Chabbath Tazria-Metsora

28, 29 avril 2006 – 30 Nissan, 1 er Iyar 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies18 h 42 20 h 39 20 h 36
Sortie de Chabbath 19 h 56 20 h 48 21 h 52

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine où nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth) ainsi que des commentaires de la Paracha de le semaine ; nous consacrons ces Dvar Thora en l'honneur de la naissance du fils de Richard & Myriam COHEN :

ADAM YIHYA COHEN

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse et nous espérons vous le faire parvenir dans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui porte le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom et Hodech Tov,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Tazria-Metsora

28, 29 avril 2006 – 30 Nissan, 1 er Iyar 5766

Contre la toute-puissance des attirances interdites

Par le Rav Eliahou Elkaïm

«Le vol et les attirances charnelles sont les deux domaines qui attirent le plus l’homme.» Pour lutter contre notre mauvais penchant, qui réside en nous et peut prendre le pouvoir sur tout notre être, nos maîtres nous donnent des recettes infaillibles et… dévoilées par le Créateur Lui-même!

«Rabbi Yéochoua disait: ‘Le mauvais œil, le mauvais penchant et la haine des créatures expulsent l’homme du monde’».

(Chapitre 2, Michna 11)

Après notre série de Dvar Thora sur le regard qui détruit, nous allons nous pencher sur les deux autres attitudes qui sont considérées par Rabbi Yeochoua comme étant néfastes pour l’homme.

Dans sa maxime, après avoir dénoncé le regard malveillant, il nous met en garde contre le mauvais penchant. Nous avons d’ailleurs cité à ce sujet l’interprétation de Maïmonide, qui explique qu’il s’agit de la volonté incontrôlée de jouir des plaisirs matériels.

Le Rachbats ajoutait: « (…) La jouissance incontrôlée pour les plaisirs de la table et les plaisirs charnels va user son corps et amener toutes sortes de maladies qui écourteront ses jours.»

Le Meïri, pour sa part, explique que le concept du mauvais penchant dont parle ici Rabbi Yeochoua concerne particulièrement les interdits sexuels (arayoth) qui amènent l’homme à une débauche néfaste pour sa santé.

Le Maharal précise également que ce type de penchant est le celui dont l’emprise est la plus forte (dere’h Haïm ibid. 2 ème interprétation, cf. également le Gour Arié sur Genèse 37-9).

Nous retrouvons cet enseignement dans le Talmud: «Il ne faut pas apprendre les lois concernant les unions interdites (arayoth) qui ne sont pas explicitement expliquées dans les textes à plus de trois personnes simultanément.

On ne les enseignera qu’à deux personnes en même temps. Car si l’un des élèves pose une question au maître, le deuxième écoutera l’échange. Mais s’il y a trois élèves, deux peuvent discuter ensemble et ne pas être attentifs à l’enseignement du maître et ne pas en percevoir clairement le message.

Ceux-là risquent par la suite de permettre ce qui est interdit.

Mais on peut se demander pourquoi cette règle ne concerne pas toutes les lois de la Thora…

De la toute-puissance du mauvais penchant

C’est parce que les arayots exercent une attirance spécialement forte sur l’homme. Il sera donc plus tenté d’interpréter comme il le souhaite l’enseignement entendu.

C’est le sens de ce que nous ont appris nos maîtres: «Le vol et les attirances sexuelles sont les deux domaines qui attirent le plus l’homme.»

Dans ces conditions, pourquoi ne pas élargir l’enseignement du Talmud (de ne pas apprendre à plus de trois élèves à la fois) aux lois sur le vol?

La réponse est claire: les arayoth éveillent une forte tentation chez l’homme même lorsqu’il n’est pas en présence de l’objet de son désir, alors que le vol ne l’attirera que si ce qu’il souhaite acquérir est à sa portée (Talmud Haguiga 11b).

Le Meïri cite à ce sujet «Avoth» de Rabbi Nathan, qui met l’accent sur la toute-puissance du mauvais penchant du fait qu’il est ancré en lui dès la naissance, alors que le penchant vers le Bien n’y sera présent qu’à l’âge de treize ans.

