Parachath Emor
Les enfants de la pudeur
Rav Eliahou Elkaïm
Cette semaine, par le récit, très concis, d’un épisode dans le désert, on se trouve confronté à un acte d’accusation qui semble incompréhensible. Par l’analyse minutieuse des versets, on va parvenir à une leçon de vie, où le rôle de la femme occupe une place très importante…
A la fin de la paracha de cette semaine, la Thora nous raconte l’histoire d’un homme qui blasphéma le Nom de D.ieu et du sort qui fut le sien.
« Il arriva que le fils d’une femme israélite et fils d’un Egyptien sortit au milieu des enfants d’Israël ; ils se querellèrent dans le camp, ce fils d’une israélite avec l’homme d’Israël. Le fils de la femme israélite proféra, en blasphémant le Nom sacré ; on le conduisit devant Moïse. Et le nom de sa mère était Chelomith fille de Divri, de la tribu de Dan. Ils le mirent sous bonne garde, pour statuer de la part de l’Eternel.
Et l’Eternel parla ainsi à Moïse : « Qu’on emmène le blasphémateur hors du camp ; que tous ceux qui l’ont entendu imposent leurs mains sur sa tête, et que toute la communauté le lapide. » (Lévitique 24- 10 ; 14).
La Thora est très concise en ce qui concerne cet épisode. Ce qui nous invite à analyser minutieusement les éléments contenus dans le texte.
Quels sont les enseignements que la Thora nous transmet à travers cet épisode, qui peut sembler énigmatique par le choix des détails révélés et des éléments qui semblent manquants ?
Nos maîtres nous ont appris que la Thora n’est pas un simple livre d’histoire, même lorsqu’il s’agit de narration de faits. Chaque mot possède un sens exact, et il est mentionné dans un but précis.
En cherchant à pénétrer ces enseignements, nous allons découvrir des notions nouvelles sur le comportement humain en général, et sur la femme en particulier, sur son rôle extraordinaire, et sur l’importance fondamentale de la pudeur (tsniout).
Cherchons donc les raisons et les causes de l’acte terrifiant de ce blasphémateur, qui était présent peu de temps avant, avec tout le peuple juif, à la révélation du Mont Sinaï. C’est là d’ailleurs qu’il entendit le Nom Ineffable, qu’il va plus tard proférer et blasphémer (Rachi Lévitique 24 ; 11).
Sa présence lors d’un événement si élevé, si saint, ne fait que renforcer la question :
Comment cet homme a-t-il pu atteindre une telle dégradation morale ?
Ce sont les midrachim qui vont nous aider à percer le mystère…
Manque d’hospitalité ?
Une première opinion citée dans midrach (Sifra) nous révèle d’abord que ce fut à la suite d’un litige qui opposa cet homme à la tribu de Dan qu’il se laissa aller à blasphémer.
Cet homme voulait planter sa tente dans leur camp et la tribu s’y opposa et l’en empêcha.
Moïse et son tribunal donnèrent raison à la tribu de Dan. C’est en sortant de ce tribunal que l’homme blasphéma le Nom divin.
Mais pourquoi la tribu de Dan refusa le droit à cet homme de séjourner dans leur camp ? C’est qu’il existait une loi selon laquelle : « Rangés chacun sous une bannière distincte, d’après leurs tribus paternelles, ainsi camperont les enfants d’Israël» (Nombres 2 ; 2).
N’étant issu de a tribu de Dan que du côté de sa mère, cet homme ne pouvait pas revendiquer une place dans ce camp.
Rabbi Yerou’ham de Mir fait une remarque à ce sujet : même si cet homme ne pouvait exiger une place dans le camp, la tribu de Dan aurait pu lui accorder l’hospitalité. La seule raison qui peut expliquer leur refus est que ce dernier était déjà connu pour son niveau moral très bas. Ce qui explique sa réaction violente, après avoir été débouté par Moïse.
Et nos Maîtres enseignent qu’il faut s’éloigner à tout prix d’un mauvais voisin pour éviter son influence néfaste.
Mais ces raisons, qui provoquèrent le blasphème, ne répondent pas à notre question : Comment, dans un contexte aussi pur et plein de sainteté que celui de la révélation sinaïtique, a-t-il pu pousser une telle mauvaise herbe ?
Pour répondre à cette question, le Midrach (cité par Rachi, Exode 2 ; 11) rapporte un événement qui remonte avant la libération d’Egypte :
«Il (Moïse) aperçut un Egyptien frappant un hébreu, l’un de ses frères. Il se tourna d’un côté puis de l’autre et ne voyant paraître personne, il frappa l’Egyptien et l’ensevelit dans le sable» (Exode 2 ; 11).
