Parachath Vayaqhel – Pequoudé

Un goût de paradis

A première vue, le travail est présenté dans la Thora comme une punition qui vient marquer une déchéance de statut. Et c’est ainsi qu’il est le plus souvent ressenti par les hommes. Pourtant, si l’on cherche derrière les apparences, le travail nous est donné par D.ieu pour une bien plus haute fonction…

La déchéance d’Adam après la faute inscrit le travail de l’homme comme malédiction. Le plan initial de la création définissait certes la tâche de l’homme : « D.ieu déposa Adam dans le jardin pour le travailler et le préserver» (Bereshit 2,15).

Mais ce travail avait un goût de paradis. Etre en charge du jardin d’Eden signifie le respect des 613 Mitsvot. Tout le labeur humain prend son sens à partir de la Mitsva, et grâce à elle, il n’est pas vain mais constructif. A partir de la faute, le labeur perd sa dignité, il est marque cuisante de la chute de l’humain : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front» ( Berechit 3,19).

Cette situation est-elle irrémédiable ? Existe-t-il une possibilité de retrouver dans le travail la noblesse de la vocation humaine ?

Le travail : malédiction ou bonheur ?

Le Chabbat permet la Rédemption du labeur humain. Il permet de renouer quelque peu avec la saveur du travail réel par lequel se construit l’homme. L’impact du Chabbat sur la relation de l’homme au travail n’est jamais égal ; il dépend de l’investissement du sujet, de l’intensité de son adhésion. L’analyse des versets permettra de distinguer deux niveaux essentiels.

Du labeur à la saveur : le miracle du chabbat

Le commandement du Chabbat est souligné à trois reprises. Les variations quant au thème du travail sont capitales.

La première mention indique une succession chronologique entre le temps du travail et celui du repos : « Durant six jours tu travailleras et tu auras fait tout ton travail et le septième jour c’est le Chabbat pour l’Eternel ton D.ieu » (Paraschat Yitro Shemot 20,9-10).

Déjà le tragique se dénoue, et la condamnation au labeur n’est pas le dernier mot de la condition humaine. Par delà le labeur cruel se dessine une ère de repos où l’homme peut pleinement renouer avec sa dignité d’antan. L’espace lumineux de la Mitsva relaie le temps difficile d’un travail vain. Pour autant, le moment du travail est encore ressenti comme pure malédiction et le bonheur du Chabbat est terni par la difficile semaine qui déjà s’annonce.

Notre Paracha introduit à partir de l’espace chabbatique une nouvelle dimension dans le rapport au travail : « Six jours durant le travail sera accompli et le septième jour sera saint pour vous» (Chemot 37,2).

Plus de trace du sujet laborieux qui s’acharne à une impitoyable besogne. On indique seulement que le travail sera accompli, comme s’il s’effectuait sans la participation ardue de l’homme. Cela sonne comme une promesse merveilleuse mais combien étrange. Le travail ne saurait se passer de travailleur !

Qu’à cela ne tienne ! Le Midrash signifie la modalité non laborieuse du travail : «Lorsque Israël se pliera à la volonté divine, son travail sera fait par les autres».

Malédiction du travail rejetée sur ceux qui refusent de renouer avec la véritable structure humaine. En tant qu’il se rattache à Adam, créature de D.ieu, Israël est libéré de l’asservissement servile. Le travail est pleinement intégré à l’espace de la Mitsva.

Ce retournement du travail relève de la catégorie de la sainteté. Sanctifier le monde c’est comprendre que tout peut être occasion d’une relation privilégiée avec D.ieu, ce que les gestes les plus anodins peuvent signifier comme témoignage de Sa présence.

La kédoucha

du Chabbat se déverse dans l’espace et le temps. Elle transforme le monde en lieu de coexistence avec D.ieu. Eden enfin retrouvé !

