Parachath Vayikra

L’offrande merveilleuse

Rav Eliahou Elkaïm

La première partie du Lévitique est consacrée presque exclusivement aux lois concernant les offrandes apportées au Temple. Face à cet acte sacrificiel que nous ne connaissons malheureusement plus, nous sommes parfois déroutés. C’est pourtant l’occasion d’un accès direct aux sphères les plus spirituelles…

Dans son commentaire (Vayikra 1-9), Na’hmanide perçoit dans l’expression de la Thora « une combustion d’une odeur agréable au Seigneur », le sens caché et profond des sacrifices. Il cite ensuite Maïmonide, qui donne une nouvelle approche du sujet dans « Le Guide des égarés », approche que conteste Na’hmanide avec beaucoup de véhémence !

D’après Maïmonide, les offrandes représentent un moyen de lutter contre l’influence dangereuse des peuplades voisines du peuple juif, les Chaldéens et les Egyptiens. Ces derniers considéraient les animaux, notamment les agneaux et les brebis, comme l’incarnation d’une divinité, liée aux signes du Zodiac. Ainsi, ces animaux « divins » étaient protégés par ces peuplades.

D’autres civilisations, dont il reste encore aujourd’hui des représentants, voyaient dans la vache un « être divin ».

Pour Maïmonide, le sacrifice de ces bêtes en offrande au Créateur, permet d’écarter ces croyances du cœur des Juifs. Ayant consolidé sa foi en un D.ieu unique, le peuple d’Israël pourra mériter le pardon divin.

Fausses croyances

Contre cette théorie, Na’hmanide émet de très fortes objections.

D’abord, comment concevoir que ce qui est décrit comme « pain divin, d’une odeur agréable au Seigneur », ne soit qu’un moyen didactique pour une prise de conscience de la futilité des croyances païennes ?

En outre, le principe des offrandes ne date pas de cette époque et remonte bien avant les Chaldéens et les Egyptiens. Abel, puis Noé, offraient déjà des présents au Créateur. D’après nos maîtres, Adam lui-même a sacrifié en l’honneur de D.ieu. Si ce n’est pas dans l’optique d’une lutte contre des coutumes païennes, quel était donc le but de ces sacrifices ?

Plus encore, sacrifier ces animaux sur l’autel divin aurait pu entraîner l’effet inverse : renforcer le caractère supérieur de ces bêtes. Pour lutter contre les fausses croyances, et dissiper le prétendu pouvoir surnaturel de ces animaux, mieux aurait valu inciter à la consommation de leur viande.

En fonction de ces arguments, Na’hmanide propose une autre explication.

L’acte humain est composé de trois éléments : « Maassé, Dibour, Ma’hachava ». L’acte, la parole et la pensée.

Si l’on veut réparer les mauvais actes des hommes, il faut agir sur ces trois pôles. Et les différents stades du déroulement du sacrifice sont en rapport avec ces éléments.

Il faut d’abord appuyer ses mains sur la tête de l’animal, ce qui représente l’acte. Ensuite, il faut confesser sa faute, ce qui est lié à la parole. Les organes internes de la bêtes qui sont consumés sur l’autel sont en rapport avec les organes liés à la pensée et la convoitise.

On retrouve ensuite le symbole de l’âme elle-même dans le sang versé sur l’autel, et celui de l’action proprement dite avec les pattes de l’animal.

Ce cérémonial très réglementé, a pour but d’éveiller en l’homme la sensation profonde que sa faute aurait du entraîner qu’il subisse le sort de cette bête. Car les trois éléments qui constituent son acte ont été touchés et salis par cette faute.

En « s’identifiant » à la bête au moment du sacrifice, l’homme ressent profondément sa faute et peut ainsi accéder au pardon de D.ieu.

Na’hmanide ajoute que cette explication est la plus proche de notre perception.

La Kabbale, elle, nous dévoile un sens plus profond du sacrifice.

Il est important de préciser que, dans la mesure où le but ultime de toute créature est de se rapprocher de son Créateur, le fait d’être sacrifiée sur l’autel divin est une élévation et un mérite pour la bête elle-même, qui remplit ainsi son rôle de façon absolue.

Se rapprocher de son Créateur

En réalité, l’explication de Maïmonide n’exclue en rien d’autres sens, plus profonds, du sacrifice. Ce dernier, dans un autre texte (Yad ha’hazaka, Lois de Meïla, chap 8-8) apporte un nouvel éclairage au sujet.

« L’homme a le devoir d’approfondir sa compréhension du sens des lois de la Thora et de trouver des explications selon ses moyens. Cependant, s’il ne trouve pas de raisons à ces lois, il ne doit pas réagir avec légèreté et utiliser sa réflexion comme pour un sujet profane. »

La Thora nous enjoint : « Vous observerez tous Mes décrets et toutes Mes règles».

Les règles (Michpatim) sont les lois dont la raison est rationnelle et claire, comme par exemple l’interdiction de voler ou de tuer, ou l’obligation de respecter ses parents.

Les décrets (’Houkim) sont des lois dont le sens est plus caché, comme par exemple les lois concernant les aliments, et la vache rousse. La Thora nous enjoint à ne pas nous poser des questions sur ces lois et à ne pas hésiter à les accomplir.

C’est seulement en accomplissant les lois et les décrets que l’on peut prétendre au monde futur.

