Au nom du saint et vénéré Rabbi Haïm Cohen zt’l

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Chabbath Parachat Chela’h le’ha

11, 12 juin 2004 – 22, 23 sivan 5764

Jérusalem : Paris

Allumage des bougies : 19 h 10 Allumage des bougies : 21 h 34

Sortie de Chabbath : 20 h 27 Sortie de Chabbath : 23 h 00

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le dvar Thora de cette semaine.

Cette semaine, nous poursuivons notre cycle de réflexion sur les Pirké Avoth, « Maximes des pères ».

Ce dvar thora est consacré à la mémoire de

Monsieur Maurice Moché MARCIANO zal ben Aïcha

dont la Chiv'a aura lieu le dimanche 13 juin 2004, à 18 heures dans les locaux de l'AITS, 5bis, rue Montévidéo à 75016 Paris.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Parachat Chela’h le’ha

11, 12 juin 2004 – 22, 23 sivan 5764

Contradictoire… mais vrai !

(2ème partie)

Par Rav Eliahou Elkaïm

On le sait, Chamaï, comme Hillel, avait atteint des niveaux inégalés en connaissance et en travail sur soi. Tous deux ont mérité qu’une voix céleste déclare « leurs paroles étaient celles du D.ieu vivant ». Comment comprendre que Chamaï soit apparemment critiqué par le Talmud ?

« Hillel et Chamaï reçurent d’eux la tradition. Hillel disait : ‘Soyez les disciples d’Aaron, qui aimait la paix et la recherchait sans cesse, qui aimait les hommes et les amenait à l’étude de la Loi.’ »

(Chapitre 1, Michna 12)

Nous avons développé la semaine dernière le concept de ‘Celle-ci et celle-ci sont des paroles du D.ieu vivant », et les implications sur le plan de l’élévation spirituelle et de l’étendue de connaissance que cela avait chez les maîtres en Thora, qui étaient concernés par cette voix céleste.

Mais compte tenu du niveau qu’une telle déclaration exige, comment comprendre la deuxième partie du message de la voix céleste :

« mais la loi est fixée selon l’avis de Hillel ».

On l’a vu, si la loi (hala’ha) est fixée selon les avis de Hillel et de son école, c’est parce ces derniers avaient une attitude faite de douceur, de souplesse et d’humilité face aux autres, comme l’a expliqué le Talmud.

Cela sous-entend donc de façon claire que Chamaï et son école, ne possédaient pas ces qualités. Mais dans la mesure où le principe même de ‘Celle-ci et celle-ci sont des paroles du D.ieu vivant’ implique un niveau parfait de caractère, comment concilier les deux données.

Car les vertus d’humilités et de douceur sont des valeurs intrinsèques de la Thora.

Dans le cadre de l’interprétation d’un texte du Talmud (Taanit 25b) a priori sans rapport avec notre sujet, Rabbi Israël Salanter se penche sur cet apparent paradoxe.

A travers ses éclairages, nous allons découvrir le réelle différence entre Hillel et Chamaï.

Passages du Talmud

Mais pour bien comprendre ces deux grandes figures, découvrons comme le Talmud (traité Chabbath) les décrit :

« Nos maîtres ont enseigné que l’homme soit toujours aussi modeste que Hillel, et qu’il ne soit pas rigide comme Chamaï.

Un jour, deux hommes firent un pari :

« celui qui parviendra à courroucer Hillel recevra quatre cents zouz ! »

L’un deux s’engagea à le mettre en colère. C’était un vendredi, et Hillel était en train de se laver les cheveux. L’homme se présenta à la porte en disant : Est-ce bien ici que Hillel habite ?

Le maître enveloppa sa tête à la hâte pour aller à la rencontre de son visiteur.

- Mon fils (expression affectueuse même si son interlocuteur n’était pas de sa famille, ndlr), que désires-tu ?

- J’ai une question à te poser.

- Pose-la mon fils, pose-la.

- Pourquoi les têtes des babyloniens sont-elles particulièrement rondes ?

- Mon fils, c’est une grande question que tu soulève. Eh bien, cette caractéristique provient de ce qu’ils n’ont pas de sage-femmes qualifiées.

L’homme repartit, puis revint quelques minutes plus tard :

« Est-ce bien ici la maison de Hillel ? »

Le maître, repartit entre temps à sa toilette, se couvrit et revint à la porte.