Découvrons ensemble qui était cet Egyptien…
Dans la pénombre
Le Midrach raconte : « Chaque groupe de dix Israélites avait à sa tête un surveillant israélite. Un commissaire égyptien dirigeait chaque groupe de dix surveillants israélites.
Il arriva qu’un commissaire égyptien se rendit dans la maison d’un des surveillants juifs de son groupe, et vit que sa femme était belle de visage.
Chaque matin, à l’aube, les commissaires allaient réveiller les surveillants pour qu’ils commencent leur travail dès la levée du jour.
L’Egyptien attendit le jour suivant et à l’aube, il fit sortir le surveillant juif de chez lui. Il retourna ensuite dans sa maison et s’introduit dans la pénombre.
Il approcha sa femme, qui pensa que c’était son mari, et elle se trouva enceinte.
Un peu plus tard, le mari de cette femme revint, et vit l’Egyptien sortir de chez lui. Questionnant sa femme, il comprit ce qui s’était passé.
Mais le commissaire égyptien comprit bien vite que son acte avait été découvert, et assigna le surveillants juif aux travaux forcés, et le frappait sans cesse avec l’intention de le tuer.
Alors que Moïse vit l’Egyptien frapper le Juif, L’Esprit divin lui dévoila ce qui s’était passé dans la maison du Juif, et Moïse ensevelit l’Egyptien dans le sable, en mentionnant le Nom Ineffable.
La femme dont il est question dans ce passage avait pour nom Chelomith bat Divri. Et l’enfant qui naquit de cette union devint, bien des années plus tard, l’homme qui profanera le Nom divin, le même nom que Moïse avait utilisé pour ensevelir son « père », l’Egyptien qui avait abusé de sa mère.
Il est bon de préciser que le Midrach lui-même atteste de la bonne foi de cette femme, qui a réellement cru qu’il s’agissait de son mari.
A première vue, il s’agit d’un incident très regrettable mais qui ne porte pas véritablement à conséquences.
D’après la loi juive (Hala’ha), ce cas entre dans la même catégorie que celui d’une femme mariée, qui aurait été violée, et qui reste permise à son mari.
Cela concerne tous les couples, sauf dans le cas d’un Cohen, qui, de par sa sainteté, a le devoir de répudier sa femme dans une telle situation.
Pourtant, et malgré le fait qu’on ne remette pas en cause la bonne foi de Chelomith bat Divri, le Midrach est très sévère à son égard. Et trois textes vont dans ce sens.
« Chalom ! »
Le premier texte (Rachi Lévitique 24 ; 11) : « C’est un honneur pour Israël que la Thora ait publié le nom de cette femme, car il vient souligner qu’elle était
la seule qui méritait le qualificatif de « zona » (prostituée).
Le deuxième texte voit dans le nom de cette femme une allusion à son attitude générale, attitude qui explique sa mésaventure.
Chelomith : elle était bavarde et entamait la conversation avec tous, en commençant par dire « Chalom » (c’est la même racine que Chelomith).
Chalom aux hommes, aux femmes, et à toute l’assemblée (chalom ala’h, chalom alaï’h, chalom alei’hon, en araméen).
Fille de Divri : Divri, qui a pour racine Davar, parole. Elle n’était pas avare en paroles et parlait avec tous, ce qui entraîna sa terrible aventure.
Un troisième texte (midrach Vayikra Rabba 32 ; 5) ajoute que quatre éléments ont permis la libération du peuple d’Israël d’Egypte : les Juifs ne changèrent pas leurs noms, ni leur langue, ils ne pratiquaient pas la médisance (lachon hara) et il n’y avait pas parmi eux de personnes débauchées (paroutz baérva).
La meilleure preuve est qu’il n’y eut qu’un seul cas de débauche, celui de Chelomith bat Divri, son nom ayant été publié par la Thora dans le but de préciser que ce fut
la seule exception.
Comment concilier une accusation aussi grave et le témoignage du même Midrach, qui confirme qu’elle ignorait totalement que ce fut un étranger qui l’approcha ?
Comment la Thora peut-elle fixer une honte éternelle sur Chelomith bat Divri et sa famille, alors qu’elle semble innocente ?
Peut-on définir son comportement comme étant de la débauche, et qualifier ainsi cette femme de prostituée ?
En réalité, de nombreux commentateurs (Rabbénou Bahya, la Maharal et d’autres), expliquent que le terme de zona (prostituée) est parfois employé par la Thora pour une femme qui a eu des relations, même sous la contrainte, avec une personne qui lui est interdite (cf. Lévitique 21 ; 7 – Talmud Yébamoth 61).
