Parachath Choftim
Nommer un roi, et le craindre
Rav Eliahou Elkaïm
Cette semaine, D.ieu nous ordonne de nommer un roi. Mais c’est une mitsva qui ne dépend que de notre niveau, et à y bien regarder, D.ieu espérait mieux de nous…
Dans la paracha de cette semaine, une mitsva est adressée à la communauté d’Israël après son installation en terre d’Israël : nommer un roi.
«Quand, arrivé dans le pays que l’Eternel ton D.ieu te donne, tu en auras pris possession et y seras bien établi, si tu dis alors : ‘Je voudrais mettre un roi à ma tête, à l’exemple de tous les peuples qui m’entourent.’
Tu nommeras un roi, celui dont l’Eternel, ton D.ieu, approuvera le choix : c’est l’un de tes frères que tu dois désigner pour ton roi ; tu n’auras pas le droit de nommer un étranger qui ne serait pas ton frère…
Or, quand il occupera le siège royal, il écrira pour son usage, dans un livre, une copie de cette doctrine, en s’inspirant des pontifes, descendants de Lévy. Elle restera par devers lui, car il doit y lire toute sa vie, afin qu’il s’habitue à craindre l’Eternel son D.ieu, à observer toutes les paroles de cette Thora, à pratiquer ses préceptes… » (Deutéronome 17 ; 14-20).
Dès le départ, tous les commentateurs s’étonnent de la forme employée pour cette mitsva.
Si c’est un ordre dont il s’agit, pourquoi le faire par cette introduction : « Si tu dis alors : ‘Je voudrais mettre un roi à ma tête’… »
D’ailleurs, cette forme n’est employée pour aucune autre mitsva.
Le meilleur de vos champs
Nos Maîtres s’interrogent également sur une apparente contradiction entre ce texte et un texte du livre de Samuel, qui se situe avant l’intronisation du roi Saül.
«Aussi tous les anciens d’Israël se réunirent, allèrent chez Samuel à Rama et lui dirent : ‘Vois, tu es âgé, et tes fils ne suivent pas tes voies, donne-nous donc un roi pour nous juger, comme en ont tous les peuples.’
Cela déplut à Samuel de les entendre dire : ‘Donne nous un roi pour nous gouverner’ et il adressa une prière au Seigneur.
Mais le Seigneur dit à Samuel : ‘Cède à la voix de ce peuple, fais ce qu’ils te disent ; ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est Moi-même dont ils ne veulent plus pour leur roi.
Comme ils ont constamment agi depuis que Je les ai sortis d’Egypte, Me délaissant pour servir des dieux étrangers, ainsi agissent-ils encore sous tes yeux.
Cède donc à leur voix, non toutefois sans les avertir, et leur exposer les procédés que doit suivre le roi qui les gouvernera.’
Samuel rapporta toutes les paroles de l’Eternel au peuple qui lui avait demandé un roi et il dit : ‘ Voici comment procédera le roi que vous allez avoir : vos fils, ils les prendra pour les employer à ses chars, à sa cavalerie, les fera courir devant son char, en fera des officiers de mille, des officiers de cinquante ;
les forcera à labourer, à moissonner pour lui, de fabriquer ses armes, et l’attirail de ses voitures.
Vos filles, il les exploitera pour la préparation des parfums, pour sa cuisine et pour son pain.
Le meilleur de vos champs, de vos vignobles et de vos plants d’oliviers, il les prendra pour les donner à ses serviteurs.
Il lèvera la dîme de vos grains et de vos vignes, pour la donner à ses courtisans et à ses esclaves. Vos esclaves à vous et vos servantes, et l’élite de vos jeunes gens, et vos ânes, il les prendra pour les employer à ses travaux.
Il prélèvera la dîme de votre menu bétail, et vous même deviendrez ses esclaves. Vous vous lamenterez alors à cause de ce roi que vous avez désiré ; mais l’Eternel ne vous exaucera point ce jour-là.’
Le peuple refusa d’accéder à la voix de Samuel, et il répondit : ‘Non, il nous faut un roi ! Nous voulons être comme les autres peuples, nous aussi ; et notre roi nous jugera, et il marchera à notre tête, et il combattra avec nous !’
Samuel ayant ouï toutes les paroles du peuple, en rendit compte au Seigneur. Le Seigneur dit à Samuel : ‘Défère à leur demande et donne-leur un roi.» (Samuel I, 8 ; 4-22).
Les droits du plus grand nombre
Ce texte est capital pour le compréhension de la mitsva de nommer un roi.
On le voit, bien que la demande des anciens d’Israël soit la pure application de la mitsva de la Thora de nommer un roi, elle entraîne une réaction très négative de Samuel et de D.ieu Lui-même !
