Parachat Chemini - ha’hodech

La matière et l’esprit

Une symbiose fondamentale

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Les interactions entre la physiologie et les caractéristiques psychologiques ne sont plus à prouver. Mais seule la Thora en connaît le mécanisme exact. En étudiant ses prescriptions, nous avons une chance d’éviter toutes les ingérences négatives…

Notre paracha

accorde une place importante à la description des espèces animales permises ou interdites à la consommation.

A juste titre, ces lois sont considérées par nos maîtres comme étant non rationnelles,chimioth(cf. Maïmonide, Les huit chapitres, chap. 6).

Pourtant, la loi orale (Thora chebéalpé) dévoile certaines raisons logiques de ces interdits, et surtout l’état d’esprit avec lequel aborder ces restrictions.

En réalité, ces explications ne sont qu’un aperçu des raisons véritables de ces lois, car l’être humain ne pourra jamais cerner les secrets de la création.

Si l’homme pouvait imaginer qu’il a appréhendé et compris tous les aspects de ces lois, il pourrait être amené à utiliser ses conclusions et ses raisonnements pour adapter ces lois à sa convenance. Il risquerait de commettre de graves erreurs.

Si nos maîtres nous ont dévoilé certains éléments, c’est seulement pour nous permettre de comprendre la véritable volonté du Créateur.

Maïmonide dans son introduction à son ouvrage principal,Michné Thora-Yad ha’hazaka(« D’une main puissante »), nous éclaire sur le sens véritable de ces restrictions.

Il explique d’abord que s’il a choisi le mot yad dans son titre, c’est que la valeur numérique de ce mot correspond à 14 (youd + daleth).

Et 14, c’est également le nombre de livres dans lesquels sont regroupés les sujets traités et les lois expliquées.

Six jours de création

Il présente également les grandes lignes de ces livres. Voici ce qu’il dit au sujet de la cinquième partie :

« Dans le cinquième livre, j’ai regroupé toutes les lois concernant les unions interdites, et les aliments prohibés. En effet, par ces deux sujets, D.ieu nous a sanctifiés et séparés des idolâtres.

A propos de ces deux types de lois, il est écrit dans la Thora :

‘Je suis l’Eternel votre D.ieu, qui vous ai distingués entre les peuples, (…) et Je vous ai séparés d’avec les peuples pour que vous soyez à moi

’ (Lévitique 20 ; 24-26).

J’ai donné comme titre à ce cinquième livre, « Le livre de la sainteté » (Sefer Kedoucha). »

Etonnante révélation que celle de Maïmonide, qui laisse entendre que parmi les 613 commandements donnés par la Thora, seuls ceux concernants les interdits alimentaires et les unions interdites séparent et différencient vraiment le peuple juif des autres nations.

Dans aucun autre livre, il ne mentionne cette séparation d’avec les autres peuples.

Et d’ajouter que cette caractéristique donne le mérite au livre qui traite de ces lois de porter le titre de « Livre de la sainteté » !

Avec cette première piste, nous allons pouvoir nous plonger dans le commentaire de Na’hmanide sur le Pentateuque, quand il développe le sens des interdits alimentaires.

Grâce à lui, nous allons mieux comprendre les mots de Maïmonide…

Pour cela, il nous faut effectuer un « petit » retour en arrière, au moment des six jours de la création…

Après les six jours de la création, D.ieu donna les premières directives à l’homme.

« Je vous livre tout »

« D.ieu ajouta : ‘Or, Je vous accorde tout herbage portant graine, sur toute la face de la terre, et tout arbre portant des fruits qui deviendront des arbres par le développement du germe. Ils serviront à votre nourriture » (Genèse 1 ; 29).

Rachi citant le Talmud, interprète ce verset comme, outre l’autorisation de manger les végétaux, l’interdiction faite à Adam de consommer toute viande.

C’est seulement après le déluge que D.ieu permettra aux descendants de Noé de sacrifier, et donc de consommer des créatures vivantes.

« Tout se qui se meut, tout ce qui vit servira à votre nourriture, de même que les végétaux, Je vous livre tout » (Genèse 9 ; 3)

Na’hmanide (ibid.) explique cette restriction initiale :

« Le monde animal ressemble, dans une certaine mesure, à l’être humain : par son instinct à fuir les souffrances et la mort, et, par son choix de certains aliments pour sa consommation.

C’est pour cette raison qu’il fut interdit à l’homme de manger des animaux.

