Parachath Tazria – Metsora

La vraie vie

Rav Eliahou Elkaïm

Dans la double paracha de cette semaine, on découvre les lois relatives à la lèpre entraînée par la médisance. Par ces lois, nous allons découvrir le vrai sens de la vie. Une leçon qui traverse le temps…

La double paracha de cette semaine est presque entièrement consacrée aux différentes formes de la lèpre dite « tsaraat », celle qui atteint en premier lieu les maisons, les habits, pour ensuite contaminer les hommes.

Nous trouvons ensuite le processus de purification des lépreux.

Nos maîtres (cf. Midrach Rabba ibid.) nous révèlent que ces phénomènes sont directement liés aux fautes ayant un rapport avec la parole, et plus particulièrement avec la médisance (Lachon hara).

Il est important de remarquer que de très nombreux commentateurs voient dans ces événements une manifestation de la Providence divine, et non une description de la maladie communément appelée « lèpre ».

Car la lèpre est contagieuse physiologiquement, ce qui n’était pas le cas de la tsaraat. En outre, celui qui était atteint de tsaraat et dont le corps était entièrement recouvert de lèpre était pur. S’il s’agissait de la lèpre telle que nous la connaissons, ce cas aurait dû être le plus grave.

La traduction de tsaraat par lèpre est donc une simplification due à une analogie de certains symptômes.

Mieux encore, cette forme de « châtiment » n’a existé qu’à une période précise, époque où le peuple d’Israël se trouvait à un niveau moral très élevé, et vivant en terre d’Israël, la che’hina (Présence divine) résidant dans le cœur de chacun.

Une proximité inimaginable

C’est seulement quand ces conditions sont réunies que la moindre défaillance humaine provoque des effets surnaturels comme la tsaraat qui touche, outre les corps, les maisons et les habits.

Cette réaction divine prouve la proximité inimaginable de D.ieu à cette époque, puisqu’Il réagit directement, de façon dévoilée, permettant au fauteur de prendre conscience de sa mauvaise attitude et de lui offrir ainsi la possibilité de se transformer (Maïmonide, lois de la Tsaraat, 16, 10 ; Na’hamanide Lévitique 13, 47 ; Khouzari 2ème partie chapitre 61 et Seforno Lévitique 13 ; 2).

Toutefois, ce passage de la Thora délivre un message et un enseignement pour toutes les générations. Grâce à la description de la tsaraat, la Thora exprime toute la gravité qu’elle accorde aux fautes liées à la parole, en particulier à la médisance.

Ce sont les seules fautes qui provoquent une réaction divine immédiate et directe, et ce par le biais de la lèpre.

D’ailleurs, deux commandements de la Thora sont liés au phénomène de la lèpre ; l’un positif, l’autre négatif.

1- « Observe et exécute avec un soin extrême les prescriptions relatives à la lèpre »(Deutéronome 24 ; 8).

2- « Souviens-toi de ce que l’Eternel ton D.ieu a fait à Myriam pendant votre voyage au sortir de l’Egypte »(Deutéronome 24 ; 9).

Le premier verset est interprété par nos maitres (Sifri), comme une mise en garde adressée au peuple d’Israël : il ne doit pas faire de médisance, qui cause la tsaraat. Cela fait partie des 365 commandements négatifs de la Thora.

Le deuxième verset, exige de chaque Juif de se souvenir pour toujours de ce que Myriam la prophétesse a enduré pour avoir parlé de Moïse en termes ambigus, et cela malgré de très sérieuses circonstances atténuantes. Cette loi positive a pour but de faire réfléchir sur les effets néfastes du Lachon hara, la médisance.

En proie à la mort

Lorsque Myriam a été frappée par la lèpre, Moïse lui-même a imploré D.ieu pour sa guérison :

« Oh, qu’elle ne ressemble pas à un mort-né, qui dès la sortie du sein de sa mère a une partie du corps consumée» (Nombres 12 ; 12).

