Chabbath Parachat Chela'h Le'ha

LE LACHON HARA

Une simple lecture de notre paracha permet de prendre la mesure de l’extrême gravité de la médisance – le Lachon haRa. L’énormité du châtiment semble disproportionné face à ce qui apparaît n’etre qu’une simple erreur de jugement. Les explorateurs envoyés par Moshé pour préparer la conquête de Canaan rendent un rapport alarmiste. Ce pays qui dévore ses habitants ne conviendrait pas au peuple fraîchement sorti d’Egypte. Par ailleurs, il semble imprenable. Pour avoir accepté cette médisance c’est l’ensemble du peuple qui sera punis. Il devra poursuivre son errance dans le désert pendant quarante ans, et aucun des adultes n’aura le mérite de fouler la terre promise.

Des siècles plus tard c’est encore du fait de la médisance que le beit hamikdash[N1] –le second temple de Jérusalem, lieu de proximité divine- sera détruit et le peuple dispersé dans un ultime exil. La longueur de cet exil renseigne à nouveau sur l’aspect résolument destructeur de la médisance.

La malfaisance de la médisance tient tout d’abord dans le dommage causé à celui qui en est la triste cible. Chacun sait que l’on peut nuire avec la parole plus qu’avec des gestes et des faits. Le mal que l’on prête à autrui, qu’il soit authentique ou mensonger, lui collera dès lors à la peau. Quiconque à une fois écouté une médisance sans protester ni réagir, sait que depuis elle s’inscrit dans son jugement comme un préjugé défavorable dont il a bien du mal à se défaire.

La médisance est pure violence faite à la dignité du sujet. Elle transforme l’homme qui en est la cible, en pur objet, que l’on jauge, définit et inscrit dans des concepts réducteurs et infamants. C’en est fini de la hauteur infranchissable du visage de l’homme.

La médisance est ruine du pouvoir de la parole à rattacher les hommes et à les unir. Chaque sujet est unique, différent de tout autre homme. Seule la parole partagée permet que cette unicité ne fasse pas de lui un éternel solitaire. La communauté des uniques où le rapport n’est pas identification des termes, où la relation préserve et nourrit la distance s’instaure autour de la parole. Dans la terminologie talmudique le plus grand rapport d’intimité s’énonce comme parole. (voir kétouvot 13 « si l’on a vu une femme ‘parler’ à un homme…).

Le pouvoir unifiant de la parole se découvre déjà dans la technicité du langage. La langue est unification de syllabes et de mots qui sont inscrits dans un même ordre. Le vocable Lachon désignant la langue est construit à partir de la racine Lash (pétrir une pâte).

Dans la pâte les grains de farine s’unissent au contact de l’eau. Les lettres et les syllabes sont comme ces pierres à partir desquels on construit une maison. L’homme unifie ces éléments disparates dans un seul discours.

Si l’homme est définit comme être de langage (voir Ounekelos sur Bereshit 2 ,7) c’est que ce schéma de construction logique du discours témoigne d’un enjeu existentiel crucial. Ce n’est pas que dans sa parole que le sujet fait preuve de ce pouvoir unifiant ; Le monde se présente au sujet dans sa plus totale disparité. Si l’homme moderne peut se dire effrayé par le mutisme glacé de la nature, le sujet sait y lire la présence du Créateur. « Les cieux sont roulés comme un livre » ( Yshaya 34,4). La nature se présente tel un livre où chacun des éléments signifie comme lettre. Le monde est lieu où passe la transcendance, il est livre qui raconte cette passée du Créateur. Pour autant le grand livre de la nature ne ce lit pas aisément. Les lettres y sont présentes mais sans aucun agencement, ni ordre préétabli. Seule le sujet leur confère un sens en les unifiant selon son propre ordre. Toutes les lectures sont donc possibles ; de la plus authentique à la plus erronée. Faut-il préciser que cette lecture du monde et de la vie n’est pas un acte intellectuel, logique et discursif. Il est le propre de l’existence de chacun. Ce sont les faits et gestes de chaque moment de la vie qui confère au monde de chacun sa consistance et sa configuration unique.

C’est parce que l’œuvre de la vie est d’unifier que l’homme peut à travers le langage s’unir à autrui.

La médisance transforme la parole en outil de dispersion et de conflit. La parole est dévoyée, elle devient malfaisante. Le lachon est définit comme Ra, catégorie qui avant de signifier le mal désigne la rupture et la discontinuité.

La médisance est bien fin du sujet, ruine de toute l’aventure humaine.

La paix si attendue-le Chalom- est en définitive résurrection du langage, dignité retrouvée de la parole, fin de toute médisance.