Chabbath Parachat Térouma

L’amour, sans aucun calcul

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Faire don de pierres précieuses d’une valeur inestimable peut paraître le summum de la générosité. La Thora va nous faire découvrir d’autres aspects, cachés et subtils, de cette vertu. Et la valeur financière n’y occupe pas la place la plus importante…

La paracha de cette semaine commence par l’ordre divin qui invite les membres de la communauté d’Israël à apporter leurs offrandes pour la construction du sanctuaire.

La Thora énumère, dans un ordre spécifique, les différents éléments requis pour la fabrication du sanctuaire.

« Et voici l’offrande que vous recevrez d’eux : or, argent et airain ; de l’azur, de la pourpre, de l’écarlate, du lin et du duvet de chèvre ; des peaux de béliers teintes en rouge, des peaux de ta’hach et des bois de chitim ; de l’huile pour le luminaire, des aromates pour l’huile d’onction et pour la combustion des parfums, des pierres de choham et des pierres à enchâsser, pour l’éphod et pour le ‘hochen » (Exode 25 ; 3-7).

On le voit, ces éléments sont cités dans un ordre qui correspond à celui de leur valeur financière : l’or y figure en première place, suivi par l’argent et l’airain, précédant ainsi l’azur, le pourpre…

Pourtant, les pierres de choham et les pierres à enchâsser se trouvent en fin de liste, alors que, d’après les enseignements de nos maîtres, la valeur de ces pierres précieuses dépassait de très loin celles des autres offrandes.

Le Talmud rapporte (Kidouchin 31a) que les maîtres d’Israël ont payé la somme fabuleuse de 800 000 pièces d’or à Dama ben Nétina en échange des pierres à enchâsser dans le Ephod.

[D’après le Talmud de Jérusalem (Péa 3a), c’est une seule des pierres, celle de Benjamin le Jaspe, qui a été perdue et qu’il fallait remplacer.]

Comment comprendre, dans ces conditions, leur position en fin de liste dans l’énumération des offrandes ?

' La manne et les perles

Rabbi ‘Haïm ben Attar (le Or Ha’haïm hakadoch) soulève la question dans son commentaire et propose deux réponses qui vont nous permettre de découvrir la subtilité avec laquelle la Thora analyse les actions humaines.

Dans la paracha Vayakhel, l’écriture précise que ce sont les phylarques, les princes de la communauté (Nessiim) qui offrirent ces pierres.

« Quant aux phylarques(Nessiim),ils apportèrent les pierres de choham et les pierres à enchâsser, pour l’Ephod et le pectoral » (Exode 35 ; 27)

Nos maîtres (Talmud Yoma 75a) précisent également la provenance de ces pierres, en utilisant un deuxième sens du mot Nessiim. Car

Nessiim

en hébreu peut également être compris comme « nuages » (cf. Proverbes 25 ; 14)

Cela exprime le fait que des nuages répandent en même temps que la manne, des pierres précieuses et des perles.

Les princes trouvèrent ces pierres avec la manne qui leur était réservée (voir également Chemoth Rabba 33 ; 8)

A partir de ces éléments, le Or Ha’Haïm explique la raison pour laquelle ces pierres sont citées en dernier dans l’ordre des offrandes.

Les princes n’ont pas eu à fournir de grands efforts pour se procurer ces pierres.

C’est pourquoi, même si la valeur marchande de ces pierres est bien plus élevée que celle des autres offrandes, le don (nédava) des princes ne peut atteindre la même valeur intrinsèque que celui des autres membres de la communauté d’Israël, qui offrirent des biens acquis par leurs efforts personnels.

'« Maître du monde, est-ce que les Juifs en sont capables ? »

Pourtant, une objection semble inévitable :

Ce n’est pas un hasard si ce sont les princes, et eux seuls, qui ont mérité de trouver dans la manne ces pierres précieuses d’une valeur inestimable.

C’est D.ieu Lui-même qui les leur a accordées, et ce miracle ne peut être expliqué que par leur très haut niveau moral et leur aspiration profonde et sincère. C’est seulement cette aspiration, qui habitait tout leur cœur, d’être à même d’offrir ces pierres, qui leur fit mériter cette réponse divine.

C’est ce que le Midrach (ibid.) exprime :

« Lorsque D.ieu a présenté à Moïse le plan du Tabernacle, ce dernier s’est étonné :

‘Maître du monde, est-ce que les Juifs seront capables de le fabriquer ?’

D.ieu lui répondit :

‘Même un seul Juif peut en être capable’ »

Ainsi l’exprime le verset : « De tout homme qui sera porté par son cœur» (Exode 25 ; 2)

Les ‘ha’hamim disent : la preuve que tout homme est capable potentiellement de construire le sanctuaire, c’est que la manne était accompagnée de pierres précieuses et de perles, ce qui prouve que lorsqu’un homme désire de tout son cœur réaliser une bonne action, D.ieu lui envoie les moyens pour ce faire. (Chemoth Rabba 33 ; 8)

Ce que D.ieu demande aux êtres humains, c’est de vouloir

de façon sincère et profonde.

Car le résultat reste, quoiqu’il en soit, l’apanage de D.ieu.

«Je crie vers le D.ieu suprême, vers le Tout-Puissant qui termine la tâche pour moi (lakel gomer alaï) » (Psaumes 57 ; 3)

C’est cet enseignement que D.ieu a voulu nous transmettre en prodiguant des pierres précieuses aux princes.

D.ieu n’avait pas besoin des princes pour que Moïse dispose des richesses nécessaires à l’édification du tabernacle. D.ieu aurait pu les envoyer directement à Moïse.

