alors, pourquoi nos ancêtres ont-ils vécu dans un monde où la dimension surnaturelle était plus apparente ?
Phénomènes merveilleux
A certaines périodes de l’histoire, il a été nécessaire de dévoiler l’existence de D.ieu et de son message.
Ce fut le cas lors de la révélation à Moïse, au moment des miracles de la sortie d’Egypte et de la révélation sinaïtique. Ensuite, il y eut les prophètes et les miracles permanents qui se produisaient au Temple de Jérusalem.
Mais ces phénomènes merveilleux, qui font apparaître la toute-puissance de D.ieu, comportent un risque important pour l’humanité toute entière : celui de réduire le Libre Arbitre, d’enlever à l’homme (qui voit la main divine) sa capacité de choix, enlevant ainsi son sens au but fondamental de la Création.
Pour éviter cette situation, il faut que les forces du Mal et du mensonge soit renforcées et soient dotées de pouvoirs surnaturels.
Ainsi, chaque période de notre histoire trouve un équilibre entre le Bien et le Mal, et l’homme doit par lui-même trouver le chemin de la Vérité.
Plus nous nous éloignons de la révélation du Mont Sinaï, et plus le monde se rapproche de la matière, s’éloignant de l’Esprit et n’ayant plus accès au dévoilement de la main divine.
Nos maîtres ayant de moins en moins un accès direct à l’esprit divin, il n’est donc plus nécessaire de doter les forces du mensonge d’une puissance spéciale.
C’est la raison pour laquelle notre génération, si matérialiste, ne connaît plus la magie et les autres forces surnaturelles dont disposaient les peuples païens.
Un témoignage inédit vient nous en donner confirmation. Rav Yaacov Kaminetsky, l’un des grands maîtres de la dernière génération, avait relaté qu’il avait vu dans sa jeunesse une lettre de Rav El’hanan Wasserman, rapportant une parole du ‘Hafetz ‘Haïm. Ces deux géants de Thora avaient extirpé un dibouk d’un corps. Et le ‘Hafetz ‘Haïm avait affirmé que cette affaire serait la dernière de l’histoire. Dans la mesure où le monde se dirige vers un matérialisme de plus en plus grand et s’éloigne de l’Esprit, cela retire toute raison d’être, et donc toute existence, aux forces surnaturelles. C’était l’objet de la lettre de Rav Wasserman et l’on peut trouver cette anecdote dans « Emeth leyaacov » (p.264).
Le Libre Arbitre va donc se porter de nos jours sur un autre terrain, celui de l’intellect pur.
Croyance aveugle
Notre époque nous offre la possibilité de voir le Créateur à travers les découvertes extraordinaires dans tous les domaines scientifiques, à travers la fantastique organisation de la nature que nous avons aujourd’hui les moyens d’observer et de comprendre.
D’un autre côté, un piège nous est tendu par le biais d’un matérialisme à outrance, soutenu par les possibilités presque sans limites de la technologie moderne. La croyance aveugle dans le génie humain est un contrepoids puissant contre la foi en D.ieu.
C’est ainsi que certains auteurs comprennent la polémique entre Maïmonide et le Gaon de Vilna. Le premier reniant l’existence des démons et de la magie, le second lui opposant tous les textes et Midrachim faisant cas de tels phénomènes.
Mais ce serait mal comprendre l’intention de Maïmonide. En effet, Maïmonide n’a jamais nié ces textes, mais son point de vue se rapporte à son époque, où déjà, la main divine était cachée, ce qui signifie, on l’a compris, que les démons et autres actes magiques n’existaient plus.
La parole de D.ieu est vraie à tout jamais.