Le bon penchant ne pourra agir contre le mauvais qu’en utilisant des stratagèmes. (…)

Le mauvais penchant peut être comparé au fer: tant qu’il est dans la fournaise, il est malléable et peut être forgé à volonté. De même, le seul remède contre le mauvais penchant est l’étude de la Thora, qui est comparée au feu» (Avoth de Rabbi Nathan chap. 16, 2-4).

Le ‘Hida (Rabbi ‘Haïm Yossef David Azoulay), dans son commentaire sur «Avoth» de Rabbi Nathan, «Kissé Ra’hamim», fait une remarque intéressante:

«Le terme utilisé par Rabbi Nathan est: «Il n’y a pas de réparation (takana) pour le mauvais penchant en dehors des paroles de Thora».

Le terme takana signifie une réparation qui change le nature même de l’objet réparé. Il faut donc comprendre cette idée ainsi:

Bien sûr, il existe toutes sortes de moyens (ségouloth) qui aideront l’homme à surmonter ses tentations. Par exemple, devenir sincèrement humble, ou acquérir une crainte profonde du Créateur permettra d’être momentanément épargné par le mauvais penchant. Mais c’est une défense limitée à certaines situations où le mauvais penchant attaque.

L’étude de la Thora, en revanche, comme le montre la métaphore de Rabbi Nathan, permet à l’homme de transformer ce mauvais penchant et de le rendre… bon!

Des épices salvatrices

C’est ce que le Talmud nous enseigne(Kiddouchine 30b) :

«D.ieu nous dit: ‘J’ai créé le mauvais penchant mais J’ai également créé la Thora, qui est son épice (tavlin)’

A l’instar des épices qui donnent bon goût aux aliments, même à ceux qui seraient immangeables sans elles, la Thora transforme et change la nature du mauvais penchant, jusqu’à le rendre bon.

Tous les autres moyens, même s’ils sont nécessaires et importants, ne peuvent amener que des résultats ponctuels, qui ne pourront pas modifier la nature d’une personne.»

Nous citerons une remarque percutante de Rabbi Nathan:

«C’est le mauvais penchant qui dès la naissance, développe chez l’enfants des frayeurs, qui peuvent entraîner des cauchemars où il imagine qu’on lui fait du mal, ou qu’on le tue.

En réalité, l’enfant encore pur, ‘ressent’ la présence de son mauvais penchant qui le poursuit et il le traduit dans son esprit comme un être qui cherche à lui nuire, (ce qui est la réalité, Ndlr.)

C’est également ce mauvais penchant qui fait qu’un enfant, plutôt que de fuir les dangers, se dirigera vers eux, comme lorsqu’il touche des braises qui le brûlent ou s’approche du serpent qui le mord.

Pour preuve, les animaux n’agissent pas ainsi, car ils n’ont pas en eux ce mauvais penchant: une petite brebis s’éloignera d’un puit de peur d’y tomber» (Avoth de Rabbi Nathan, ibid.)

Mais l’auteur du «Binyan Yeochoua» cite le Talmud qui semble aller à l’encontre de Rabbi Nathan, affirmant que les animaux ont également un mauvais penchant qui les pousse à causer des dégâts, à mordre ou à blesser (Bera’hot 61a).

Il répond à cette apparente contradiction: La nature du mauvais penchant est intimement liée aux devoirs de chaque être.

L’homme, on le sait est tenu de protéger sa santé et sa vie: c’est une mitsva de la Thora (venichmartem lenafchote’hem: vous garderez vos vies).

Son mauvais penchant ira donc à l’encontre de cette mitsva et le poussera à l’enfreindre, dès le début de son existence, avant même qu’il n’atteigne l’âge de raison.

Un animal n’est pas tenu par les devoirs de la Thora: il n’aura donc pas ce mauvais penchant qui consiste à nuire à sa propre vie. Il pourra, sans obstacles, se laisser aller à son instinct de conservation, et ce dès le plus jeune âge.

En revanche, le mauvais penchant des enfants s’attaque dès le départ à cet instinct, et le pousse à se faire du mal.» (Binyan Yeochoua ibid.)

