Parachat Bo

Reconnaître le Bien qu’on nous a fait…

Et s’approcher de D.ieu

Rav Eliahou Elkaïm

Etre reconnaissant envers celui qui nous a fait du bien est l’une des qualités exigées par la Thora. Et elle peut prendre des formes tout à fait surprenantes…

Dans notre paracha, nous assistons à la dernière phase des dix plaies, puis à la sortie d’Egypte.

L’une des réactions les plus fondamentales que cette libération du peuple juif doit susciter en chacun de nous, à toutes les époques, est la « reconnaissance des bienfaits » (Hakarath hatov), vis à vis de Celui qui nous a sorti de cette terre d’esclavage.

L’intensité de cette reconnaissance doit entraîner que nous souhaitions accomplir Sa volonté, être Ses serviteurs.

C’est ainsi que Na’hmanide interprète les premiers mots du décalogue :

«Je suis l’Eternel ton D.ieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, d’une maison d’esclavage » (Exode 20 ; 2).

Selon son interprétation, les termes « d’une maison d’esclavage » viennent exprimer l’obligation du peuple juif de reconnaître l’Eternel comme leur D.ieu, et donc de Le servir, parce qu’Il les as libérés de l’esclavage d’Egypte, ainsi que le verset le précise :

«Car ils sont mes esclaves, Moi qui les ai fait sortir du pays d’Egypte» (Lévitique 25 ; 4).

Rabbénou Bahya ibn Pakuda, l’auteur du ‘Hovoth Halevavoth (« Les devoirs du cœur »), développe, plus encore, ce concept.

Conscience éternelle

Après avoir expliqué le devoir qui incombe à l’homme d’approfondir sa compréhension du monde et de mesurer pleinement l’ampleur des bienfaits de D.ieu dont il bénéficie en permanence (Chaar habe’hina), Rabbénou Bahya insiste ensuite sur les devoirs que nous avons envers notre Créateur (Chaar Avodath haélokim) :

« Après avoir pris conscience de l’unité de D.ieu et d’avoir analysé les différentes formes de Ses bienfaits, l’homme doit prendre conscience de ses devoirs envers son Créateur.

En effet, la logique exige de celui qui a bénéficié d’immenses bienfaits de se sentir redevable envers son bienfaiteur.

Il est clair dans l’esprit de chacun que nous devons être reconnaissant envers celui qui nous a fait du bien et réaliser pleinement ses bonnes intentions à notre égard. »

Dans le chapitre 6 de cette même partie, l’auteur définit plus encore la nature de cet engagement :

«Par reconnaissance pour les bienfaits qui concernent l’humanité dans son ensemble (création de l’homme, don de sa subsistance…), l’homme doit avoir une conduite morale honorable, ce qui correspond aux

mitsvoth

dites

si’hlioth(que la logique humaine appréhende),mitsvoth

rationnelles : elles sont admises par la société car elles interdisent des actes nuisibles comme l’assassinat, le vol, le mensonge, l’adultère, le manque de respect envers ses parents…

Il y a ensuite la reconnaissance pour les bienfaits que le Créateur a accordé à une nation particulière, en l’occurrence au peuple d’Israël, qu’Il a sorti d’Egypte et dirigé vers la terre promise.

Cela engage les Juifs à un tout autre niveau du service divin, correspondant au

mitsvoth

dite

chimioth, les commandements qui ne sont pas rationnels, comme les interdits alimentaires, vestimentaires, les lois liées à la vache rousse… »

(‘Hovoth Halevavoth, Chaar Avodat Haélokim chapitre 6)

Rabbi Yérou’ham de Mir, précise le sens caché des mots de Na’hmanide que nous avons cités plus haut.

La sortie d’Egypte n’est pas seulement pour D.ieu, l’occasion de donner au Juifs et à l’humanité dans son ensemble, une cours magistral sur la foi (émouna).

C’est bien plus que cela : cela doit susciter un engagement total de l’homme envers son Créateur, qui ne peut être le résultat d’une réflexion à elle seule.

C’est un sentiment, celui de la reconnaissance envers D.ieu, qu’il faut éveiller en nous, pour nous amener à l’acceptation de devenir Ses serviteurs.

Vécu imaginaire

Ce que met en lumière Rabbi Yérou’ham, c’est que la Hakarath hatov

exigée n’est pas seulement une reconnaissance superficielle, mais la véritable sensation profonde d’être « redevable » envers son bienfaiteur.