Pour comprendre cette réaction, c’est la mitsva dans son ensemble qu’il faut expliquer, surtout à notre époque où le système monarchique a pratiquement disparu du monde occidental, même s’il reste des vestiges d’une monarchie représentative dans certains pays.
Aujourd’hui, c’est la démocratie qui est considérée comme le système le plus juste et le plus équilibré pour gérer un pays.
Grâce à ce système, on espère que les législateurs se rapprochent au maximum des valeurs fondamentales de la justice, des droits de l’homme et du droit du plus grand nombre.
Bien sûr, les formules politiques sont toujours imparfaites, car les lois votées par les hommes sont toujours sujettes à des manipulations politiques et même si les intentions sont pures, l’homme seul ne peut prévoir toutes les retombées de ses décisions.
La communauté d’Israël, pour sa part, n’avait pas besoin de parlement pour voter des lois, dans mesure où elle avait eu, au mont Sinaï, le privilège de recevoir la Thora écrite et la Thora orale, Vérité absolue d’origine divine, système de lois qui englobe toutes les facettes de la vie publique et privée.
Les juges, et le Sanhédrin à leur tête, étaient présents pour appliquer les lois fixées par la Thora et transmises par ses sages.
Leur autorité était reconnue par tous.
En quoi un roi était-il donc nécessaire ?
Destituer Samuel
Le Talmud (Sanhédrin 20 b) cite une Tossephta (Sanhédrin chapitre 4) où se trouve une discussion entre Rabbi Yéhouda et Rabbi Néhoraï au sujet de l’ordre divin de nommer un roi et de l’interprétation que l’on doit en faire.
« Rabbi Yéhouda disait : ‘La communauté d’Israël a reçu trois ordres à accomplir après son installation en terre d’Israël : nommer un roi, exterminer la descendance d’Amaleq et construire le sanctuaire.
Rabbi Néhoraï dit : ‘Ce chapitre de la Thora n’a été écrit qu’en prévision des murmures de mécontentement qui viendrait plus tard, ainsi que l’atteste le verset : « … et que tu diras : ‘Je veux mettre un roi à ma tête.’ »
Selon le commentaire de Rachi : « L’Eternel prévoyait qu’ils élèveraient un jour des murmures à ce propos et qu’ils diraient : ‘Et nous aussi, nous serons comme tous les peuples’.» (Samuel I, 8 ; 20)
Rabbi Eléazar dit : ‘Les anciens de cette génération (celle de Samuel) présentèrent leur requête à juste titre, ainsi qu’il ressort du texte : « Etablis sur nous un roi pour nous juger. »
Mais la foule inculte vint tout gâter en précisant : ‘Et nous aussi, nous serons comme tous les peuples.’ »
A priori, la discussion entre Rabbi Yéhouda et Rabbi Néhoraï est de savoir s’il s’agit d’une mitsva (selon Rabbi Yéhouda) ou de l’assentiment de D.ieu qui permettrait, par la suite, dans le cas où le peuple d’Israël le réclamerait, de nommer un roi.
Maïmonide, pour sa part, fixe la hala’ha en suivant l’opinion de Rabbi Yéhouda. (Yad Ha’hazaka, Hil’hoth Méla’him 1 ; 1-2).
Mais si l’on suit l’opinion selon laquelle c’est une mitsva, comment comprendre la réaction de Samuel ?
Maïmonide précise : « Ici, c’est l’intention qui était déplacée. Samuel a senti que ce n’était pas la volonté d’accomplir une mitsva qui a motivé la demande de nommer un roi, mais la volonté de le destituer lui, Samuel, de son rôle de dirigeant et de juge.
Le Ohr Ha’haïm hakadoch (Rabbi ‘Haïm Ben Attar) apporte un nouvel éclairage à notre sujet et son explication va nous permettre de comprendre la forme particulière utilisée pour cette mitsva.
La vocation du peuple élu
Le rôle du roi, tel qu’il est défini dans les civilisations anciennes était essentiellement circonscrit à celui de stratège militaire, cristallisant la volonté d’expansionnisme de son peuple.
Et ses victoires développaient son propre orgueil et celui de son pays.
Nommer un roi dans cet esprit ne correspond en rien à la vocation du peuple élu, qui a un tout autre rôle à remplir en ce monde.
Nous comprenons à présent la forme utilisée par la Thora pour nous enseigner cette mitsva.
La Thora est très critique et veut d’abord stigmatiser l’erreur fondamentale de cette approche : « Si tu dis alors : ‘Je veux mettre un roi à ma tête à l’exemple de tous les peuples qui m’entourent.’ »
C’est une aberration et ce n’est pas conforme à la volonté divine.
Et la Thora poursuit : « Tu nommeras un roi, celui dont l’Eternel approuvera le choix ».
