Parachat Michpatim

Pour une justice du juste

Rav Moshé Tapiero

les Michpatim

sont un principe essentiel de la Torah ! (Ramban 21,1).

Aux cotés de lois à caractères religieux comme le respect du shabbat ou l’étude et la prière, la Torah définit des règles de droit qui couvrent tout l’espace social. Si nombreux principes du droit hébraïque (droit de propriété, règles des dommages, principes de procédure juridique ect) sont exposés juste après les dix paroles c’est qu’ils constituent l’essentiel de la Torah.

Etrange affirmation ! On saisit sans peine l’importance capitale des règles juridiques dans l’organisation de la société, sans en faire pour autant un principe essentiel du projet biblique !

Du droit à la loi

Mais est-il juste de définir le Michpat comme droit hébraïque ? Un verset étonnant souligne la singularité de cette Justice qui seule est dite juste ! (Dévarim 16,8). N’est-ce pas la propriété inhérente à toute justice que d’établir le juste !

Le principe du droit séculier est de proposer un ensemble de règles destinées à organiser la vie en société. L’individu est visé en tant qu’élément d’un ensemble. Dans l’espace juif la justice n’a aucune finalité sociale. La loi n’est pas donnée pour permettre la coexistence des libertés et des droits des individus. Elle n’a que le souci du juste, c’est-à-dire de l’espace constitué des lieux-propres.

Le sujet se définit à partir du lieu qu’il occupe dans le monde. S’inscrire dans l’espace juif c’est appréhender son lieu non pas comme pure hasard mais comme enjoignement, assignation. Dans la trace du Créateur, chacun occupe une place singulière qui l’investit comme subjectivité. Les hommes sont assignés à un lieu précis, qui constitue leur singularité. « Alors que les pièces de monnaies, frappées dans un seul moule, portent toutes la même effigie, Dieu dans un seul mouvement a imprimé des marques différentes à chacun des hommes »( Talmud Sanhédrin 37).

Les propriétés de l’homme participent à la configuration de son lieu-prpore. L’à-soi est l’assise du soi. En fixant le droit le Michpat vise le sujet.

C’est en cela que les règles du droit hébraïque sont Mitsva, commandements. Le « Din », l’Impératif – doit signifier chacun dans son lieu-propre. L’impératif est rappel de la création où chaque chose a été assignée à son lieu. C’est par le « Din », si improprement traduit par Loi, que le Créateur aurait originellement fixé chaque chose à sa place, limitant dans son lieu, une créature qui voulait s’étendre sans limites.

Rendre un verdict juste, conforme au réel des lieux c’est donc s’associer au Créateur dans l’acte de création qui fixe les places de chacun (Talmud Shabbat 10).

Méconnaissance radicale de l’autonomie du Droit. Refus de réduire l’Impératif à une règle de droit.

Justice singulière

Le verset donne une seconde indication sur le sens de la justice. Les parties au procès doivent se présenter devant les Juges afin qu’ils « te disent la parole de Justice ». (Dévarim 17,19) Les Maîtres d’Israël, soucieux de la Lettre qui seule révèle le sensé, s’interrogent sur l’emploi du singulier, alors que deux parties s’opposent et réclament justice.

C’est que le jugement ne consiste pas à énoncer simplement la Loi sans interpeller les parties, comme si seule comptait en définitive le respect de la Loi. Il ne cherche pas plus, dans une intention pacificatrice, à départager les deux antagonistes, à trancher entre leurs volontés respectives. Il ne statue pas enfin, sur la chose qui est l’objet du conflit. Il s’adresse à chacun personnellement. Le conflit n’est qu’occasion pour signifier à chacun son lieu.

Les règles de procédure révèlent que dans un seul procès il y a autant de verdicts qu’il y a de parties. Chacun des deux verdicts est explicités alors que l’un se laisse évidement déduire de l’autre. La Justice s’adresse à chaque sujet en propre.

En Occident, le Tribunal n’a jamais occupé cette place. Il est toujours le lieu d’un arbitrage entre les parties, ou entre la Société et l'individu.

Lieu commun et lieu propre

Ces différences procédurales révèlent ne différence dans la perception du lieu de ce l’homme.

Si dans la Justice d’Israël, chacune des parties fait l’objet d’une décision singulière, c’est que par delà l’opposition des verdicts – conférer un droit à l’un signifie que l’autre n’en est pas le bénéficiaire – chaque lieu peut se définir en propre sans se signifier à travers l’opposition dialectique avec l’autre. Si le lieu résulte d’une assignation, tout ce qui n’est pas l’objet d’une proposition à moi adressée, n’est intrinsèquement pas mien.

La pensée moderne est établit sur l’indifférenciation des lieux et des places. Chacun pourrait occuper n’importe quel lieu. La limite des lieux résulte uniquement de la nécessité d’un partage Mais si les droits et devoirs des personnes sont déterminés à partir du principe de la compossibilité et de la compatibilité des libertés, puisque ma liberté n’est limitée que par celle de l’autre, alors la détermination des places est affaire commune, le mien ne prenant sens que dans son opposition au tien, mon lieu se définissant à partir de la confrontation avec l’autre. Une seule et même décision réglera le conflit et par là indiquera les droits respectifs de chacun.

Le Dayan mesure la légitimité des volontés et des désirs à l’aune de l’Impératif. Privée de la transcendance d’un Ordre qui fixerait l’ordre des places, le juge séculier ne peut que départager de l’intérieur les parties, à partir de leur opposition.

La volonté de puissance caractérise l’individu. Chacun voudrait s’approprier le tout sans souci pour autrui. L’homme est obstacle pour l’homme. La justice séculière se nourrit de cette situation conflictuelle. En départageant arbitrairement les places de chacun elle évite la guerre fraternelle mais fait souffler sur l’espace public la froideur et l’anonymat du droit.

En restituant à Dieu sa place de médiateur exigeant entre l’homme et l’homme, la Torah établit une communauté fraternelle où chacun à partir de son lieu-propre s’ouvre à Autrui.

Justice et enseignement

L’exercice de la justice est donc oeuvre d’enseignement. Le Dayan

chargé de dire le Din rappel chaque unique à son lieu-propre. Depuis toujours, les communautés juives assimilaient les figures du juge et du Maître. Rendre justice d’est enseigner !

Le Sanhédrin, la plus haute cour de justice, est aussi lieu de l’enseignement à partir duquel la Torah se diffusait dans tout Israël. La justice y est rendue conjointement à des décisions sur des questions de religion qui ne concernent pas les relations interpersonnelles. Amalgame significatif de juridiction et d’enseignement, qui répond à la structure particulière de la Torah où se donnent ensemble, prescriptions juridiques et ordonnances religieuses.

LeBeit-Din

- lieu où s’énonce l’Impératif, mais aussi le lieu comme suscité par le commandement – habite le Beit-Hamidrash , la maison de l’étude et de la recherche du verbe divin.