Parachath Tsav (Chabbath Hagadol)

Comment Lui ressembler ?

Rav Eliahou Elkaïm

Le processus de libération du peuple juif du joug égyptien a débuté en Nissan, précisément le chabbath qui correspond à notre paracha, il y a exactement 3 314 ans. Et si nous tirions les leçons pour trouver une solution à notre propre situation ?

D’après nos maîtres, le processus de la délivrance du Peuple d’Israël a commencé le dix Nissan, le chabbath qui a précédé la sortie d’Egypte (cf Michna Broura 430-2).

C’est à cette date que le peuple d’Israël devait accomplir l’ordre divin d’acheter l’agneau pascal.

Et chaque famille devait en vérifier la qualité pendant les quatre jours suivants.

Le retentissement qu’a connu cet achat collectif, notamment par le fait que les agneaux avaient été attachés au pied du lit des Juifs, fut grand et aurait dû susciter une réaction violente de la part des Egyptiens, qui attribuaient à cet animal un caractère divin.

Mais au contraire, il n’en fut rien, ce qui relève du miracle. Miracle que nous commémorons le Chabbath Hagadol, qui porte ce titre : « Le grand Chabbath », en souvenir de ce grand événement.

C’est d’ailleurs la raison de la coutume qu’ont gardé certaines communautés : à Min’ha de Chabbath Hagadol, lire la première partie de la Hagada de Pessa’h (cf Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, chap 430)

Rabbi Eliahou Lopian (1872-1970), l’un des grands maîtres de la précédente génération, dans son ouvrage « Lev Eliahou », présente un nouvel aspect de la délivrance des Juifs d’Egypte…

Tout se mérite

«Lorsque D.ieu décida de faire sortir le peuple d’Israël d’Egypte, il s’est avéré que ce dernier ne possédait pas les mérites nécessaires pour provoquer l’intervention divine, comme il est écrit : «mais tu étais nue et dénudée» (Ezechiel 16-7) ». Expliqué dans la Hagada comme se rapportant au peuple juif qui était nu et dénudé de mitsvoth.

Le monde dans lequel nous vivons n’est pas un monde de gratuité. Que ce soit sur le plan matériel ou spirituel, tout se mérite et possède sa valeur.

Si l’on peut dire, D.ieu se trouvait dans un « dilemme ». Sa volonté était de délivrer le peuple d’Israël, mais il devait tenir compte de la midath hadin (la rigueur divine).

Deux textes du Midrach vont nous permettre de discerner les éléments qui ont justifié le miracle de la sortie d’Egypte.

Le premier Midrach se rapporte au décret de Pharaon, qui suivit l’intervention de Moïse.

Pharaon, s’adressant aux intendants égyptiens, décréta : « Vous ne fournirez plus, désormais, de la paille au peuple pour la préparation des briques comme précédemment, ils iront eux-mêmes faire leur provision de paille. Du reste, la quantité de briques qu’ils faisaient précédemment, imposez-la leur encore, n’en rabattez rien. » (Exode 5 ; 7-8).

Le Midrach nous décrit les conséquences de ce décret.

Les Juifs allèrent chercher de la paille dans les champs des Egyptiens. Ceux-ci les épiaient par les fenêtres, et à leur vue, ils sortaient armés de bâtons avec lesquels ils les frappaient.

Les cris des enfants d’Israël s’élevèrent : « C’est pour vous que nous ramassons cette paille qui va servir à la construction des villes de Pithom et Ramessès » Mais leur cris n’eurent aucun effet pour mettre fin à ces violences.

On le voit, les Egyptiens développèrent une forme de cruauté qui n’est ni naturelle ni même logique.

Le deuxième Midrach se rapporte à un verset de la Thora : « On frappa les surveillants des enfants d’Israël. » (Exode 5 ; 14).

Le Midrach explique que chaque groupe de dix Juifs avait un surveillant juif imposé par les Egyptiens. Ce dernier devait rendre compte à un commissaire égyptien.

Ces surveillants, voyant la souffrance des enfants d’Israël, leur accordaient quelques moments de repos.

Mais la quantité de briques imposée par les Egyptiens n’était pas atteinte et les commissaires s’en prenaient violemment aux surveillants qui n’avaient pas suffisamment maltraité leurs subordonnés.

Le Midrach ajoute que des centaines de surveillants furent frappés à mort.

Le Midrach Rabba (Bamidbar 15 ; 20) précise que les Egyptiens ne considéraient pas les surveillants Juifs comme responsables des déficiences des autres Juifs. Mais ils exigeaient que les surveillants leur donnent le nom de ceux qui avaient failli à leur tâche, afin qu’ils soient punis. Les responsables préférèrent être frappés eux-mêmes plutôt que de trahir leurs coreligionnaires.

On voit ici une clémence et un courage presque surnaturels de la part des surveillants.

Ces deux éléments (la cruauté sans précédent des Egyptiens et la clémence extraordinaire des surveillants) apportèrent le mérite nécessaire au miracle de la délivrance d’Egypte.