Mais les princes, par leur volonté et leur aspiration extraordinaire à vouloir participer à cette construction à la gloire du Créateur, vont déclencher cette aide divine et mériter d’être ceux qui vont offrir ces pierres (cf. Or Guedaliahou

ibid. et Chem Michmouel année 5674).

' Une partie de soi-même

Et pourtant… il n’en reste pas moins que ces pierres d’une valeur inestimable figurent en fin de liste !

Malgré leurs aspirations élevées, qui leur ont fait mériter de recevoir ces joyaux, il manquait aux princes l’élément de l’effort.

Rabbi ‘Haïm Chmoulevitz (Si’hoth Moussar

volume 2 p. 77) va nous éclairer plus encore.

L’effort crée un lien puissant entre l’homme et le résultat de son action.

Ce qu’il a obtenu en peinant devient véritablement une partie de lui-même.

Offrir le résultat de ses efforts permet à l’homme d’exprimer une nouvelle dimension de sa générosité de cœur (nédivouth lev) envers D.ieu.

Ce geste sublime élève le don à un niveau que même les pierres précieuses des princes n’ont pas atteint.

Rabbi Haïm Schmoulevitz va plus loin encore : C’est D.ieu qui a voulu que la nature humaine lie d’une façon si forte l’homme au fruit de son labeur, à la différence des autres créatures.

Pourquoi une telle décision ? Pour que l’homme puisse exprimer avec éclat, sa générosité de cœur, quand il se sépare du fruit de ses efforts, donc d’une partie de lui-même, pour une cause sacrée.

C’est là le secret de la Présence divine, qui va reposer sur des éléments matériels dans le Temple, chose à priori inconcevable, et rendue possible par le caractère spirituel donné au matériel par le biais de la générosité de cœur des Juifs (nédivouth lev)

On comprend à présent le rôle fondamental de cette nedivout lev et que dans une certaine mesure, son niveau était moindre chez les princes.

Le Or Ha’haïm apporte une deuxième explication pour répondre à la question de l’ordre des offrandes.

' Une grande noblesse

Rachi (Nombres 35 ; 27) rapporte les paroles de nos maîtres sur ce verset :

« Rabbi Nathan demande : ‘Pourquoi les phylarques apportèrent-ils leur offrande pour la fabrication du sanctuaire en dernier lieu, comme il ressort du texte de la Thora à ce sujet (Parachat Vayakhel), alors qu’ils seront les premiers à venir apporter leurs offrandes lors de l’inauguration du Sanctuaire (Nombres 7) ?

C’est qu’ils se disaient : « Que la communauté offre ce qu’elle a à offrir et nous compléterons ce qui manquera »

Or, quand le peuple eut apporté ses dons, il ne manqua que les pierres de choham et les princes ne purent rien apporter d’autre.

Ils furent blâmés pour ce manque d’empressement, et c’est ce qui explique que le mot nessiim

est écrit sans la lettre Youd, pour suggérer que leur don ait été diminué.

C’est pour cette même raison, poursuit le Or Ha’haïm, que les pierres sont citées en dernier, leur don par les Nessiim

ne parviendra pas à la même valeur absolue que celle des autres membres de la communauté, qui s’empresseront pour leur part d’apporter leur participation.

Rabbi ‘Haïm Chmoulevitz développe, à nouveau, le sens caché des paroles de nos maîtres.

' Une mitsva sublime

A première vue, la proposition des Nessiim paraît témoigner d’une grande noblesse.

Proposer de combler, quelque que soit son ampleur, ce qui ne sera pas couvert par les offrandes, semble provenir d’une générosité et d’une grandeur d’âme inégalée.

Et effectivement, ce sont les Nessiim qui vont apporter ce qu’aucun membre de la communauté ne pourra fournir : les pierres précieuses.

Mais la Thora connaît les secrets les plus subtils de l’âme et elle nous révèle que se cache dans cette attitude une très légère trace d’un manque d’entrain, de paresse (atslouth)

Nous retrouvons cette idée dans le texte du Chema Israël, et cela nous aidera à mieux comprendre ce qui est reproché au

Nessiim.

La mitsva de kiddouch Hachem (sanctification du Nom divin),mitsva qui veut que l’on choisisse la mort plutôt que de renier le Nom divin est exprimée par le verset :

« Tu aimeras l’Eternel ton D.ieu de tout ton cœur »(Deutéronome)

Pourquoi avoir choisi cette formulation ? En quoi l’ordre d’aimer D.ieu inclut-il la mitsva

de kiddouch Hachem

?

Celui qui aime ne fait aucun calcul, il ne réagit pas forcément en fonction de la logique.

C’est en aimant véritablement D.ieu de tout son cœur, que l’on sera porter à accomplir cette mitsva

sublime.

Si les princes avaient parfaitement possédé cette caractéristique de générosité de cœur, ils n’auraient pas fait le moindre calcul.

Ils auraient souhaité être les premiers à participer à l’offrande pour le sanctuaire.

Malgré le niveau extraordinaire des nessiim, niveau qui leur a fait mériter le miracle des pierres dans la manne, ils sont passés à côté d’un point fondamental : la Thora nous apprend que l’homme doit être sans cesse sur le qui-vive, prêt à agir quand il faut faire une mitsva.

Il doit, en permanence, se méfier de lui-même. Et quand un calcul, le plus logique et le plus sérieux du monde, lui fait penser qu’il devrait repousser l’accomplissement d’une mitsva, il lui faut immédiatement prendre conscience qu’il y a peut-être, à l’origine de sa décision, un soupçon de paresse, de manque d’entrain.

L’enseignement que nous a livré l’ordre des offrandes nous concerne tous, aujourd’hui plus que jamais…