Mais les choses vont changer par la suite. Le monde animal s’est perverti, et il fut décrété qu’il sera totalement détruit par le déluge (Genèse 6 ; 11-13).

Ce n’est que par le mérite de l’homme, en l’occurrence Noé, que les espèces animales ont pu être sauvées.

Alors seulement, D.ieu permet à l’homme de sacrifier des animaux pour consommer leur viande. »

C’est à partir de ces éléments que Na’hmanide comprend l’interdiction de consommer le sang (Lévitique 17 ; 11) :

« Toutes les créatures du monde ici-bas ont été créées pour assister l’homme qui est le véritable but de la création, puisqu’il est le seul à connaître véritablement son créateur.

Malgré tout, il a été permis à l’homme de consommer uniquement les végétaux et non les créatures vivantes.

C’est seulement après le déluge, et par le fait que les animaux ne doivent leur existence qu’au seul mérite de Noé, et après que ce dernier ait offert un sacrifice à D.ieu, que cette situation va changer.

Pour ces raisons, et pour elles seules, D.ieu a permis à l’homme de sacrifier des animaux pour sa consommation.

Les fils d’Adam

A partir de ce moment, les animaux existent pour une seule et unique raison : leur utilité auprès des hommes.

Mais cela ne concerne que le corps des animaux, qui est au service de l’homme. Il peut l’utiliser pour ses tous ses besoins et pour tous ses profits.

En revanche, l’âme des animaux bénéficiera d’autres droits. Cette âme sera utilisée comme élément réparateur, au moment des sacrifices. Et il n’est pas permis de ‘consommer cette âme’.

Car il ne sied à pas un être possédant une âme de consommer une autre âme. Toutes les âmes sont les propriétés fondamentales de D.ieu. Et l’analogie entre l’âme animale et l’âme humaine est très clairement établie :

‘Car telle est la destinée des fils d’Adam, telle la destinée des animaux. Leur condition est la même, la mort des uns comme la mort des autres. Un même souffle les anime

’ (Ecclesiaste 3 ; 19).

D’après nos maîtres, l’âme se fixe dans le sang. C’est la raison pour laquelle la consommation du sang est interdite. »

Na’hmanide (ibid.) donne une deuxième raison à l’interdiction de consommer du sang :

« Il est une chose connue : les aliments intégrés par l’organisme fusionnent avec lui.

Si l’homme consomme l’âme de l’animal, qui se trouve dans son sang, cela entraînera un apport négatif : la grossièreté et le manque de raffinement de l’animal se mêlera à l’organisme humain, qui, de ce fait, descendra à un niveau proche de l’âme animale (…).

Le verset précise à ce sujet : ‘Qui peut savoir si le souffle des fils d’Adam monte vers le ciel, tandis que le souffle des animaux descend vers la terre

’ (Ecclésiaste 3 ; 21) »

C’est dans le même ordre d’idée que Na’hmanide explique les caractéristiques générales fixées par nos maîtres (Talmud ‘Houlin 59a) pour les oiseaux interdits.

Le signe principal pour déterminer ces oiseaux interdits est le fait qu’ils dévorent leur proie avant qu’elle ne succombe (doress veo’hel).

Ces oiseaux ont le sang chaud, noir et épais, signe de leur cruauté. La consommation de leur chair risque de susciter des instincts d’amertume et de cruauté dans la nature même de ceux qui l’ont consommée (Na’hmanide Lévitique 11 ; 13).

Aliments abominables

C’est également ainsi qu’il interprète le verset dans Michpatim (Exode 22 ; 31) :

« Vous devez être des hommes saints devant Moi, vous ne mangerez donc point la chair d’un animal déchiré dans les champs. »

L’interdit alimentaire est introduit par la notion de sainteté : ces interdits viennent donc purifier l’âme humaine qui deviendrait, sans cela, grossière et peu raffinée.

D.ieu s’adresse à Israël et lui dit : « Je veux que vous soyez saints pour que vous puissiez vous attachez à Moi qui suit Saint. Evitez de consommer les aliments abominables» (Na’hmanide ibid.)

Sur le verset dans le Deutéronome (14 ; 3) : « Tu ne mangeras d’aucune chose abominable(toéva). », Na’hmanide ajoute que ces mots précisent le sens véritable des interdits alimentaires. Le mot abominable (toéva) prouve que les aliments interdits sont un abomination pour l’âme pure.