Le sens que nous donnons aujourd’hui au mot prostituée n’est pas forcément le même que celui donné par la Thora, le sens moderne étant plus restreint.
En revanche, Rabbi Morde’haï Yaffé (16ème siècle), l’un des géants de la Thora, contemporain du Maharal, auteur du Sefer Halevouchim, prend à la lettre les mots de Rachi.
La puissance de l’attirance
D’après lui, le manque de réserve de Chelomith bat Divri, et son affabilité excessive, entraîna que l’Egyptien soit attiré par elle.
C’est pourquoi cette épreuve n’est qu’une conséquence de son comportement. La Thora nous apprend ici que l’on est responsable des conséquences d’une attitude légère, dans le cas où cette attitude aurait des suites tragiques.
C’est pour souligner cet enseignement que nos Maîtres emploient un terme aussi fort. Cette femme est appelée prostituée, car même si elle n’a pas voulu consciemment que cet incident se produise, elle l’a causé par son attitude.
Le qualificatif « débauchée » est clairement écrit dans le Midrach (paroutz baerva). Ce terme doit être compris dans le même ordre d’idées.
La Thora, qui connaît les secrets de l’âme, dévoile qu’il ne faut en aucun cas minimiser la puissance de l’attirance vers les mauvaises mœurs.
A ce sujet, il est intéressant de noter que le Talmud (Sanhédrin 63b) affirme que le peuple d’Israël a toujours été conscient de la futilité des idoles, mais que la seule raison qui l’a poussé, à certaines époques, à s’adonner à l’idolâtrie fut l’attirance vers les mauvaises mœurs.
Ainsi libérés des contraintes de la Thora, les Juifs pouvaient s’adonner à la débauche, en toute bonne conscience.
Cette attirance est si forte, et possède une telle puissance, qu’il n’existe pas de situation intermédiaire entre la chasteté et la débauche.
Si l’on met un seul pied dans la spirale vers les mauvaises mœurs, on quitte la chasteté pour perdre toute protection contre la débauche.
Par son comportement, Chelomith bat Divri a fait sauter toutes les barrières qui permettent de contrôler cette faiblesse, et de la diriger dans un sens positif.
C’est pourquoi la Thora la qualifie de débauchée, même si l’aventure qu’elle a vécue pouvait être expliquée par des circonstances atténuantes (cf. ‘Hidouché halev ad hoc).
Un texte de rabbénou Bahya dans son commentaire sur la Thora (ad hoc) complète ces enseignements et nous dévoile un nouvel aspect du rôle extraordinaire de la mère juive.
En raison de l’importance de ce texte, nous le citons in extenso :
« Le nom de sa mère était Chelomith bat Divri : Lorsque l’on voit chez une personne de l’insolence et des traits de caractère négatifs, c’est que sa mère a eu une relation interdite ou des mauvaises pensées.
Si la Thora ne mentionne le nom de la mère du blasphémateur qu’après avoir raconté l’acte de ce dernier, c’est pour nous faire comprendre que c’est sa mère qui est à l’origine de cette faute.
La raison profonde de ce phénomène est que l’embryon se crée dans le placenta de la mère et qu’il grandit dans son corps.
Après sa naissance, il continue d’être nourri par elle. Cela entraîne que son caractère est marqué de façon beaucoup plus forte par la mère que par le père.
Ses actes ressembleront plus à ceux de sa mère qu’à ceux de son père.
C’est la raison pour laquelle les Rois d’Israël sont toujours mentionnés avec le nom de leur mère.
Cela est d’autant plus vrai dans le positif : lorsqu’un homme est juste, humble, et plein de vertus, c’est une preuve absolue que sa mère était pudique et que ses pensées étaient pures. Ce sont ces qualités qui lui ont fait mériter un tel enfant.
La branche est un témoin de la qualité de la racine… c’est ce que le Roi David a exprimé quand il dit :
« Oh ! Grâce, Seigneur, car je suis ton serviteur, je suis ton serviteur, fils de ta servante » (Psaumes 116 ; 16).
Des quelques lignes de Rabbénou Bahya, se dégage une leçon de vie : La réserve et la pudeur de la femme juive vis à vis des hommes n’est pas seulement une vertu, c’est une nécessité absolue, c’est un mode d’éducation et de vie.
Et cela concerne toutes celles qui veulent garder la fierté et l’honneur d’être une bat Israël (fille d’Israël), et qui veulent que se réalise leur espoir d’avoir, pour reprendre les mots de Rabbénou Bahya, des enfants justes, humbles et pleins de vertus…