-Que désires-tu mon fils ?

- J’ai une nouvelle question.

- Pose-la mon fils, pose-la, répondit Hillel, sans faire remarquer à son visiteur opportun que nous étions juste avant chabbath, et que le temps était limité, sans même lui demander de revenir après chabbath…

- Pourquoi les yeux des Tarmoudéens sont-ils ternis ?

- Voilà une excellente question mon fils. Cette particularité tient au fait qu’ils habitent des régions sableuses, et que le sable s’introduit sans cesse dans leurs yeux. »

L’homme s’en fut, avant de réapparaître un court moment plus tard :

« Hillel est-il ici, Hillel est-il ici ? »

Pour la troisième fois, le maître se couvrit à nouveau pour aller accueillir son visiteur :

- Que veux-tu mon fils ?

- J’ai une question à te poser.

- Pose-la donc mon fils, pose-la.

- Pourquoi les Africains ont-ils les pieds larges ?

- Quelle grande question tu viens de poser ! C’est parce qu’ils habitent des régions marécageuses (Rachi commente : Afin qu’ils ne se noient pas. Selon certains, comme ils marchent nus-pieds, ceux-ci s’élargissent, car le soulier enferme le pied et lui donne sa forme).

L’homme expliqua alors à Hillel :

- J’ai encore de nombreuses interrogations à te soumettre, mais je crains que tu te mettes en colère !

Le sage partit s’habiller et vint s’asseoir à ses côtés.

- Toutes tes questions, pose-les donc. Alors que l’entrée de chabbath approchait vraiment, l’homme demanda au maître :

- Es-tu bien Hillel, celui que l’on appelle le Prince d’Israël ?

- Oui !

- Eh bien, que les gens comme toi ne se multiplient pas en Israël !

- Pourquoi mon fils ?

- Parce que je viens de perdre quatre cents zouz à cause de toi !

- Prends garde à ton esprit ! Il vaut mieux perdre quatre cents zouz, même à deux reprises, à cause de Hillel, plutôt que ce dernier ne se mette en colère… »

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Nos sages ont rapporté qu’un gentil c’est présenté un jour devant Chamaï en lui demandant : Combien de Thora avez-vous ?

- Nous en avons deux, lui répondit-il. La Thora écrite et la Thora orale.

- Je te crois pour la Loi écrite, mais pas pour la loi orale. Convertis-moi afin de m’enseigner la Thora écrite !

A ces mots, Chamaï l’invectiva et le renvoya avec brusquerie.

L’homme s’est ensuite rendu chez Hillel qui le convertit. Le premier jour, il lui enseigna l’alphabet selon l’ordre usuel. Le lendemain, le lui apprit dans l’ordre contraire (du la fin vers le début). L’homme s’en étonna :

- Mais ce n’est pas ainsi que tu me l’as appris hier !

- Ne t’es-tu pas fié à moi, lui répondit Hillel, lorsque je t’ai dit que cette lettre était un alef, celle-ci un beth, celle-là un guimel ? Eh bien, pour la Thora orale, tu dois également me faire confiance…

******

A une autre occasion, un Gentil vint trouver Chamaï, en lui demandant :

« Convertis-moi, afin de m’enseigner toute la Thora, pendant que je pourrais me tenir sur un pied. »

Le maître le chassa brutalement. L’homme partit trouver Hillel en lui faisant la même demande. Ce dernier le convertit et lui dit : « ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse. Voilà toute la Thora. Le reste n’est que l’explication de ce principe. Va donc étudier ! »

******

Encore au sujet d’un Gentil qui, passant devant une maison d’étude, entendit un enseignant citer à ses jeunes élèves le verset de l’Exode(28 ; 4) :

« Voici les habits qu’ils confectionneront : le ‘hochen, le éphod,… »

Il demanda : « A qui donc ces vêtements sont-ils destinés ? »

On lui expliqua : « Ils sont destinés au Grand Prêtre »

Le gentil se dit : Je vais me convertir afin que l’on me nomme Grand Prêtre… »

Il alla trouver Chamaï, auquel il demanda : « Convertis-moi afin de me nommer Grand Prêtre ! »

Le maître le chassa brutalement. Notre homme se rendit ensuite chez Hillel, qui le convertit et lui expliqua : « On ne peut désigner à la souveraineté qu’un fin connaisseur des subtilités de la monarchie. Va donc étudier ! »

L’homme s’empressa de s’exécuter, jusqu’à ce qu’il parvint à l’injonction de la Thora (Nombres 1 ; 51) :

" Le profane (non-lévite) qui en approcherait (du Tabernacle) serait frappé de mort "

« - A qui cela s’applique-t-il ?, demanda-t-il à Hillel.