Cette explication de Rabbi Eliahou Lopian est reprise et développée par son élève, Rav M Salomon (Lakewood N.J.) dans son ouvrage « Matnat Haïm ».

Ses explications vont nous éclairer sur la façon dont Hachem mène le monde.

Pour bien comprendre, une introduction kabbalistique s’impose.

Fais grâce aux offenses

Rabbi Moché Kordovéro (le Ramak), l’un des plus grands kabbalistes de tous les temps, contemporain du Ari Zal, a consacré l’un de ses plus célèbres ouvrages, « Tomer Debora », à l’explication des treize attributs de la Miséricorde divine. (Cheloch essré midoth chel Ra’hamim).

Cette démarche (développer le sens caché des attributs divins) a pour but de permettre à chacun de saisir le sens profond de la mitsva énoncée trois fois dans la Thora : « Tu marcheras dans les voies de l’Eternel.» (Deutéronome 8-6 ; 10-12 ; 11-12)

Nos maîtres (cf Rachi 11-22, Sifri ad hoc) expliquent que cette mitsva est liée aux treize attributs de la miséricorde divine et exhorte l’homme à agir dans le même sens que Lui : « D.ieu est clément , sois-le toi aussi. D.ieu est plein de bienveillance, sois-le toi aussi.» (Exode 34 ; 6).

Ces attributs sont formulés différemment par le prophète Michée (7 ; 18-20) dans le texte que nous récitons dans la prière de Tachli’h le jour de Roch Hachana.

C’est ce texte que le Ramak développe point par point.

«Quel D.ieu T’égale Seigneur, toi qui pardonnes les iniquités, qui fais grâce aux offenses, commises par ceux qui restent de ton héritage »

Les kabbalistes voient l’expression des quatre premiers attributs dans cette phrase. La première dans « quel D.ieu T’égale », la seconde dans « toi qui pardonnes les iniquités », la troisième dans « qui fais grâce aux offenses » et la quatrième dans « commises par ceux qui restent de ton héritage », traduction de l’hébreu « Lichéérit Na’halato ».

Nous verrons que le Ramak traduit cette expression différemment.

Avant d’aborder l’explication du Ramak sur la quatrième mida « Lichéérit Na’halato », un principe fondamental, développé par ce dernier, doit être ennoncé.

Ce qui déclenche l’effet de l’attribut divin, c’est que ce même attribut soit mis en pratique par les hommes, en ce monde.

Quand une mida existe ici-bas par le comportement humain, la mida « parallèle » brille dans les sphères célestes et le monde peut ainsi jouir de cet aspect de la Miséricorde divine.

Rabbi Eliahou Lopian ajoute, se référant au Zohar, que lorsque D.ieu veut que l’un des treize attributs de Miséricorde se manifeste dans le monde, il créé des situations grâce auxquelles l’homme pourra accomplir la mitsva « Tu marcheras dans Ses voies » dans le domaine spécifique de cet attribut.

Ainsi, grâce à des situations précises et voulues par le Créateur, l’humanité a la possibilité de Lui ressembler dans un domaine spécifique.

L’homme va faire briller cette même mida dans les sphères célestes, et le monde pourra en jouir.

Nous allons pouvoir à présent mieux comprendre comment la quatrième mida, (lichéérith na’halato) va déclencher la délivrance d’Egypte.

Les enfants d’Israël, Ses proches

Le Ramak explique cette expression dans le sens de Cheer Bassar (Lévitique 21 ; 2), qui signifie un parent proche.

« D.ieu agit envers le peuple d’Israël sous la forme suivante. Il dit : « Comment puis-je punir les enfants d’Israël, qui sont mes proches ? Un lien de chair me lie à eux. Ils sont considérés comme la compagne de D.ieu, ils sont appelés ma fille, ma sœur, ma mère» (cf Chir Hachirim Rabba chapitre 9) et il est écrit : « Des enfants d’Israël, le peuple qui sont Ses proches» (psaumes 148 ; 14). »

C’est une véritable relation familiale qui existe entre D.ieu et Israël, Son enfant.

C’est le sens de Chéérit, Ses proches. Na’halato signifiant Son héritage.

« Si Je les punis, c’est Moi qui souffrirai comme il est écrit : « D

ans toutes leurs souffrances, Il a souffert avec eux» (Isaïe 63 ; 9) et aussi : « Il n’a plus pu supporter la misère d’Israël (Les Juges 10 ; 16, cf rachi ad hoc), car D.ieu ne peut supporter la souffrances et la honte d’Israël, qui sont Ses proches »

Le Sefer Haïkarim voit une analogie flagrante entre ce verset des Juges qui se rapporte à la délivrance divine qui eut lieu du temps des Juges, et la délivrance du joug égyptien : « L’Eternel poursuit : « J’ai vu, J’ai vu l’humiliation de Mon peuple qui est en Egypte. J’ai accueilli sa plainte contre ses oppresseurs, car Je connais ses souffrances. Je suis donc intervenu pour le délivrer de la puissance égyptienne.» (Exode 3 ; 7-8).

