Parachath Chemini
Vers la pureté et la sagesse
Rav Eliahou Elkaïm
Notre paracha accorde une place importante à la description détaillée des lois alimentaires enseignées par la Thora. Et nos maîtres nous enjoignent de ne pas être « dégoûtés » par les aliments proscrits. Pourquoi un tel conseil ?
Nous découvrons, dans la paracha de cette semaine, les lois alimentaires, avec les caractéristiques des animaux permis.
Les mammifères autorisés sont les ruminants qui ont un pied corné. Les poissons permis sont ceux pourvus de nageoires et d’écailles. Les oiseaux interdits (pour résumer), sont les rapaces et autres prédateurs.
Maïmonide, dans les « Huit chapitres » (chapitre 6), distingue deux catégories de lois fixées par la Thora.
D’une part, les lois qu’il détermine comme « si’hliot », rationnelles : elles sont admises par la société car interdisant des actes nuisibles comme l’assassinat, le vol, la tromperie, l’ingratitude, le manque de respect envers les parents…
D’autre part, les lois dont les raisons ne sont pas rationnelles, comme les interdits alimentaires, vestimentaires (loi du chaatnez, mélange de laine et de lin), …
Il se demande quelle attitude que doit avoir l’homme vis à vis de ces interdits, question d’ailleurs soulevée par de nombreux autres philosophes.
Les plus grands penseurs, cités par Maïmonide, affirmaient que tout homme doit tendre vers un niveau moral où il sera repoussé et dégoûté par les choses interdites. Maïmonide, se basant sur la pensée de la Thora, les rejoint en partie, mais conteste leur opinion quant aux lois qui ne sont pas rationnelles.
A ce propos, il cite le fameux texte de nos maîtres (Sifra, Parachat Kedochim).
Rabbi Shimon Ben Gamliel dit : « Un homme ne doit pas dire : ‘Je n’ai aucune attirance pour les aliments interdits, ni pour les vêtements formés de chaatnez, ni pour les unions interdites.’ Au contraire, sa réaction doit être : ‘Je suis attiré, mais que puis-je faire puisque mon Créateur les a interdit ?’ »
On le voit, la Thora prône une approche différente. Il ne faut pas être dégoûté, au contraire, il faut se sentir attiré et surmonter cette tentation.
Maïmonide précise que cette approche concerne exclusivement les lois non-rationnelles.
Et ce sont ces lois qui sont mentionnées dans le texte du Sifra. En ce qui concerne les lois dites « rationnelles », celui qui ne ressent pas naturellement une désapprobation et un dégoût se trouve malheureusement à un niveau moral très éloigné de celui demandé par la Thora.
Mais comment comprendre ce texte ? La Thora nous enjoint-elle de ressentir une attirance pour les aliments interdits ? Quel est l’intérêt d’un tel conseil ?
La sortie d’Egypte va nous aider à comprendre ce qui paraît, à première vue, une attitude surprenante…
Un élément destructeur
A la fin des interdits alimentaires énoncés dans notre paracha, la Thora conclue : « Car Je suis l’Eternel, qui vous ai fait monter du pays d’Egypte pour être votre D.ieu, et vous serez saints, parce que Je suis saint » (Lévitique 11 ; 45).
Rachi, sur ce verset, rapporte le Talmud (Baba Metsia, 61b) : « Partout ailleurs, il est écrit : ‘Je vous ai fait sortir. Ici : Je vous ai fait monter. A ce propos, il fut enseigné à l'école de Rabbi Ichmaël : ‘Si Je n’avais fait monter Israël d’Egypte seulement pour qu’il ne se rende pas impur en consommant des animaux rampants comme les autres nations, cela eût suffit, et c’est une ascension pour eux, c’est ce que signifie le terme ‘hamaalé’, faire monter. »
Il faut savoir qu’à l’époque de l’Egypte, (comme d’ailleurs encore aujourd’hui dans certains pays), on mangeait les serpents, les lézards, et autres rampants…
Rabbi Sim’ha Zissel, Ziev, le fameux Sabba de Kelm, remarque à ce sujet :
Pourquoi la connaissance de ces interdits requérait-elle de sortir d’Egypte ? N’aurait-il pas été possible d’enseigner ces lois en Egypte, évitant ainsi au peuple d’Israël de se souiller par la consommation de ces aliments ?
Pour donner une réponse à cette question, il se reporte à certains textes kabbalistiques.
D’après ces textes, le châtiment de celui qui enfreint les lois de la Thora n’est pas un élément en soi, mais une partie intrinsèque de la faute elle-même.
De même qu’un aliment avarié peut nuire gravement à son consommateur, la faute possède un élément destructeur qui va entraîner directement le châtiment.
La nature nous montre qu’un même aliment peut provoquer des réactions différentes en fonction de qui le consomme.
Un aliment avarié pourra rendre malade un être humain, alors qu’il n’aura aucun effet sur un animal, sur un chien par exemple.
La nature plus délicate de l’être humain peut expliquer ce phénomène.
Un animal est moins vulnérable parce que son organisme est plus « grossier ». Par une certaine élévation, l’être humain ne supporte pas un aliment parfaitement toléré par un animal.
Grâce à cet éclairage, nous pouvons maintenant comprendre le sens des paroles de nos maîtres au sujet de la sortie d’Egypte.