Le sens exact de toéva est : repoussant et suscitant le dégoût. (cf. Psaumes 107 ; 8) car les aliments interdits engendrent, de par leur nature, un abaissement de l’âme (Na’hmanide ibid.).

Cet aspect, largement développé par Na’hmanide, n’est pas le seul motif des interdits alimentaires.

La nocivité pour l’organisme lui-même est aussi soulignée par ce dernier. Au sujet des mammifères interdits, il ajoute :

« Nos maîtres mentionnent un phénomène concernant le lait. Celui des animaux permis peut devenir du fromage alors que celui des animaux interdits ne parviendra jamais à cette transformation.

De ce fait, leur consommation peut causer des dommages à certains organes. (…)

Les poissons interdits sont en général ceux qui vivent au fond des mers. La densité et la température entraînent une physiologie différente, qui est néfaste pour l’homme.

(…). L’interdiction de certaines graisses est aussi expliquée par leur nature nocive » (Na’hmanide Lévitique 11 ; 13 – ibid. 11 ; 9 – idem 3 ; 9).

Le lait d’une Egyptienne

On le voit, les interdits alimentaires prescrits par la Thora préservent les âmes et les corps des enfants d’Israël. Et c’est dans cet esprit qu’il faut comprendre ces restrictions.

On citera à ce sujet le Choul’han Arou’h (Yoré Déa 81 ; 7, ajout du Rama) :

« Le lait d’une femme égyptienne est permis comme celui d’une juive. Il faut cependant éviter de faire allaiter un bébé juif par une femme égyptienne, s’il y a une possibilité de le faire nourrir par une femme juive, car le lait d’idolâtres rend le cœur de l’enfant impur. Il influe de façon néfaste sur son caractère. »

Cette loi (hala’ha) trouve son origine dans un texte du Talmud (Sota 12b) dans lequel est raconté que Moïse refusa le lait des nourrices égyptiennes, nommées par Batya, la fille du Pharaon qui l’avait sauvé du Nil.

C’est seulement lorsqu’une femme juive (Yo’héved, sa mère) fut nommée à leur place, qu’il accepta d’être nourri.

Et le Talmud d’ajouter : « La bouche qui parlera plus tard avec D.ieu ne pouvait pas boire le lait d’une égyptienne. »

Le Choul’han Arou’h, on le voit, interprète ces mots d’une façon toute particulière :

Ce n’est pas seulement un problème protocolaire qui empêche la bouche de celui qui parlera avec D.ieu de boire le lait d’une égyptienne.

Ce qui est hautement problématique, c’est l’absorption de l’essence même de cette personne.

La composition de son lait est liée à la nature même de sa personnalité.

Le Rav M. Salomon (Lakewood, NJ) fait à ce sujet une remarque pertinente dans son ouvrage, (Whith hearts full of faith, p.228) :

- Pourquoi le Choul’han Arou’h choisit-il le cas d’une Egyptienne alors que cette loi est élargie par la suite à tous les non-Juifs idolâtres ? Pourquoi parler des Egyptiens avec qui nous n’avons pratiquement plus eu de contact depuis notre sortie d’Egypte ? D’autant que le Rama vivait à Cracovie…

C’est que la Thora elle-même nous précise :

« Les pratiques du pays d’Egypte où vous avez demeuré, ne les imitez pas (…) » (Lévitique 18 ; 3).

L’Egypte de l’époque représentait le summum de la dépravation. C’est pour cette raison que le Choul’han Arou’h a choisi cet exemple, pour que chacun comprenne profondément le sens de cette loi.

Etre allaité par une Egyptienne implique d’être contaminé par son faible niveau moral.

Nous comprenons mieux à présent la pensée de Maïmonide qui voit dans les interdits alimentaires et les unions interdites la barrière entre Israël et les nations.

C’est précisément ces interdictions qui sanctifient le peuple juif.

Les mots de Maïmonide résonnent avec une actualité particulièrement frappante. Aujourd’hui la relation entre la physiologie et le psychique a été mise à jour par les scientifiques. Et le monde moderne offre des possibilités infinies d’absorber le « lait égyptien ».

Outre par la consommation des aliments, la vue et l’ouïe absorbent la substance de la société qui nous entoure, et cela risque de modifier et de flétrir la pureté et la finesse du caractère des âmes juives.

Les interactions entre la physiologie et les caractéristiques psychologiques n’étant plus à prouver, il nous faut réfléchir dans ce sens…