Au nom du saint et vénéré Rabbi Haïm Cohen zt’l

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Parachat A’haré Mot- Kedochim

30 avril, 1er mai 2004 – 9, 10 Iyar 5764

A Jérusalem A Paris

Allumage des bougies : 18 h 43 Allumage des bougies : 20 h 44

Sortie de Chabbath : 19 h 58 Sortie de Chabbath : 21 h 59

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le dvar Thora de cette semaine.

Cette semaine, nous poursuivons notre cycle de réflexion sur les Pirké Avoth, « Maximes des pères ».

Ce Dvar Thora est consacré à la mémoire de :

Myriam AZOULAY bath Esther : 10 Iyar (1er mai)

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Parachat A’haré Mot- Kedochim

30 avril, 1er mai 2004 – 9, 10 Iyar 5764

Un dirigeant exemplaire

(deuxième partie de la Michna 10)

Par Rav Eliahou Elkaïm

Dans la seconde partie de cette Michna, nous allons découvrir que l’autorité et le pouvoir peuvent être dangereux pour ceux qui l’exercent…

« Chemaya et Abtalion reçurent d’eux la tradition. Chemaya disait : ‘Aime le travail, hais les honneurs et ne te fais pas connaître du pouvoir.’ »

(Chapitre 1, Michna 10)

« Hais les honneurs » (oussena eth ha

rabbanout) : la deuxième partie de la maxime de Chemaya emploie des termes percutants.

Il ne faut pas seulement fuir les honneurs, il faut également les haïr.

Mais de quels honneurs parle Chemaya ?

Le terme hébraïque utilisé dans cette Michna est ‘rabbanout

’, terme désignant aujourd’hui l’autorité rabbinique officielle.

Mais le sens originel du termerabbanout

signifie l’autorité et le pouvoir de façon générale, englobant toute forme de pouvoir.

Le terme rabbi, que l’on emploie depuis l’époque de la Michna pour désigner les maîtres et les sages de la Thora vient d’ailleurs de cette notion : depuis toujours et jusqu’au siècle dernier, les guides spirituels et les juges (dayanim) occupaient une place très importante au sein du peuple juif et représentaient le pouvoir réel, à savoir le pouvoir de la Thora (chilton hathorachilton hathora).

De ce fait, on donnait aux maîtres le titre de Rabbi, pour souligner leur autorité.

De nombreux commentateurs (Rachi, Rabbénou Ovadia) interprètent le mot ‘rabbanout

’ de cette maxime dans le sens large du terme.

Pour eux, il s’agit de l’autorité sous toutes ses formes, et ils citent en référence, pour bien comprendre le sens de cette maxime, deux textes du Talmud où la même idée est exprimée.

Le cycle infernal de la jalousie

Le premier se trouve dans le traité de Berahot (55a), où Rabbi ‘Hama bar ‘Hanina pose la question suivante :

« Pourquoi Joseph est-il mort avant ses frères (alors qu’il était plus jeune) ?

[Information déduite de l’ordre dans lequel ils apparaissent dans le verset :

‘ Joseph mourut, ainsi que ses frères’

(Exode 1 ; 6 Rachi ibid.), Ndlr.]

La réponse apportée par le Talmud est la suivante : C’est parce que Joseph a exercé sur ses frères son pouvoir (rabbanout).

Car Rav Yéhouda disait : ‘Celui qui se conduit avec autorité (rabbanout) écourte ses jours’. »

Le deuxième texte est tiré du traité de Pessahim (87b) :

« Rabbi Yohanan dit : ‘Le pouvoir (rabbanout) enterre ceux qui l’exercent, et pour preuve : chacun des prophètes a vécu sous le règne de quatre rois différents (ce qui prouve le caractère éphémère de leur pouvoir, Ndlr.) »

Quel est la raison de ce phénomène ?

Rabbénou Yossef Ibn Chouchane (XIVème siècle), dans son commentaire sur les Pirké Avoth, nous éclaire :

Celui qui se satisfait de son travail et n’entre pas dans le système du pouvoir évite le cycle infernal de la jalousie.