Partant de cette supplication, et se référant pour chacune des catégories à des versets de la Thora, les maîtres du Talmud ont établi un concept étonnant qui est aussi matière à réflexion.

Quatre personnes sont considérées comme « mortes » : le mendiant, le lépreux, l’aveugle et celui qui n’a pas d’enfants (Nédarim 64b).

Le verset concernant la supplique de Moïse au sujet de Myriam étant la référence pour le lépreux, qui ont le voit, est considéré comme mort.

Rabbi ‘Haïm Schmouelevitz, l’un des grands maîtres de la génération passée, nous éclaire sur les paroles de nos Sages et, par là, nous offre une nouvelle conception de ce qu’est réellement la vie.

D’après lui, ce ne sont pas les souffrances physiques du lépreux qui entraînent qu’il soit considéré comme mort. De nombreux textes confirment cette idée selon laquelle les souffrances physiques, même les plus difficiles à supporter, ne diminuent pas l’être humain au point de lui donner un statut proche du mort.

David lui-même l’exprime dans les psaumes :

« D.ieu m’avait durement éprouvé, mais Il ne m’a point livré en proie à la mort » (118 ; 18).

Ce qui rapproche le lépreux (et donc le médisant) de la mort, ce sont les conséquences de son état :

«Il demeurera isolé, sa résidence sera hors du camp» (Lévitique 13 ; 45).

Rav ‘Haïm Schmouelevitz voit ici le point commun entre les quatre cas énoncés par nos maîtres. Un point commun qui va nous ouvrir de nouveaux horizons…

Faire du bien à ceux qui nous entourent

La vie véritable n’est pas le fonctionnement physiologique de l’organisme.

Pour les maîtres de la Thora, la vie, c’est notre capacité à donner à l’autre, à lui apporter ce dont il a besoin. C’est notre capacité à faire du bien à la société et à ceux qui nous entourent.

Celui qui est dans l’impossibilité de « vivre » avec les autres ou d’apporter quelque chose à son entourage ne vit pas véritablement.

On peut maintenant faire le lien entre les quatre cas décrits par la Thora.

Le mendiant d’abord

: sa dépendance financière totale lui enlève toute possibilité de donner. Il ne peut apporter à la société, c’est sa vie même qui est aliénée.

L’aveugle ensuite

: la vue est le sens qui permet de « vivre » l’autre. Etre dépossédé de la vue empêche le sentiment d’identification avec son prochain. C’est donc la vie même qui a été ainsi diminuée.

Celui qui n’a pas d’enfant

se voit privé de la possibilité la plus naturelle qui soit de donner, celle d’éduquer et de choyer ses propres enfants.

Le cas du lépreux est analogue : être exclu du camp et condamné à l’isolement total tue une personne, en lui enlevant le contact avec la société : le lépreux ne peut plus donner ni recevoir.

On le voit, la Thora nous apprend, par les lois concernant la lèpre, la gravité, que l’on n’avait peut-être pas mesurée, de la médisance.

Effets dévastateurs

Le but véritable de tout châtiment est de permettre au fauteur de prendre conscience de son acte, et de réparer sa faute.

Et la règle générale de « mida keneged mida », qui veut que la punition soit toujours en relation directe avec la nature de la faute, est ici pleinement valable.

La Thora inflige une punition au médisant, qui est profondément liée avec la mort, lui faisant prendre conscience qu’en disant du mal sur son entourage, il a porté atteinte à la vie même.

Nos maîtres dans le Talmud (Ara’hin 16b) nous empêchent de minimiser les effets dévastateurs de la médisance. Pénétrons leur pensée, à travers leur langage parfois allusif :

« Les Talmudistes de Jérusalem disaient : Le langage du troisième tue trois personnes : celle qui raconte, celle qui l’écoute et celle qui fait suivre la rumeur par la suite. »

Le « langage du troisième » signifie la médisance de la troisième personne mêlée au cycle du Lachon hara, à savoir le colporteur, qui transmet à d’autres les informations dénigrantes qu’il a entendu sur une personne. Et Rachi poursuit même en expliquant que la dispute qui peut naître de la médisance peut entraîner un meurtre collectif.

