Parachat Toldoth

28, 29 novembre 2003 – 3, 4 kislev 5764

A Jérusalem

Allumage des bougies : 16 h 00

Sortie de Chabbath : 17 h 14

A Paris

Allumage des bougies : 16 h 40

Sortie de Chabbath : 17 h 48

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le dvar Thora de cette semaine.

Nous vous prions de transmettre ce dvar Thora à votre entourage et de nous faire part de vos remarques.

Cette semaine, nous poursuivons notre cycle de réflexion sur les Pirké Avoth, « Maximes des pères ».

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom

Rav Chalom Bettan


Parachat Toldoth

Le juge caché qui est en nous

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Cette semaine, nous allons découvrir un nouvel enseignement contenu dans la première Michna. Un conseil de vie légué par nos maîtres…

« Moïse reçut la Thora de Celui qui lui est apparu au Mont Sinaï, il la transmit à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci disaient trois choses : Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora. » (Chapitre 1, Michna 1)

Le terme hem

amrou(ceux-ci disaient), utilisé par l’auteur de notre Michna, ne précise pas réellement l’identité de ceux qui ont énoncé les trois premières maximes : « Soyez circonspects dans le jugement, élevez de nombreux disciples et faites une haie autour de la Thora »

Le Abrabanel et le Midrach Chmouel (ibid.) attribuent ces enseignements à tous ceux ont été cités dans la Michna depuis Josué.

D’autres commentateurs ne sont pas de cet avis, et appuient leur thèse en citant un texte de Avoth derabbi Nathan et du Sifri(Deutéronome 16), où il est clairement précisé que ces maximes ont été énoncées par les membres de la Grande Assemblée.

Cet élément va nous permettre d’en saisir leur portée et leur sens véritable.

Il est également important de préciser que le terme hem

amrou(ou hou haya

omer, au singulier), couramment utilisé dans les Pirké Avoth, ne vient pas seulement nous informer sur l’origine de la maxime.

Ce terme vient également nous dire que le message de vie du maître (tana), est contenu dans la maxime qu’il énonce (cf. Rabbénou Ovadia Michna 2).

Il est d’autant plus essentiel d’approfondir et de découvrir le sens caché des paroles des membres de la Grande Assemblée, cent-vingt des plus grands sages de l’époque, dont plusieurs prophètes.

En quoi leur sagesse inégalée s’exprime-t-elle dans ces trois principes a priori assez simples ?

Maxime universelle

Le Maharal et Rabbi ‘Haïm de Volozhine expliquent un fait intéressant :

la yéridath hadoroth, la baisse de niveau d’une génération à l’autre, est devenue flagrante à l’époque des hommes de la grande Assemblée, période charnière entre l’ère de la prophétie et l’époque où le message divin n’a plus été directement dévoilé.

En effet, les derniers prophètes (Hagaï, Zacharie, Malachie) faisaient encore partie de la Grande Assemblée.

Cette importante baisse de niveau représentait un risque grave pour la pérennité de la Thora au sein du peuple d’Israël.

Les trois maximes de la première Michna sont donc d’une importance capitale : il faut les entendre comme des directives, qui vont permettre, malgré la yéridath hadoroth, de conserver la Thora intacte au sein du peuple juif, pour toujours.

Dans les lignes qui suivent, nous allons tenter de bien comprendre la portée de la première maxime : « Soyez circonspects dans le jugement ».

Une première remarque s’impose : ce conseil n’est-il pas nécessaire à toutes les époques, avant même celle de la Grande Assemblée ?

Par ailleurs, cette maxime s’adresse à une élite, celle des juges (dayanim).

N’aurait-il pas été plus naturel de commencer par une maxime universelle, s’adressant à toute la communauté ?

Le Maharal (Dere’h ‘Haïm ibid.), nous éclaire sur le sens véritable du concept de jugement (din ou

michpath

), parallèlement à la connaissance et à la maîtrise des lois de la Thora.

Représentant de D.ieu sur terre

Le jugement (michpath), exige du juge un élément supplémentaire par rapport à

la connaissance pure et simple des lois de la Thora : c’est ce que le Maharal appelLesvarath halev, un raisonnement logique doublé d’une intuition.

Car les lois de la Thora ne peuvent évidemment pas contenir tous les cas de figure qui peuvent se présenter dans la vie quotidienne.