Dans les deux cas, c’est cette mida de Lichéérith Na’halato telle qu’elle a été expliquée dans « Tomer Débora » qui a mis en marche, dans le ciel, le processus de la délivrance (Géoula).

En se référant au principe de base énoncé par le Ramak, si l’une des treize midoth a brillé dans les cieux, c’est donc que cette même mida a été mise en pratique par les hommes.

Dans cette perspective, l’enchaînement des événements depuis la première intervention de Moïse auprès de Pharaon, ainsi que le texte de Rabbi Eliahou Lopian deviennent limpides.

Ce n’est pas par hasard que Pharaon décide d’alourdir la tâche des enfants d’Israël.

Ce n’est pas par hasard que les Egyptiens se surpassent en cruauté.

Car ces deux événements vont permettre la réaction extraordinaire des surveillants juifs. Dans un élan surprenant de solidarité, ils acceptent de subir le pire des sorts pour éviter à leurs frères d’être punis.

C’est l’expression la plus authentique de la mida de « Lichéérith Na’halato », telle que l’explique le Ramak.

De la même façon qu’une mère est prête à se substituer à son fils pour lui éviter de souffrir, les surveillants juifs ont accepté, avec joie, de subir les atrocités des Egyptiens pour éviter la souffrances de leurs frères.

Et cela, alors qu’eux-mêmes n’étaient pas considérés comme responsables par les Egyptiens, qui ne leur demandaient que de leur communiquer les noms des autres Juifs.

C’est cette attitude exemplaire qui va éveiller la même Mida dans les sphères célestes.

Moïse s’étonne : « Moïse retourna vers le Seigneur et dit : « Mon D.ieu, pourquoi as-tu rendu ce peuple si misérable ? Dans quel but m’avais-tu envoyé ? Depuis que je me suis présenté à Pharaon pour parler en Ton Nom, le sort de ce peuple s’est aggravé. » (Exode 5 ; 22-23).

D.ieu lui répond : « C’est à présent que tu seras témoin de ce que Je veux faire à Pharaon. Forcé par une main puissante, il les laissera partir » (Exode 6 ; 1).

La réponse de D.ieu est claire : il y a un plan très précis qui va permettre « à présent » le processus de délivrance.

Sortir de l’impasse

La violence des Egyptiens, et la réaction merveilleuse des surveillants juifs suscitée par cet événement, vont permettre à la mida de « Lichéérit Na’halato » de briller et c’est seulement à ce moment-là que la délivrance peut se produire.

Rabbi Eliahou Lopian conclut son développement en citant les paroles de nos maîtres : le même processus qui a permis la délivrance en Egypte va se reproduire à la fin des temps, lors de la délivrance finale.

Le Talmud dans Sanhédrin (p. 98) conseille : « C’est seulement en s’acharnant à l’étude de la Thora et au guemilout ‘hassadim (bienfaisance) que l’on sera épargné des souffrances pré-messianiques. »

Le sens profond de Guemilouth ‘hassadim, ici, n’est pas seulement de faire le bien autour de soi.

Il faut s’acharner à suivre les voies divines, et à agir envers ses frères dans l’esprit de la mida « Lichéérit Na’halato » : ne pas supporter de voir l’autre qui souffre, comme une mère est prête à tous les sacrifices pour éviter les souffrances de ses enfants.

Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons saisir véritablement la profondeur du jugement divin, mais les mots de Rav Eliahou Lopian nous interpellent fortement si nous essayons de comprendre les événements des dix-huit derniers mois.

Une avalanche de cruauté sans précédent s’est abattue sur Israël, phénomène difficilement explicable de façon rationnelle.

Des milliers de terroristes sont prêts, avec joie, à venir se faire exploser au milieu des foules, acceptant d’être déchiquetés, choisissant pour cibles civiles des vieillards, des femmes, des bébés, dans le seul but de semer la terreur et la mort.

Le comble de la cruauté est dépassé.

Pour réagir, nous n’avons qu’une alternative : tenter de réveiller dans le ciel la mida de lichéérit Na’halato, pour déclencher la Miséricorde divine.

Pour cela, il faut d’abord éveiller cette mida dans nos propres actions, dans notre monde.

C’est un élan de pitié qui dépasse les simples contingences humaines qui nous est demandé.

Faire preuve non seulement de compassion pour ceux qui souffrent, mais aussi essayer par tous les moyens d’alléger leurs souffrances, même au prix de sacrifices.

S’identifier à nos frères et les sentir véritablement être nos très proches parents pourra éveiller la mida extraordinaire de « Lichéérit Na’halato ». C’est alors qu’avec un éveil de la foi dans le peuple juif, nous pourrons, comme en Egypte, mériter la délivrance.

La souffrance de tout le peuple d’Israël n’aura pas été vaine et nous pourrons voir les paroles de nos Sages se réaliser :

« En Nissan ils ont été délivrés, et c’est en Nissan qu’ils seront délivrés. »