Na’hmanide (ad hoc) nous précise que c’est par l’intermédiaire des prophètes ou des Ourim vetoumim.
Cela ne peut être que dans esprit tout à fait différent.
A l’instar des Juges, c’est un dirigeant spirituel qui, grâce à son mérite, amènera d’une part la délivrance du peuple Juif et d’autre part l’admiration des Nations.
Samuel a senti dans les termes de la requête que la volonté du peuple était de nommer un roi pour être « comme tous les autres peuples », et c’est pour cela qu’il a réagit de façon aussi négative.
Le Ohr ha’haïm ajoute une donnée fondamentale : pour lui, même d’après l’avis de Rabbi Néhoraï, cela peut être considéré comme un mitsva, car tout dépend du niveau spirituel du peuple juif.
S’il atteint un haut niveau, celui que D.ieu espère de lui, c’est tout simplement de la royauté divine, directement, dont jouira le peuple juif.
Dans ce cas, ils n’ont pas besoin de la mitsva de nommer un roi.
C’est ce que Samuel exprime, quand il montre que malheureusement, le peuple juif n’a pas atteint ce niveau : « Or, voyant que Nahach, ,roi des Anmonites, marchait contre vous, vous m’avez dit : ‘Non, c’est un roi qu’il nous faut’, quand vous aviez pour roi l’Eternel, votre D.ieu ! » (Samuel I, 12 ; 12).
Mais si leur niveau n’est pas assez élevé pour avoir conscience que c’est le Tout-puissant qui les dirige, alors ils accompliront une mitsva en nommant un roi.
Un roi choisi par D.ieu, car telle est la volonté divine dans ce cas.
On comprend maintenant la forme utilisée pour exprimer cette mitsva : « Si tu dis alors : ‘Je veux mettre un roi à ma tête.’… », car cette mitsva n’est effective que dans le cas où le peuple juif le réclame.
Sans roi, l’anarchie ?
Le Keli Yakar propose une autre approche de notre sujet. Deux textes de nos maîtres nous permettront de mieux la comprendre :
« Rabbi Hanina Seguan Hacohanim disait : ‘ Il faut prier pour le bien-être des rois, car si la crainte qu’ils inspirent au peuple venait à disparaître, l’anarchie s’installerait et l’équilibre de la société serait gravement compromis.’ » (Ich eth reehou ‘haïm bélao : littéralement, les hommes s’engloutiraient vivants). (Pirké Avoth maximes des pères, 3 ; 2).
« Il faut déployer tous les efforts possible et courir, au sens propre du terme, pour parvenir à observer les Rois d’Israël. A défaut des Rois d’Israël, il faut s’efforcer de rencontrer les Rois des Nations. Et celui qui méritera de vivre l’époque messianique pourra, en voyant l’honneur et la majesté du Messie, évaluer à quel point cet honneur et cette majesté dépasse tout ce qui existait dans notre monde, chez les dirigeants des Nations. » (Talmud Bera’hoth 58a).
Ces deux textes apportent deux éléments fondamentaux :
La crainte que le roi inspire à ses sujets est indispensable à l’équilibre de la société.
L’honneur et la majesté d’une cour royale donne à l’homme une image (même si elle reste très limitée) de l’honneur et de la majesté divine. Cette perception du concept de « Mal’houth chamaïm » (la royauté de D.ieu) est une nécessité absolue pour l’homme. Sans elle, il lui sera très difficile de fixer dans son cœur la crainte et l’effacement devant D.ieu.
Le Keli Yakar, dans le principe même de la mitsva de nommer un roi, voit une notion positive et désirée par D.ieu.
Après l’installation en terre d’Israël, il y a un risque : « Yéshouroun, engraissé, se révolte» (Deutéronome 32 ; 15).
Certains individus, composants d’une société, peuvent décider d’agir à leur guise, s’il n’y a pas un roi qui inspire la crainte et le respect.
C’est dans ce sens que nos maîtres interprètent la répétition des mots du verset : Som tassim (mets, tu mettras) : tu nommeras un roi, tu le nommeras de façon qu’il soit craint par le peuple.
C’est l’une des prérogatives essentielles du roi : susciter la crainte de ses sujets (cf Maïmonide Hil’hoth Méla’him).
Le roi est à nous
Le Keli Yakar fait à ce sujet une remarque très intéressante :
Dans le texte de notre paracha, le mot utilisé est alaï alé’ha : (tu nommeras un roi) sur toi, à ta tête.
Dans le livre de Samuel, le mot utilisé est lanou : donne-nous un roi.
Le Keli Yakar explique que c’est dans ces mots que Samuel a détecté la mauvaise intention du peuple.
Si le roi est à nous, la monarchie perd sa raison d’être.