Et dans le cas où les conséquences ne sont pas aussi dramatiques, la détérioration des relations humaines entraînée par la médisance est en soi une atteinte portée à la vie.

C’est cette même idée que développe Maïmonide dans son commentaire sur la Michna (Negaïm 12 ; 5).

« La lèpre décrite dans la Thora est un châtiment pour la faute de Lachon hara, car celui qui en fait se coupe de la société, qui ne peut supporter les dégâts causés par son discours. »

Celui qui se met dans une situation où l’apport à la société est négatif, porte atteinte à la vie, et à sa vie propre. Car comme on l’a vu, vivre, c’est donner, et le médisant se met dans une situation où il ne peut plus donner, et donc dans une situation de « mort ».

Elixir de vie

Les valeurs de notre monde sont un obstacle pour évaluer à sa juste mesure les dégâts et la gravité de la médisance.

Dans une société où le plus important est de gagner un bon salaire, qui permettra de partir en vacances, de s’assurer une bonne retraite, ou encore de faire partie d’une élite culturelle, il est difficile de donner à l’autre sa vraie place.

Et dans cette mesure, dire du mal de cet « autre » ne représente pas un acte si grave.

La Thora nous exhorte, pour notre bonheur, à approfondir des vérités plus absolues, qui apportent un éclairage tout à fait neuf au sens véritable de la vie.

Un texte célèbre du Midrach (Vayikra Rabba 16 ; 2) va d’ailleurs prendre un sens légèrement différent grâce à cette conception nouvelle.

« Un marchand qui allait de ville en ville, et qui faisait sa tournée dans les villages aux alentours de Tsipori avait l’habitude de dire à la cantonade : ‘Qui veut acquérir un élixir qui donne la vie ?’

Tout le monde se bousculait pour savoir de quoi il s’agissait. Rabbi Yanaï était en train d’étudier dans sa chambre. Intéressé, il demanda au marchant de monter pour lui vendre cette « potion ».

Le marchand de lui répondre : « Toi et ceux qui te ressemblent n’ont pas besoin de ma marchandise. »

Sur l’insistance de Rabbi Yanaï, le marchant accepta d’entrer dans sa chambre et il lui montra… le verset des Psaumes :

« Quel est l’homme qui souhaite la vie, qui aime les longs jours pour goûter au bonheur ? Préserve ta langue du mal et les lèvres des discours perfides » (Psaumes 34 ; 13, 14).

Rabbi Yanaï s’exclama : « Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais réellement compris le sens véritable de ces versets. »

De nombreux commentateurs s’étonnent de la réaction de Rabbi Yanaï :

Quel élément, qui n’est pas mentionné dans les mots mêmes du psaume, est venu dévoiler le marchand par son subterfuge ?

C’est qu’il a mis l’accent sur un élément surprenant :

Ne pas dire de médisance n’est pas seulement le moyen d’éviter une faute. C’est purement et simplement éveiller la vie.

Dans la mesure où la vraie vie est de donner à l’autre, d’être le vecteur d’un apport positif envers la société, se préserver du Lachon hara, c’est créer de la vie.

C’est pourquoi David Hamele’h n’a pas écrit : ‘Quel est l’homme qui veut être épargné par la mort ?’, mais : ‘Quel est celui qui désire la vie ?’, sous la forme positive. Et c’est ce que Rabbi Yanaï a découvert grâce à ce marchand.

Au moment où notre peuple traverse tant de souffrances et de difficultés, agissons en créant une influence positive dans le monde, en faisant le bien, en fuyant les mots qui tuent.

Celui qui ne dit jamais de mal sur son prochain n’évite pas seulement la mort, il crée la vie.