Ainsi, il découvre dans les mots de la Hagada de Pessa’h un sens nouveau :

« A chaque génération, il est un devoir pour chacun de se « visualiser » comme étant lui-même libéré d’Egypte. »

Quel est l’intérêt de ce devoir très spécial ? Et d’où nos Maîtres ont-ils tiré cet enseignement ?

C’est que, seulement à travers ce vécu imaginaire, l’homme pourra éveiller en lui des sentiments profonds de reconnaissance envers D.ieu et grâce à cela, renforcer son engagement d’être Son serviteur, but véritable de la sortie d’Egypte. (Daat ‘ho’hma oumoussar volume 1, page 124)

Nous allons voir plus loin que lorsque nos maîtres développent le concept de Hakarath hatov,

cela dépasse la simple notion de reconnaissance telle que nous pouvons l’appréhender.

Le but n’est pas de manifester cette reconnaissance en rendant ainsi à son bienfaiteur une partie du bien qu’il nous a fait.

Dans la Thora,Hakarath Hatov est un attribut de l’âme (midda) que tout être à la recherche de la vérité se doit d’acquérir.

Rabbi Its’hak Hutner

zatsal, souligne encore plus l’importance de cette midda.

« Celui qui a eu le privilège de côtoyer les Grands de la Thora a pu remarquer l’importance primordiale qu’ils accordent à cet attribut de Hakarath hatov.

Toute personne, même de haut niveau sur d’autres plan, chez laquelle on décelait des signes de kefiout tova(le refus de reconnaître les bienfaits reçus), pouvait perdre pour cette raison toute leur estime » (Pa’had Its’hak, Roch Hachana chapitre 3).

Les enseignements les plus fondamentaux sur ce sujet se trouvent dans le processus de la libération d’Egypte, et ce n’est pas fortuit.

Lorsque D.ieu ordonne à Moïse de se rendre chez Pharaon pour lui demander de libérer Israël : « Et maintenant, Je te délègue vers Pharaon» (Exode 3 ; 10), Moïse Lui répond :

«Maître de l’univers, il m’est impossible de quitter Yitro, c’est lui qui m’a accueilli et ouvert sa maison. Si un homme ouvre sa porte à son prochain, ce dernier lui doit son âme ! » (Chemoth Rabba 4 ; 2).

C’est la raison pour laquelle, plutôt que se hâter pour remplir la mission extraordinaire confiée par D.ieu Lui-même, Moïse fait un détour pour obtenir l’autorisation de Yitro, son beau-père.

Allusion au mariage

Ce texte suscite de nombreuses questions :

N’est-ce pas d’abord un manque de respect vis à vis de D.ieu ? Moïse croyait-il que D.ieu ignorait ce que Yitro avait fait pour lui ! Enfin, le sentiment de reconnaissance de Moïse envers son beau-père ne semble-t-il pas exagéré ?

En effet, le Midrach ne considère pas avec autant d’égard l’acte de Yitro. Il précise :

Qui est celui qui fut bienveillant à l’égard de son bienfaiteur ? C’est Yitro envers Moïse.

Car il faut savoir que les filles de Yitro étaient poursuivies par des bergers qui leurs voulaient du mal, à lui et à ses filles, et les empêchaient de puiser de l’eau. C’est Moïse qui prit leur défense et qui puisa pour Yitro et sa famille, mais aussi pour les bergers, rétablissant ainsi le calme dans les esprits.

A la suite de cet épisode, Yitro dit à ses filles, en parlant de Moïse : « Pourquoi avez-vous laissé là cet homme ? Appelez-le et qu’il vienne manger» (Exode 2 ; 20).

Rabbi Simone explique que c’est pour rémunérer Moïse pour ses services que Yitro lui a offert à manger (Vayikra Rabba 34 ; 8)

Une deuxième Midrach ajoute que manger du pain doit être ici compris ici dans le sens allusif du mariage, car Yitro espérait que Moïse épouse l’une de ses filles (Chemoth Rabba 81 ; 32).

Car la situation de Yitro était pour le moins difficile : il était excommunié par tous les habitants de Midian pour avoir renié leurs idoles (cf. Rachi Exode 2 ; 16).