Si le roi dépend du bon vouloir de ses sujets et des flatteries qu’il leur doit, il ne leur suscitera certainement pas de crainte. La demande d’Israël n’exprimait que la volonté de se débarrasser de la tutelle de Samuel, leur prophète.
La réaction de D.ieu, (qui dit à Samuel d’avertir le peuple des procédés que suivra le roi qui les gouvernera), et l’explication détaillée que fait Samuel juste après, mettent les choses au point :
Si la Thora a fixé comme mitsva de nommer un roi, c’est dans un esprit tout à fait différent que celui de leur demande.
Ce n’est pas lanou (pour nous), mais alénou (sur nous).
Ainsi, le roi pourra disposer des biens de ses sujets pour tout ce qu’il considérera comme nécessaire au bon fonctionnement de sa cour royale…
C’est alors que la communauté d’Israël comprit le message de Samuel et répondit : « Un roi sera sur nous (alénou) ». Et D.ieu accéda à leur demande.
Toute sa vie
Un texte du Midrach complète cette idée.
« La hala’ha fixe qu’un roi qui a un litige ne peut être jugé devant un Beth-Din (tribunal rabbinique).
Pourquoi ? Rabbi Jérémie répond par les mots du roi David : « C’est de Toi qu’émanera mon jugement» (Psaumes 17 ; 2).
Le roi ne peut donc être jugé que par D.ieu Lui-même.
D.ieu dit à Israël : « J’ai pensé que vous seriez dispensé de la crainte du roi… Mais vous n’avez pas voulu et vous avez souhaité un roi… » (Devarim Rabba 5 ; 8).
Le Sefat Emet (année 1904) nous éclaire sur le sens profond de ces paroles.
Comme nous l’avons vu dans les Pirké Avoth, la crainte du roi est indispensable pour l’équilibre d’une société.
Pour la communauté d’Israël, la crainte de D.ieu aurait dû être suffisante.
Mais la crainte envers D.ieu que ressentait le peuple juif ne l’étant pas, la crainte d’un roi était nécessaire.
En réalité, pour parvenir à la crainte de D.ieu, il faut d’abord que le concept de crainte existe dans la société. Dans un monde trop laxiste où le concept de la crainte est pratiquement inexistant (excepté la peur de maladie ou la superstition…) il est très difficile de s’imprégner d’une véritable crainte envers D.ieu.
Le rôle des rois d’Israël sera donc double : d’abord créer le concept de la crainte dans la société.
Et, pour que le but véritable soit atteint (la crainte de D.ieu), il faut que le roi lui-même, à travers sa stature morale, soit un exemple : qu’il soit lui-même sous la crainte de son créateur. En cela, il devient le symbole même de la crainte divine.
D’ailleurs, les mots de la Thora sont éloquents à ce sujet :
«Elle restera (la Thora) par devers lui, car il doit y lire toute sa vie, afin qu’il apprenne à craindre l’Eternel son D.ieu… »
De ce verset, la hala’ha déduit que le livre de la Thora devait être attaché au bras du roi en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Il devait, à tout moment, s’en inspirer pour atteindre la crainte véritable de D.ieu.
(Le Talmud mentionne une dérogation spéciale, déduite de ce verset, qui permettra au roi de se séparer de la Thora au moment de se rendre en salle de toilette !)
Même si la crainte du roi reste un élément stabilisant d’une société, la crainte des rois d’Israël trouvait sa principale raison dans le fait qu’elle est un catalysateur qui prépare à la crainte véritable, celle de D.ieu, objectif de la création de l’homme.
C’est ce que le Midrach veut nous apprendre :
« D.ieu dit à Israël : ‘J’ai pensé que vous n’auriez pas besoin d’un exemple vivant pour susciter Ma crainte, et cela vous aurait évité la nécessité de nommer un roi.’ »
A défaut, il faut nommer un roi choisi par D.ieu. Par son exemple, il sera le représentant sur terre du concept de la crainte et il suscitera la vraie crainte, celle de D.ieu.
Le niveau de sainteté inégalé des Rois d’Israël (Saül, David, Salomon, ’Hizkiahou…) ne peut être saisi qu’à travers la compréhension de ces textes.
On raconte que deux géants en Thora au début du siècle dernier, Rabbi ‘Haïm de Brisk et son élève Rabbi Barou’h Dov Leibovitch, discutaient : « Imaginons que David Hamele’h en personne entrait dans cette pièce, dit Rabbi Barou’h Dov. On serait émerveillé de la sainteté de cet homme.
- Non, dit Rabbi ‘Haïm, on disparaîtrait, car on serait incapable de supporter un tel niveau de kedoucha (sainteté) près de nous. »
Et ces enseignements restent d’une grande actualité.
Puissions-nous bientôt mériter de découvrir la majesté de D.ieu et de son roi Messie, Mele’h hamachia’h.