Parachath Ki Tetsé

L’enfant rebelle, ou la raison d’être perdue

Rav Eliahou Elkaïm

Le sort qui attend l’enfant rebelle pourrait choquer par sa violence. Mais en réalité, c’est tout le sens de son existence qui est mis en péril par son comportement…

Dans la paracha de cette semaine, on nous décrit le châtiment réservé au ben sorer oumoré, le fils dévoyé et rebelle.

Une lecture superficielle des paroles de la Thora sur ce sujet pourrait révolter quelques esprits qui se disent modernes.

C’est seulement grâce aux écrits de nos maîtres, qui nous permettent une approche authentique et profonde, que nous allons découvrir la vision thoraïque de l’éducation et du concept de sa’har veonech, la rémunération divine et ses sanctions.

Plus encore, c’est la raison profonde de la création de l’homme sur terre qui va nous est dévoilée.

«Si un homme a un fils dévoyé et rebelle, qui n’écoute pas la voix de son père, ni la voix de sa mère, qu’ils le punissent, mais qu’il persiste à ne pas écouter.

Alors, son père et sa mère se saisiront de lui et l’amèneront devant les anciens de la ville, à la porte de sa localité.

Et ils diront aux anciens de sa ville : ‘Notre fils est dévoyé et rebelle, il n’écoute pas notre voix, c’est un viveur et un buveur.’

Alors, tous les habitants de sa ville le lapideront à mort et tu feras disparaître le mal du milieu de toi, et tout Israël entendra et craindra.» (Deutéronome 21 ; 18-21).

C’est seulement la loi orale, transmise de maître à élève depuis la révélation du Sinaï, qui nous apprend les conditions requises pour que cette terrible éventualité se réalise.

Le Talmud (Sanhédrin chapitre 8) précise toutes ces conditions, codifiées par Maïmonide.

Deux témoins

« L’enfant dévoyé et rebelle n’est puni que s’il a consommé de la viande et du vin avec gloutonnerie.

Beaucoup d’autres conditions sont requises et toutes sont issues de la Kabbala, transmission orale.

Il faut qu’il vole de l’argent à son père et qu’il achète à bas prix de la viande et du vin. Qu’il les consomme ensuite en dehors du domicile familial en compagnie d’une bande constituée exclusivement d’individus dévoyés.

Qu’il consomme la viande à peine cuite, comme le font les voleurs, et qu’il boive le vin tel un goinfre.

Qu’il mange en un coup une quantité correspondant au poids de cinquante dinar de viande, et qu’il boive en un coup un demi-loug (une certaine quantité) de vin.

(…) S’il mange de la viande crue, il n’est pas passible de ce châtiment, car cela ne peut pas devenir une habitude.

(…) C’est seulement s’il a volé et consommé entre l’âge de treize ans et treize ans et trois mois. (…)

Comment se passe le processus de ben soré oumoré ?

Il faut que son père et sa mère l’amènent une première fois devant un Beth Din (tribunal rabbinique) composé de trois membres. Ils déclarent qu’ils ont un fils dévoyé et rebelle que deux témoins ont vu agir comme précisé plus haut. Et que ces deux témoins, avant qu’il ne vole, l’aient prévenu du châtiment qu’il encourait.

La première fois, il sera puni par malkouth (trente-neuf coups de fouet).

S’il récidive, ses parents l’emmèneront devant un tribunal composé cette fois de vingt-trois membres et il sera passible de lapidation.

Pour cela, il faut que le tribunal ait entendu le témoignage de deux témoins qui l’ont vu, et qui l’ont prévenu du risque de lapidation qu’il prenait, et cela avant qu’il ne commette le deuxième vol.

(…) Si l’un des deux parents refuse de le faire comparaître devant le tribunal, l’enfant n’est pas passible de cette peine (…). » (Yad Ha’hazaka Hil’hoth Mamrim, chapitre 7).