La sortie d’Egypte n’a pas seulement libéré le corps des Juifs, mais les a élevés à un autre niveau spirituel de pureté, qui les rend inaptes à la consommation de certains aliments.
Les lois alimentaires sont donc effectivement liées à la sortie d’Egypte. C’est seulement après sa libération que le peuple d’Israël atteindra le niveau de pureté qui l’empêchera de supporter la consommation des aliments interdits.
C’est l’Eternel qui octroie la sagesse
Par ailleurs, nos maîtres expliquent les raisons profondes des lois alimentaires, qui sont liées à la nature même des animaux.
En bref, les oiseaux de proie sont proscrits à cause de leur nature cruelle qui influencerait la nature humaine. Et les poissons interdits sont ceux en général qui vivent au fond de la mer, la densité et la température entraînant une physiologie différente et néfaste pour l’homme (cf. Na’hmanide, Rabbenou Bahya et d’autres encore…)
Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato (le Ram’hal) dans « Le sentier de la rectitude », ajoute une nouvelle dimension au sujet (chapitre 11 ; 4).
« Celui qui considère avec légèreté les interdits alimentaires porte un préjudice grave à son âme.
‘Ne vous rendez pas vous-mêmes immondes en consommant toutes ces créatures rampantes. Ne vous rendez pas impurs par elles, vous contracteriez l’impureté.’ (Lévitique 12 ; 43).
Nos maîtres expliquent ce verset en disant que les aliments interdits inoculent l’impureté dans le cœur et l’âme de celui qui les consomme, au point que la sainteté divine s’éloigne de lui et le quitte (Yoma 39 a).
Le mot « venitmeten » qui se traduit littéralement par « vous vous rendrez impurs », peut être également compris dans le sens de « venitamtem », vous serez « abîmés ».
Car la faute altère le cœur de l’homme, lui ôtant la clarté d’esprit et la sensibilité que D.ieu accorde habituellement à Ses serviteurs, comme il est dit : « C’est l’Eternel qui octroie la sagesse » (Proverbes 2 ; 6).
A l’inverse,l’esprit de celui qui consomme des aliments interdits restera attaché à son animalité et ancré dans la matière,
dans la grossièreté du monde d’ici-bas.En outre, les aliments interdits sont très nuisibles, peut-être de façon plus concrète encore que d’autres interdits, dans la mesure où ils sont ingérés par l’organisme et en deviennent une partie intégrante.
L’homme lucide considère donc les aliments interdits comme un véritable poison pour le cœur et l’âme. »
Recevoir la sagesse divine
Si les aliments interdits sont comme autant de dangers pour la pureté de l’homme, comment comprendre les paroles du Sifra citées par Maïmonide ?
En effet, si l’on a compris le danger des aliments interdits, comment ne pas en être pour le moins dégoûté ?
D’abord, il faut expliquer que la Thora ne nous demande pas de développer une envie des aliments interdits pour que nous puissions ensuite nous plier avec plus de sincérité devant la volonté divine, qui ne donne pas d’explication sur ses motivations. Ce serait mal comprendre le sens véritable des paroles de nos maîtres.
Au contraire, la Thora veut que nous soyons écœurés, mais certainement pas pour des raisons rationnelles. Pour se conformer à des lois non-rationnelles, il faut être motivé par des raisons non-rationnelles.
Car être écœuré pour des raisons de raffinement ou d’hygiène comporterait un autre danger : celui de ressentir un véritable envie (et peut-être même de nous entraîner à en manger) si ces mêmes aliments nous étaient présentés d’une autre manière, ou alors dans un contexte qui nous correspond mieux, …
Notre répugnance doit être totale, mais dictée par une seule et unique raison : c’est que la Thora nous interdit ces aliments.
Nous avons une mitsva d’étudier les lois de la Thora, et par là même nous parvenons à une certaine compréhension et connaissance des choses.
Mais notre répulsion devant les aliments interdits, même si elle peut être « nourrie » par nos connaissances, ne doit pas trouver son fondement seulement dans ce savoir, puisqu’il restera toujours limité.
C’est le fait que D.ieu nous interdise certains aliments, (et cela pour des raisons qui nous dépassent), qui doit nous en dégoûter. Là se trouve le sens véritable des paroles de Maïmonide.
Il est intéressant de noter que pour les interdictions dont les raisons sont rationnelles, il est nécessaire de développer un certain dégoût, motivé cette fois par la raison. Ne pas être écœuré par des actes comme le vol ou l’assassinat signifie que le niveau moral est terriblement bas.
La base de la répulsion doit être naturelle, mais ce dégoût ne doit certainement pas être limité au sentiment humain seul. C’est la Thora qui va nous enseigner quels sont les actes qui sont répréhensibles.
Dans le domaine du meurtre par exemple, chacun est choqué par une personne qui tue. Mais pour savoir quelle doit être notre réaction face à l’euthanasie, les opinions diffèrent, alors que la Thora définit cet acte comme un meurtre pur et simple.
Pour tous les interdits alimentaires, c’est seulement le fait que D.ieu ait proscrit certains animaux, qui doit provoquer notre dégoût.C’est ainsi que nous pourrons atteindre l’objectif si bien définit par le Ram’hal et espérer que nos cœurs et nos âmes restent purs, et ainsi recevoir la sagesse divine.