Aucune chance de survie

De la même façon que le mauvais penchant pousse un enfant à se mettre en danger, le mauvais penchant entraîne l’homme vers les déviances liées aux plaisirs charnels.

Dans un monde presque noyé par les tentations de ce type, seul les enseignements de nos maîtres peuvent nous faire découvrir des solutions réelles pour nous en protéger.

Ecoutons le Ram’hal, qui dans des mots directs nous fait prendre conscience d’une réalité salvatrice:

«Le Créateur Lui-même nous dit que le seul remède qu’il a créé contre le mauvais penchant est l’étude de la Thora.

Il est donc absolument impossible de concevoir qu’un homme en soit débarrassé sans avoir utilisé ce remède.

Celui qui imagine pouvoir être sauvé d’une autre façon se trouve dans la plus totale erreur.

Mais il prendra conscience de cette vérité seulement au moment de mourir à cause de ses fautes.

Car effectivement, le mauvais penchant est une force très puissante qui réside en l’homme.

Sans qu’il s’en aperçoive, l’homme abrite en lui ce mauvais penchant qui se renforce, et prend finalement le pouvoir sur lui.

Même si l’homme use de toute son intelligence pour trouver des méthodes et des stratagèmes pour lutter contre ce mauvais penchant, s’il n’utilise pas le remède (l’étude de la Thora) qui a été créé spécialement contre lui, il ne ressentira même pas l’intensité de sa maladie jusqu’à l’instant où il quittera ce monde. Mais il sera trop tard: son âme ira à sa perte.

C’est comme si un malade consultait un médecin, qui diagnostique sa maladie et lui prescrit un traitement, et qu’il décidait sciemment de ne pas le prendre.

Cet homme, met donc les médicaments prescrits par le médecin de côté et en choisit d’autres à sa guise, alors qu’il n’a aucune connaissance ni en médecine ni en pharmaceutique !

Cet homme, on le comprend, n’a aucune chance de survie.

Le même processus est à observer pour le mauvais penchant.

Aucun autre que D.ieu, qui l’a créé, ne connaît cette maladie qu’est le mauvais penchant et ses dangers.

Mais D.ieu nous met en garde et nous révèle que le seul remède est l’étude de la Thora. (…)»

(Sentier de rectitude, chapitre 5)

Chabbat Chalom et Hodech Tov


Commentaires sur la Paracha Tazria – Metsora

La vraie vie

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Dans la double paracha de cette semaine, on découvre les lois relatives à la lèpre entraînée par la médisance. Par ces lois, nous allons découvrir le vrai sens de la vie. Une leçon qui traverse le temps…

La double paracha de cette semaine est presque entièrement consacrée aux différentes formes de la lèpre dite « tsaraat », celle qui atteint en premier lieu les maisons, les habits, pour ensuite contaminer les hommes.

Nous trouvons ensuite le processus de purification des lépreux.

Nos maîtres (cf. Midrach Rabba ibid.) nous révèlent que ces phénomènes sont directement liés aux fautes ayant un rapport avec la parole, et plus particulièrement avec la médisance (lachon hara).

Il est important de remarquer que de très nombreux commentateurs voient dans ces événements une manifestation de la Providence divine, et non une description de la maladie communément appelée « lèpre ».

Car la lèpre est contagieuse physiologiquement, ce qui n’était pas le cas de la tsaraat. En outre, celui qui était atteint de tsaraat et dont le corps était entièrement recouvert de lèpre était pur. S’il s’agissait de la lèpre telle que nous la connaissons, ce cas aurait dû être le plus grave.

La traduction de tsaraat par lèpre est donc une simplification due à une analogie de certains symptômes.

Mieux encore, cette forme de « châtiment » n’a existé qu’à une période précise, époque où le peuple d’Israël se trouvait à un niveau moral très élevé, et vivant en terre d’Israël, la che’hina (Présence divine) résidant dans le cœur de chacun.

Une proximité inimaginable

C’est seulement quand ces conditions sont réunies que la moindre défaillance humaine provoque des effets surnaturels comme la tsaraat qui touche, outre les corps, les maisons et les habits.