On le voit, les conditions, fixées par la loi orale, rendent la condamnation du ben sorer oumoré quasiment inapplicable en pratique.

Le Talmud (Sanhédrin 71 a), cite d’ailleurs une discussion entre les Tanaïm à ce sujet :

« Rabbi Yéhouda dit : ‘Des mots de la Thora, on peut déduire que le ben sorer oumoré ne sera châtié que si son père ou sa mère ont la même voix, le même aspect et la même taille, conditions impossibles à imaginer.

Cette opinion correspond à celle qui est citée dans la beraïta (texte des Tanaïm): « Le cas du ben sorer oumoré n’a jamais existé et n’existera jamais. Et il a été cité dans la Thora uniquement pour que l’étude approfondie du texte apporte un mérite à ceux qui s’y adonneront.

Sur sa tombe

Une autre raison est citée pour appuyer cette opinion par Rabbi Shimon : « Est-il concevable que des parents amènent leur enfant au tribunal pour le faire condamner à mort parce qu’il a volé et consommé un tartimar (le poids de cinquante dinar) de viande et un demi-loug de vin ?

Evidemment, ce cas n’a jamais existé et n’existera jamais dans la pratique. Et il n’a été écrit dans la Thora que dans le but de l’étudier et le comprendre.

Rabbi Yonatan, pour sa part, dit : « J’ai connu un cas de ben sorer oumoré et je me suis même assis sur sa tombe. »

Il est clair que la Thora ne s’embarrasserait pas à citer un cas imaginaire, si ce n’était dans le but que son étude nous apporte des enseignements d’une importance capitale, qui nous concerne directement.

Rabbi Eiziq Sher (Leketh Si’hoth Moussar), fait à ce sujet une remarque très intéressante.

Les derniers mots du texte sont : « Et tout Israël entendra et craindra ». Ces mots fixent une réalité, et ne viennent pas nous indiquer une loi supplémentaire.

Comment peut-on un craindre un événement qui n’aura jamais lieu ?

Encore une fois, ce sont les enseignements tirés de ce texte qui doivent éveiller la crainte du peuple juif.

Si ce sont les enseignements qui sont primordiaux, quels sont-ils ?

Et comment comprendre la terrible sévérité de la Thora à l’égard de ce fils dévoyé et rebelle ?

D.ieu a entendu

Le Talmud (72a) précise : « Rabbi Yossi Hagalili dit : ‘Est-ce seulement parce qu’il a mangé un tartimar de viande et un demi-long de vin que la Thora a fixé que cet enfant soit lapidé ?

Non, la Thora a exactement prévu où va arriver cet enfant. Il finira par exploiter toutes les ressources de ses parents. Et lorsqu’elles seront épuisées, il guettera au carrefour les passants pour les voler et les tuer.

La Thora dit qu’il est préférable que cet enfant meure innocent plutôt que coupable.’ »

Deux éléments fondamentaux se dégagent de ce passage :

1. La Thora fixe que si l’enfant se conduit comme il est décrit à l’âge de treize ans, il est inévitable qu’il devienne un délinquant, un assassin.

2. S’il est absolument certain qu’une personne arrive à ce stade, il vaut mieux le châtier en état d’innocence. Cela est préférable que d’attendre ses méfaits.

Les commentateurs s’étonnent tous de la contradiction entre ce deuxième enseignement et un texte du Talmud (Roch Hachana 16b) :

« Rabbi Izt’hak dit : ‘Le jugement divin prend seulement en considération les actes déjà accomplis, comme il est écrit au sujet d’Ismaël : « D.ieu entendit le gémissement de l’enfant. Un messager du Seigneur appela Agar du haut des cieux et lui dit : ‘Qu’as-tu Agar ? Sois sans crainte, car D.ieu a entendu la voix de l’enfant s’élever de l’endroit où il gît.’» (Genèse 21 ; 17)

Le terme baacher hou cham (littéralement, l’endroit où il gît), est traduit différemment par rabbi Yts’hak : il ne s’agit pas d’un lieu dans l’espace mais d’un état moral.