C’est en se basant sur les fondements de la loi (hala’ha) que le juge doit analyser, avec ce raisonnement logique et cette intuition (svarath halev), les cas qui sont présentés devant lui. Grâce à cela, il pourra appliquer la hala’hasans erreur.

L’enjeu est de taille car c’est ainsi que le juge va véritablement représenter D.ieu sur terre. D’ailleurs, le juge qui applique les lois de la Thora est appelé

Elokim

dans l’Ecriture (Exode 22- 8 ; 27), terme utilisé comme l’un des noms de D.ieu.

Le niveau de sagesse et de pureté des générations depuis Moïse jusqu’à la fin de l’époque des prophètes permettait que l’idée première (mouskal richone) des Sages puisse déjà cerner la vérité.

Mais par la suite, les générations ne possédaient plus cette intuition première, cette réaction spontanément juste.

Il fallait donc les avertir : soyez circonspects. Vous ne pouvez plus vous permettre une impulsivité dans le jugement.

Vous pouvez atteindre un niveau de jugement égal à vos prédécesseurs si vous travaillez sur la circonspection, sur la réflexion, et sur l’intuition basée sur la hala’ha.

Ces qualités vous permettront de prononcer des sentences exactes.

Ayant maintenant compris pourquoi cette maxime concernait les générations à partir de la Grande Assemblée, nous allons découvrir en quoi elle est universelle.

Qui doit être notre référence ?

En réalité, D.ieu a donné à chacun un rôle de juge.

En effet, nous sommes constamment confrontés, par nos relations avec l’autre, à des situations où nous devons décider comment agir.

Savoir définir quels sont ses droits et quels sont ses devoirs n’est pas toujours simple.

Comment savoir si nos paroles ou nos actes sont préjudiciables pour notre prochain, selon la perspective de la Thora ?

Sans une réflexion posée et profonde, il est presque impossible de ne pas faire d’erreurs et ne pas empiéter sur les droits de l’autre.

Car il faut savoir que ce qui est considéré comme légitime par la masse, ne l’est peut-être pas en vérité, et celui qui pense bien agir spontanément cause peut-être un dommage, appelé

nezek

par la Thora, à son prochain.

la yéridath hadoroth

est devenue si intense de nos jours que la société environnante décide désormais à notre place ce qui est honnête et ce qui est légitime. Tout devient relatif.

Mais en réalité, seuls les conseils de nos maîtres peuvent nous permettre d’appliquer pour le bien notre rôle de juge et d’éviter les écueils.

Les grands maîtres du Moussar(morale) ont consacré une grande partie de leur travail personnel et de leur enseignement pour permettre à leurs disciples de régler les divers problèmes qui se posent dans la vie courante.

Car, outre la loi (hala’ha) qui légifère les différentes situations de la vie, il existe encore d’autres problèmes où nous frôlons sans le savoir le vol, ou des dommages moraux causés à notre prochain. Et ceux-ci ne sont pas tous expressément précisés dans les textes.

Une histoire de la vie quotidienne de l’un de nos maîtres nous aidera à bien comprendre ce concept.

Un jour, Rabbi Nathan Zvi Finkel

zatsal, le fameux Sabba de Slobodka, a vu l’un de ses élèves ramasser un papier par terre puis le jeter à nouveau sur le sol.

Le Sabba de Slobodka a immédiatement compris que son élève voulait vérifier si ce papier n’était pas une page d’un texte sacré, que l’on doit conserver ou enterrer.

Délicatesse

Comme ce n’était pas le cas, cet élève avait reposé ce papier par terre.

La réaction du Rabbi fut tout à fait inattendue :

« - Tu es un maziq, tu causes un dommage à ton prochain, lui dit-il. D’autres passants vont apercevoir ce papier et vont devoir se baisser pour le ramasser et vérifier à leur tour si ce n’est pas un texte sacré.

- Mais ce papier était là avant que je ne le trouve, lui répondit l’élève.

- D’après la hala’ha, lui apprit le rav, celui qui creuse un puit ou place un obstacle sur la voie publique est responsable de tous les dommages que cela peut causer. Et dans le cas où l’obstacle se trouvait déjà à cette place, mais qu’une personne l’a soulevé et reposé, elle devient seule responsable des dommages qui pourrait en découler. Dans ton cas, obliger l’autre à se baisser est également un dommage, et c’est toi qui en seras responsable… »

On le voit, seule une grande circonspection et une réflexion profonde permettent d’atteindre la délicatesse envers notre prochain prônée par la Thora.

Chabbath Chalom