Moïse est donc arrivé au bon moment pour le protéger, lui et sa famille, et finalement épouser l’une de ses filles.

' Une autre dimension

On peut dégager deux éléments capitaux de ce texte (cf. Si’hoth moussar Rav ‘Haïm Chmoulevitz volume 2 page 118).

Tout d’abord, Moïse a découvert, par sa recherche personnelle de vérité, que le concept de Hakarath hatov est un attribut fondamental de l’âme, et sans rapport avec les intentions ou les intérêts du bienfaiteur.

A partir du moment où Moïse a tiré profit de Yitro, cela le rend redevable, et les mots du Midrach sont éloquents :

il lui doit son âme.

la midda de Hakarath hatov

entraîne que celui qui a profité d’un bienfait soit redevable pour toujours, même si cela n’a pas exigé de grands efforts de la part du donateur, et même s’il a agit dans son propre intérêt.

On le voit, cela dépasse de très loin la simple volonté de rendre à celui qui vous a fait du bien.

Cette vérité était si claire aux yeux de Moïse qu’il était persuadé, à juste titre, que la véritable intention de D.ieu était qu’il aille d’abord demander son autorisation à son beau-père, avant même d’accomplir sa mission, vitale pour ses frères, le peuple d’Israël.

Peu après ces événements, D.ieu dévoile à Moïse une nouvelle dimension de cette qualité de l’âme.

Les trois premières plaies (celles du sang, des grenouilles et de la vermine) vont être amorcées par Aaron, et non par Moïse.

D.ieu dit à Moïse qu’il demande à Aaron de lever son bâton sur le Nil (Exode 7 ; 19) et de frapper la terre (Exode 8 ; 12).

Pourquoi n’est-ce pas Moïse qui fut chargé de cette mission ?

Rachi répond à cette question en citant le Midrach.

«Moïse ne pouvait frapper le Nil, car celui-ci l’avait protégé quand il fut jeté en son sein. Moïse ne pouvait donc pas intervenir pour transformer le Nil en sang, ni au moment des la plaie des grenouilles. C’est donc Aaron qui exécuta l’ordre divin » (Chemoth rabba 9 ; 10).

Pour ce qui est de la terre, elle ne pouvait pas non plus être frappée par Moïse, car elle lui avait été utile lors de l’épisode avec l’Egyptien que Moïse frappa et ensevelit dans le sable(Exode 2 ; 12).

C’est donc Aaron qui l’a frappée(Chemoth Rabba 10 ; 7)

Vivre et sentir

Le bénéficiaire de la Hakarath hatov

est ici le monde inerte ! Ce que D.ieu a ainsi dévoilé à Moïse, c’est que cette qualité de l’âme est si importante que nous avons le devoir, pour nous éduquer à la ressentir, de reconnaître le bien que nous font

tous

les éléments de la création.

Pourtant, le monde inerte ne tire aucun profit ni aucune sensation de cette reconnaissance. Cela ne peut être que dans le but de développer cette midda, dans l’intérêt de l’homme lui-même.

La sortie d’Egypte est l’événement qui crée, à tout jamais, l’engagement de l’homme vis à vis de son Créateur. Engagement qui doit avoir pour moteur la Hakarath hatov

vis à vis de D.ieu.

C’est donc bien dans le contexte de cette libération que la Thora devait nous dévoiler les enseignements sur la midda

de la reconnaissance du Bien.

Peu importe les mobiles, les efforts ou les intérêts de celui qui nous aide ; avoir reçu ses bienfaits doivent éveiller en nous un sentiment profond de reconnaissance.

C’est en s’éduquant ainsi, chacun personnellement, que l’on pourra vivre et sentir le Bien que nous avons reçu de D.ieu.

Le motivation du service divin (avodath Hachem) doit être principalement issue du sentiment de Hakarath hatov. Et l’intellect seul ne pourra nous amener à tous les niveaux d’action et de compréhension des commandements divins.dans le monde moderne, les réalisations prodigieuses de l’homme sont autant de raisons de croire en sa force, éloignant l’humanité du concept de Hakarath hatov.

Le seul moyen de s’imprégner de cette qualité, dont nous avons perçu l’importance primordiale, est de pénétrer dans les enseignements de la Thora pour découvrir une nouvelle optique de la vie.

Et l’on découvrira que cette qualité dépasse presque toutes les autres…