Toutes les lois des offrandes (Korbanoth), ajoute Maïmonide, font partie de la catégorie des décrets. C’est ce que nos maîtres nous ont enseigné dans la Michna de Pirké Avoth (1 ; 2) : le monde existe et subsiste grâce au service divin que sont les offrandes.

Maïmonide développe ici un principe fondamental : il faut s’efforcer, autant qu’on le peut, de comprendre le sens des décrets, sans que cette approche nous fasse perde de vue le but primordial des mitsvoth: l’effacement total devant l’aspect transcendant de ces lois.

Ajoutons à cela un élément linguistique. «Sens» en hébreu se dit « taam », qui possède une deuxième acception : « goût ». Il faut chercher à trouver du goût dans l’accomplissement des mitsvoth sans les soumettre totalement à notre esprit cartésien. Ce serait les vider de leur substance : s’effacer devant la volonté divine.

Nous comprenons mieux à présent la conception du sacrifice de Maïmonide dans le « Guide des égarés. » La réaction aux théories païennes est l’explication la plus appréhendable par l’esprit humain. Mais cette explication n’exclue en rien d’autres raisons, bien plus cachées.

Le premier pilier du monde

Maîmonide a cité la Michna dans Pirké Avoth (1 ; 2) : « Le monde repose sur trois piliers : la Thora, le service divin, et la bienfaisance. »

Le commentaire de Rabbi ‘Haïm de Volozhine « Roua’h ‘Haïm » sur cette Michna permet d’accéder à une compréhension plus profonde des sacrifices.

Rabbi ‘Haïm de Volozhine explique que cet axiome est le véritable « mode d’emploi » de la création toute entière.

D’après nos maîtres, le monde matériel dans lequel nous vivons ne fonctionne que grâce à l’abondance (chefa) qui provient des sphères célestes, et qui est retransmise à notre univers. Mais cette abondance ne peut être produite que par une seule chose : l’étude de la Thora.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre nos maîtres quand ils affirment que si un seul instant, à tous les points du globe, l’étude de la Thora s’arrêtait, le monde cesserait d’exister.

Grâce à l’étude de la Thora, se créé, dans les sphères célestes, le carburant qui fait fonctionner l’humanité. La Thora est donc le premier pilier du monde.

Le deuxième pilier, le service divin, remplit un autre rôle, celui de rattacher le monde matériel aux sphères célestes, permettant ainsi à l’abondance de parvenir à l’humanité.

Le service divin remplit une fonction qui complète l’étude de la Thora, même si elle fonctionne dans un sens inverse : l’étude des textes saints agit directement dans le monde de l’esprit alors que le service divin élève le monde matériel et le rattache à la divinité.

C’est la raison pour laquelle les offrandes sont constituées de tous les éléments qui forment notre univers. Le monde inerte est représenté par le sel.

Le monde végétal par les farines, l’huile, le vin et les encens, le monde animal par les bêtes sacrifiées sur l’autel. Ces éléments, déposés et brûlés sur l’autel de D.ieu, peuvent ainsi être rattachés aux sphères célestes et créer de cette façon le lien entre le monde matériel et le monde supérieur.

C’est une véritable science que devait maîtriser les prêtres. C’est ce qu’explique le Ram’hal (Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato) dans son ouvrage « Daat Tevounot ». Les prêtres devaient posséder la Connaissance qui leur permettait, à travers leurs intentions au moments du service divin, (Kavanoth), de relier chaque élément de la création à son Créateur.

C’est à ce propos que le prophète Mala’hi ( 2 ; 7) déclare : « C’est que les lèvres du Pontife doivent conserver la science ».

Depuis la destruction du Temple, le monde n’a plus mérité de posséder ce moyen de faire fonctionner la Création.

D’après nos maîtres, le rôle extraordinaire rempli par les prêtres à travers le service divin a été remplacé par les prières du peuple d’Israël.

Les secrets de la Création

C’est pour cela que chacune de nos prières quotidiennes est liée à l’une des offrandes journalières.

Cha’hrit

correspond à l’offrande du matin (Korban hatamid chel cha’har).

Min’haà l’offrande de l’après-midi (Korban hatamid chel ben ha’arbanïm).

Arvit

aux parties des offrandes qui étaient brûlées sur l’autel durant la nuit.

Moussaf

correspond aux offrandes spéciales sacrifiées le chabbath, Roch ‘Hodech et les fêtes.

Rabbi ‘Haïm de Volozhine ajoute que ce n’est pas sans raison que les textes de nos prières ont été composés par les membres de la Grande Assemblée, dont plusieurs étaient prophètes. Car il fallait créer un texte, qui par son sens caché, aurait le même effet que le service divin accompli par les prêtres, ces derniers ayant accès aux subtilités de la Kabbale et aux secrets de la Création.

Le prières du peuple juif possèdent donc une amplitude d’action tout à fait extraordinaire. Le bon fonctionnement de toute la création étant lié directement à la qualité de ces prières.

Grâce à cet éclairage, les mots de notre prière quotidienne (Amida du chmoné essré) trouvent un sens tout particulier :

Agrée, Eternel, notre D.ieu, Ton peuple et sa prière. Rétablis le service dans le parvis de Ta maison. Les offrandes d’Israël et sa prière, accepte-les avec amour et bienveillance. Que le service de Ton peuple Israël Te soit toujours agréable.