Il évite d’abord de ressentir de la jalousie et tous les maux qu’elle entraîne.

Il pourra aimer les autres, et, en retour, être aimé de tous.

Il évite ensuite de subir la jalousie de ceux qui l’entourent, car le pouvoir et les honneurs excitent les jalousies et les convoitises.

Cette tension permanente attaque le système nerveux et nuit à la santé, écourtant les jours de l’homme.

Noblesse d’âme

D’après Rabbénou Yossef Ibn Chouchane, l’exemple de Joseph illustre parfaitement les dangers qui accompagnent le pouvoir et les honneurs.

Joseph a agit avec une noblesse d’âme extraordinaire à l’égard de ses frères.

Il a exercé son autorité dans l’unique but de leur faire prendre conscience de leur erreur, afin de la réparer.

En outre, il n’a éprouvé aucune rancune à leur encontre, et a fait tout ce qui était en son pouvoir pour faciliter leur installation en Egypte (cf. Dvar Thora 5763, Vayigach).

Malgré toutes ces attentions, le simple fait qu’il ait exercé son pouvoir sur eux, en usant de sa position d’intendant du Pharaon, est considéré par nos maîtres comme étant la raison de sa mort prématurée par rapport à ses frères.

Ces derniers nous révèlent à ce propos que l’exercice d’un pouvoir quel qu’il soit écourte les jours de l’homme.

Cela est d’autant plus vrai pour celui qui utilise son autorité pour dévaloriser autrui.

C’est la même idée qui est démontrée par l’exemple des prophètes et des Rois d’Israël du texte de Pessahim.

Là aussi il s’agit d’un pouvoir légitime et nécessaire, mais qui reste néanmoins néfaste pour celui qui l’exerce.

Exercer son autorité est une situation à éviter à tout prix, même si elle peut paraître bénéfique à court terme.

Dans « Avoth » de Rabbi Nathan (chapitre 11 ; 2), la maxime de Chemaya est interprétée de façon différente.

Pour lui, ‘rabbanout

’ signifie plus simplement le rabbinat. Dans cette accpetion, Chemaya s’adresse à ceux qui recherchent l’autorité et les honneurs que confèrent la position de dirigeant spirituel de la communauté :

« Que signifie ‘hais la rabbanout

’ ?

Cela nous apprend que l’homme ne doit pas s’autoproclamer dirigeant spirituel, mais ce sont ces contemporains qui doivent lui conférer son pouvoir, comme le précise le verset des Proverbes :

‘Qu’un autre fasse ton éloge et non ta propre bouche, un étranger

et non tes lèvres à toi’(27 ; 2) »

Nous citerons deux commentaires qui se complètent pour donner une image claire du message transmis par nos maîtres.

Le premier est tiré du commentaire de Rabbi Rahamim Falachi (Avoth Haroch) sur les Avoth de Rabbi Nathan :

« ‘Que signifie ‘hais la rabbanout

’ ?’

En posant cette question, Rabbi Nathan fait référence à une problématique abordée dans le Talmud (Sota 22a), qui interprète le verset :

« Car nombreuses sont les victimes dont elle a causé la chute,

et ceux qu’elle a périr sont foule» (Proverbes 7 ; 26)

Le Talmud explique que ce verset fait référence à deux cas.

• Le premier concerne celui qui n’a pas encore le niveau nécessaire en Thora pour trancher des questions de droit (halaha) et qui donne malgré tout des avis.

• Le deuxième concerne au contraire le Sage qui possède le niveau d’érudition et le niveau moral pour légiférer et se dérobe à sa tâche. »

On le voit, la Thora exige de celui qui en est capable d’assumer ses fonctions de dirigeant spirituel, ne lui laissant pas le choix de se réfugier dans l’anonymat.

Comment Chemaya peut-il alors conseiller de haïr le Rabbinat ?