D.ieu a vu l’état où il se trouve sur le plan éthique.

De l’eau et du pain

Cela fait allusion au Midrach qui raconte la réponse de D.ieu aux anges (cf. Rachi, Genèse ad hoc) :

« Les anges sont venus dire à D.ieu : ‘Maître de ce monde, tu vas dévoiler l’endroit d’un puits à celui dont les descendants vont causer la mort de Tes enfants, et par-là le sauver ?’

Car il est écrit (Isaïe 21 ; 13-14) : ‘Oracle contre l’Arabie. Dans les forêts de l’Arabie, passez la nuit, caravanes de Dedan, et vous, habitants du pays de Téma, portez de l’eau au devant de ceux qui ont soif, présentez aux fugitifs le pain qu’ils réclament.

Ceci est le récit de la terrible période où Nabuchodonosor a exilé les enfants d’Israël. Lorsqu’ils passaient près des contrées arabes, les enfants d’Israël priaient leurs gardiens de les amener chez leurs cousins, descendants d’Ismaël, qui auront sans doute pitié d’eux.

Ces derniers vinrent effectivement à leur rencontre pour leur offrir des poissons fumés et des outres gonflées.

Après avoir consommé le poisson, les enfants d’Israël, assoiffés, approchèrent leur bouche du goulot de ces outres, mais elles étaient gonflées d’air, un air qui les acheva.

D.ieu répondit aux anges : « A cet instant précis, Ismaël est-il un tsadiq ou un racha, un juste ou un mauvais ?

Ils lui répondirent : « Un juste ».

Si c’est ainsi, il ne peut être jugé que comme tel.

Il est important de préciser que les anges ne se sont pas basés uniquement sur les actions des descendants d’Ismaël, plus d’un millénaire plus tard pour l’accuser.

Car Ismaël ne pourrait évidemment pas en être porté responsable.

Mais cette cruauté hors du commun trouvait ses origines dans le caractère même d’Ismaël (et nous la vivons encore aujourd’hui), ce qui n’a pas empêché D.ieu de ne le juger que sur ses actions présentes.

Mais alors, comment comprendre que la Thora nous demande d’agir différemment avec le ben sorer oumoré, qui lui non plus, n’est pas encore parvenu ni au stade de délinquant, ni à celui d’assassin.

Le Maharal (Gour Arié, Genèse 21 ; 17) répond à cette question.

La nature du jugement conféré au Beth Din est différente de celle du jugement divin.

Si D.ieu juge directement l’homme, seuls les actes déjà accomplis seront pris en compte.

Lorsque c’est le Beth Din qui juge, il s’inspire des lois de la Thora. La Thora a comme prérogative de corriger et réparer les erreurs de l’homme.

Tel est le but de tous les châtiments fixés par la Thora : réparer.

Une intention pure

S’il est incontestable que l’homme va arriver à sa propre destruction, c’est la Thora qui va l’en empêcher en fixant un châtiment préventif, comme dans le cas du ben sorer oumoré.

Dans son ouvrage Michnath Rabbi Aaron(volume 1 page 194), le Rav Aaron Kotler développe une approche différente, qui nous éclaire sur le sens de cette paracha.

Il cite Na’hmanide, (Deutéronome 21 ; 18), dont les mots sont pour le moins étonnants : « Le ben sorer oumoré mérite deux châtiments.

Le premier pour avoir dédaigné ses parents et refusé d’accepter leurs directives.

Le deuxième pour être devenu un buveur et un viveur, transgressant ainsi la mitsva de kedochim tihyou (soyez saints, Lévitique 19 ; 2), qui signifie qu’un Juif est astreint à la sobriété.

Il a également transgressé l’ordre divin : ‘A Lui votre culte, à Lui sera votre attachement (Deutéronome 13 ; 5)’, que j’ai expliqué comme signifiant que tous nos actes, même les plus matériels, doivent être accomplis dans l’intention pure de servir D.ieu.