- Même à David, le Roi d’Israël. »

De lui-même, le converti fit le raisonnement suivant : « S’il est écrit : ‘Le profane qui en approcherait serait frappé de mort’, à propos des Israélites de naissance, appelés fils de D.ieu, et qu’Hachem, dans Son amour, a même nommés : « Mon fils, mon premier-né, Israël » (Exode 4 ; 23), le verset concerne donc, à plus forte raison, le simple converti, fraîchement arrivé ! »

L’homme retourna alors chez Chamaï et lui déclara : « Il m’est impossible de devenir Grand Prêtre, puisqu’il est écrit dans la Thora : ‘Le profane qui e approcherait serait frappé de mort’.

Puis il alla retrouver Hillel, auquel il dit : « Que la modestie de Hillel te vaille toutes les bénédictions, toi qui m’as introduit sous les ailes de la Présence divine ! (che’hina) »

Une jour qu’ils s’étaient réunis, ces trois convertis affirmèrent : « La rigueur de Chamaï était destinée à nous écarter du monde futur, alors que l’humilité de Hillel nous a introduits sous les ailes de la Présence divine (che’hina) »

(Talmud Chabbath 31a)

Intransigeant et rigide ?

Une compréhension complète de ces textes demande une étude point par point à la lumière des commentateurs, mais cela dépasserait le cadre de notre Dvar Thora.

En ce qui concerne notre sujet, il faut imaginer et tenter de nous plonger dans le contexte de ces récits. Hillel était sans doute l’homme le plus important et le plus respecté du peuple juif de cette époque.

Agé de plus de quatre-vingt ans, il était Prince (Nassi), et son influence dépassait même celle du Roi, selon les descriptions de Flavius Josèphe.

Il maîtrisait parfaitement toutes les facettes de la science divine et avait atteint un niveau de sainteté inégalé.

Pouvons-nous imaginer l’insolence de cet homme, qui vient déranger le maître dans sa vie privée, à des moments particulièrement importuns !

Et Hillel ne se contente pas de s’excuser de n’être pas disponible, ce qui aurait pourtant été une réponse on ne peut plus courtoise, mais il décide de se mettre littéralement au service de cet intrus, avec une patience infinie.

Et Hillel se comportait de la même manière, avec toutes sortes d’individus venus lui poser des questions étranges ou ayant des requêtes surprenantes.

En ce qui concerne Chamaï, ces textes semblent mettre en relief l’image que nous avions de lui, celle d’un homme intransigeant et rigide, apparemment loin du niveau spirituel de Hillel.

Pourtant, un élément capital nous empêche de penser une telle chose : le Zohar nous apprend que si la loi (hala’ha) suit les opinions de Hillel dans notre monde, c’est selon l’avis de Chamaï qu’elle sera fixée dans le monde futur (leatid lavo).

En outre, affirme Rabbi Israël Salanter, les maîtres de la Michna avaient un niveau que l’on décrit comme étant proche de celui des anges.

Ils étaient parvenus à accomplir toutes la Thora dans ses moindres détails, mais avaient également formé leur caractère au point d’atteindre toutes les vertus (midoth tovoth) qui existent.

Même si par nature, Chamaï était intransigeant, il était parfaitement capable de contrôler et maîtriser son caractère dans le sens voulu par la Thora.

C’est donc que son attitude était réfléchie et concertée. Chamaï considérait que la Thora exigeait que l’on soit intransigeant et intraitable envers ceux qui manifestent un manque de considération et de respect pour la parole divine et ceux qui la représente.

Pour preuve, le message de Chamaï dans la Michna 15 est éloquent : « Reçois chacun avec un visage aimable », nous dit le grand maître. Comment comprendre ce caractère composite et cette vision toute en nuance de la vie, ce sera le sujet du Dvar Thora de la semaine prochaine.

Chabbath Chalom