La réponse des Avoth de Rabbi Nathan nous permet de sortir de cette problématique.

Le Sage ne doit pas se mettre en avant, et choisir un rôle public de sa propre initiative.

C’est seulement sur l’insistance de ses maîtres et de ses contemporains qu’il pourra prendre des responsabilités.

(cf. Maïmonide Yad Hahazaka Hilhoth Sanhédrin 3 ; 10 – Choulhan Arouh ‘Hochen Michpath 8 ; 3)

A contre-cœur

La même idée est reprise et développée par le Maharcha (Rabbi Chmouel Eidels, Berahot 55a ibid.).

Le dirigeant spirituel doit inspirer le respect pour pouvoir remplir son rôle, (Ketoubot 103b), mais seulement quand la communauté l’a placé à sa tête.

Rabbi ‘Haïm de Volozhine (Rouah ‘Haïm ibid.) ajoute une note supplémentaire.

Celui qui est placé à la tête de la communauté encourre un grave danger, celui de se complaire et de s’enorgueillir des honneurs de sa position.

C’est pour cela que l’homme doit haïr cette situation.

Même quand il est obligé, par ses contemporains et sa conscience, de prendre des responsabilités, il doit garder à l’esprit en permanence que c’est à contre-cœur qu’il a accepté cette fonction, et qu’il aurait préféré rester dans l’anonymat.

Et Rabbi ‘Haïm de nous faire découvrir, dans cette maxime, un sens allusif.

‘Aime le travail’ est une allusion au travail effectif que doit fournir un dirigeant spirituel : étude des textes, jugement des cas, diffusion de la loi, règlement des problèmes de la communauté…

‘Hais la rabbanout

’ fait allusion aux honneurs et au pouvoir que cette position confère.

C’est seulement lorsque le dirigeant agit dans cet esprit, considérant les honneurs et le pouvoir comme une charge, qu’il remplit véritablement son rôle.

Rabbi Yaakov Kamenetzki (Emeth leyaakov ibid.) fait une remarque intéressante à ce sujet :

Chemaya lui-même occupait la fonction de Nassi(prince) et Abtalion celle de Av bet Din (Président de la cour Suprême). Il est donc clair que son objectif, dans sa maxime, n’est pas de rendre illégitime le Rabbinat.

Il tente simplement de préciser, pour toutes les générations, l’esprit dans lequel l’homme doit agir, quand il a été choisi comme dirigeant spirituel.

Pour clore ce sujet, nous citerons la vision de trois géants en Thora de la fin du XIXème siècle à qui l’on posa la question :

Quelle est la mission principale d’un Rav au sein de la communauté ?

Le Rav de Novardhok (Rabbi Yéhiel Mihel Epstein, auteur du Arouh hachoulhan) répondit :

« - C’est de résoudre toutes les questions de halaha

des membres de la communauté. »

Rabbi ‘Haïm de Brisk était d’un autre avis :

« - Fixer la halaha

peut être le rôle des juges (dayanim) et autres autorités en la matière. Mais le rôle du Rav est surtout d’être le soutien de tous les pauvres et des solitaires, l’avocat des déshérités. Il doit être celui qui empêche les injustices et multiplie les actes de bonté (‘hessed) au sein de la communauté. »

Le beau-père de Rabbi ‘Haïm, Rav Rephaël Chapira (Roch Yéchiva de Volozhine) avait lui aussi une vision différente :

« - Le Rav doit étudier la Thora jour et nuit, et ainsi éclairer par son exemple toute la communauté. » (Megued Guiveot Olam p.57)

Trois approches totalement différentes, qui ont pour seuls points communs le dévouement et la recherche de la volonté divine.

Et on le voit, ces trois grands hommes ne pensaient à aucun moment à l’exercice de leur autorité, ni à l’utilisation du pouvoir, mais seulement à mener à bien leur mission.

Cet enseignement concerne tous les hommes qui tiennent un rôle public dans la société, et peut inspirer chacun d’entre nous…

Chabbath Chalom