On peut respecter le Chabbat sans sentir pleinement son parfum de sainteté. Situation minimale évoquée dans le premier texte de la Parachat Yitro. Attitude honorable certes, qui ouvre déjà un horizon nouveau mais qui n’a pas la puissance requise pour renverser la malédiction du travail. Seule la mention de la kédoucha

dans le second énoncé permet de transformer le vain labeur en expérience de sainteté.

Quiconque dans son travail s’efforce à se hausser par delà la petitesse des ambitions et des passions pour retrouver toujours la volonté divine en aura fini avec la malédiction du travail. Homme libre !

Le lieu de toute sainteté

La sainteté du Chabbat, qui est appelée se déverser sur toutes choses, dépend donc de l’attitude des hommes. Il ne s’agit pas de répéter la fatale erreur d’Israël lors de la faute du veau d’or.

Veau érigé pour remplacer Moise qui manquait cruellement.

Absence vécue comme un drame comme si le lieu de la sainteté dans le monde s’était éteint.

Mais cette volonté démente de concrétiser la sainteté sur un objet montre une méconnaissance profonde de la kédoucha. Rien n’est saint (kadoch) en soi sauf D.ieu. Seul Sa présence sanctifie le monde. Tel le tabernacle (mikdash) sanctifié pour qu’il atteste de la présence divine. Présence retenue par les actions méritantes des hommes. Chassé par les fautes, D.ieu se retire, le tabernacle s’effondre. Titus peut rentrer avec une prostituée dans le saint des saints et n’être point blessé (cf. Guittin 56b) car la sainteté est partie.

Les tables de la loi sont écrites par la main divine. Pour autant elles n’ont aucune sainteté propre. Leur noblesse est fonction du comportement d’Israël. Lorsque le peuple fautera, elles s’effriteront comme de vulgaires débris d’argiles.

Aucun lieu, aucun moment aucune position ne sont assurés ! Tout dépend à chaque moment de l’attitude des hommes.

La sainteté grâce au comportement humain

Dans la paracha Tetsavé, les commentateurs nous expliquent que le Hochen était éclairé par la Che’hina, la présence divine. Aaron méritait le port du ‘Hochen, rapportent les commentateurs, grâce à la réjouissance qu’il a eue lorsqu’il a vu son frère Moise comme le verset le dit : « Déjà même il vient à ta rencontre, et à ta vue, il se réjouira dans son cœur. » (Exode 4 ; 14).

La sainteté de la présence divine éclairait le Hochen, mais cette sainteté ne provenait que du bon cœur d’Aaron. C’est en cela qu’ « Aaron portera sur son cœur, lorsqu’il entrera dans le sanctuaire, les noms des enfants d’Israël, inscrits sur le pectoral du jugement, commémoration perpétuelle devant le Seigneur. » (Exode 28 ; 29)

La volonté de donner

Nous voudrions proposer une autre perspective pour entendre l’étrange proposition d’un travail qui s’auto-accompli.

On raconte du Hafetz Haïm qu’il avait passé toute une soirée de Kippour à consoler un pauvre homme désespéré. Cela ne pouvait-il pas attendre le lendemain soir ? Comment celui pour qui chaque minute comptait, pouvait-il se résoudre à gaspiller les moments les plus précieux de l’année ?

C’est qu’au summum de la sainteté, le soir de Kippour, après quarante jours de préparation intense, le Hafetz Haim ressent le besoin de donner. D.ieu se révèle aux hommes comme le plus merveilleux mécène.

Il ne répond pas seulement aux besoins des hommes, il les suscite. Il offre la vie. Se faire l’image de D.ieu c’est savoir donner. Plus il y a de kedoucha, plus il y a un besoin de donner.

L’homme imprégné de sainteté ressent le besoin de donner. Des lors le travail n’apparaît plus comme un fardeau insupportable mais comme l’occasion unique d’œuvrer pour les autres. L’homme peine, mais le travail ne pèse pas comme une charge. Il n’est pas ressentit comme un labeur mais comme l’ultime dignité de l’humain.