Celui qui est un buveur et un viveur ne peut en aucun cas vivre dans cet état d’esprit… »

Rabbi Avraham Ibn Ezra suit le même ordre d’idée : « Cet enfant se conduit comme celui qui considère l’assouvissement des plaisirs matériels comme le but même de la vie ici-bas (comme un apikoros) ».

Comment concilier ces paroles avec le texte du Talmud que nous avons cité.

Car maintenant, ce qui lui est reproché, ce n’est plus le fait d’avoir volé et récidivé, ni même d’être un délinquant potentiel.

Ce qu’on lui reproche, c’est de n’avoir pas réussi à accomplir deux des mitsvoth les plus élevées, celles qui demandent une préparation longue et profonde, et que seuls des êtres d’un très haut niveau moral parviennent à accomplir véritablement !

N’oublions pas qu’il s’agit d’un jeune garçon de treize ans qui a de mauvaises habitudes et de mauvaises fréquentations.

Peut-on lui reprocher de ne pas être le tzadik de sa génération ?

Plaisirs terrestres

Rav Aaron Kotler explique que la Thora nous livre, entre les lignes, un secret : Le but absolu de la création de l’homme sur terre est de s’élever et se détacher du matériel.

Les plaisirs terrestres n’ayant leur raison d’être que si on les utilise pour mieux servir son Créateur.

Ces plaisirs ont été créés dans l’unique but d’apporter une sérénité et une tranquillité d’esprit, pour se consacrer à l’accomplissement de la Thora et de ses commandements.

Celui qui, par sa conduite (et c’est la Thora d’essence divine qui connaît les secrets de l’âme et nous dévoile les conditions qui le prouve), montre qu’il ne pourra jamais prendre le chemin de la vérité, perd sa raison d’être dans ce monde.

L’attitude du ben sorer oumoré prouve qu’il a choisi de se couper définitivement du but de la création de l’homme.

Il n’est donc pas puni pour ses actes futurs, mais pour sa conduite actuelle.

Il n’y a, on le comprend maintenant, aucune opposition avec le cas d’Ismaël et c’est la Thora qui fixe que ce cas devient effectif seulement lorsque toutes les conditions citées sont réunies.

Passionnant

Et d’après les deux opinions citées plus haut, cela n’existera jamais. Mais c’est le message qui est d’une importance capitale.

Prendre une certaine distance face au matériel, pour réussir à s’en détacher, comprendre que les plaisirs ne sont pas des buts en soi, n’est ni un luxe, ni même un devoir réservé au justes de la génération.

C’est l’essence même de la vie du Juif, et personne n’a le droit de l’ignorer ou de se mettre dans une situation où il ne pourra jamais l’appliquer.

Un autre élément que Rav Aaron Kotler fait ressortir de ce texte est tout aussi passionnant.

La Thora a précisé que cette éventualité se réalise seulement si l’enfant a entre treize ans et treize ans et trois mois.

Le Sforno ajoute que c’est parce que cet enfant se révolte et refuse l’éducation de ses parents, que la Thora peut affirmer qu’il n’a aucune chance de changer un jour.

On peut comprendre de ce « détail », l’un des fondements de l’éducation.

Ce n’est pas à l’âge adulte que l’on peut commencer à prendre de bonnes habitudes.

Le début de l’adolescence est un moment capital. Les mauvaises habitudes contractées à cet âge ne peuvent être considérées, avec indulgence, comme des légèretés dues à la jeunesse.

Les effets de ces légèretés sont beaucoup plus graves que celles commises par un adulte car elles deviennent des habitudes dont on ne peut plus se séparer…

« Elève ton enfant d’après son tempérament et fais lui acquérir de bonnes habitudes, ainsi, même en vieillissant, il ne quittera pas les bonnes voies. » (Proverbes 22 ; 6)