Cette réaction divine prouve la proximité inimaginable de D.ieu à cette époque, puisqu’Il réagit directement, de façon dévoilée, permettant au fauteur de prendre conscience de sa mauvaise attitude et de lui offrir ainsi la possibilité de se transformer (Maïmonide, lois de la Tsaraat, 16, 10 ; Na’hmanide Lévitique 13, 47 ; Khouzari 2ème partie chapitre 61 et Sforno Lévitique 13 ; 2).

Toutefois, ce passage de la Thora délivre un message et un enseignement pour toutes les générations. Grâce à la description de la tsaraat, la Thora exprime toute la gravité qu’elle accorde aux fautes liées à la parole, en particulier à la médisance.

Ce sont les seules fautes qui provoquent une réaction divine immédiate et directe, et ce par le biais de la lèpre.

D’ailleurs, deux commandements de la Thora sont liés au phénomène de la lèpre ; l’un positif, l’autre négatif.

1- « Observe et exécute avec un soin extrême les prescriptions relatives à la lèpre » (Deutéronome 24 ; 8).

2- « Souviens-toi de ce que l’Eternel ton D.ieu a fait à Myriam pendant votre voyage au sortir de l’Egypte » (Deutéronome 24 ; 9).

Le premier verset est interprété par nos maîtres (Sifri), comme une mise en garde adressée au peuple d’Israël : il ne doit pas faire de médisance, qui cause la tsaraat. Cela fait partie des 365 commandements négatifs de la Thora.

Le deuxième verset, exige de chaque Juif de se souvenir pour toujours de ce que Myriam la prophétesse a enduré pour avoir parlé de Moïse en termes ambigus, et cela malgré de très sérieuses circonstances atténuantes. Cette loi positive a pour but de faire réfléchir sur les effets néfastes du lachon hara, la médisance.

En proie à la mort

Lorsque Myriam a été frappée par la lèpre, Moïse lui-même a imploré D.ieu pour sa guérison:

« Oh, qu’elle ne ressemble pas à un mort-né, qui dès la sortie du sein de sa mère a une partie du corps consumée » (Nombres 12 ; 12).

Partant de cette supplication, et se référant pour chacune des catégories à des versets de la Thora, les maîtres du Talmud ont établi un concept étonnant qui est aussi matière à réflexion.

Quatre personnes sont considérées comme « mortes » : le mendiant, le lépreux, l’aveugle et celui qui n’a pas d’enfants (Nédarim 64b).

Le verset concernant la supplique de Moïse au sujet de Myriam étant la référence pour le lépreux, qui ont le voit, est considéré comme mort.

Rabbi ‘Haïm Schmouelevitz, l’un des grands maîtres de la génération passée, nous éclaire sur les paroles de nos Sages et, par là, nous offre une nouvelle conception de ce qu’est réellement la vie.

D’après lui, ce ne sont pas les souffrances physiques du lépreux qui entraînent qu’il soit considéré comme mort. De nombreux textes confirment cette idée selon laquelle les souffrances physiques, même les plus difficiles à supporter, ne diminuent pas l’être humain au point de lui donner un statut proche du mort.

David lui-même l’exprime dans les psaumes :

« D.ieu m’avait durement éprouvé, mais Il ne m’a point livré en proie à la mort » (118 ; 18).

Ce qui rapproche le lépreux (et donc le médisant) de la mort, ce sont les conséquences de son état :

« Il demeurera isolé, sa résidence sera hors du camp » (Lévitique 13 ; 45).

Rav ‘Haïm Schmouelevitz voit ici le point commun entre les quatre cas énoncés par nos maîtres. Un point commun qui va nous ouvrir de nouveaux horizons…

Faire du bien à ceux qui nous entourent

La vie véritable n’est pas le fonctionnement physiologique de l’organisme.

Pour les maîtres de la Thora, la vie, c’est notre capacité à donner à l’autre, à lui apporter ce dont il a besoin. C’est notre capacité à faire du bien à la société et à ceux qui nous entourent.

Celui qui est dans l’impossibilité de « vivre » avec les autres ou d’apporter quelque chose à son entourage ne vit pas véritablement.

On peut maintenant faire le lien entre les quatre cas décrits par la Thora.

Le mendiant d’abord : sa dépendance financière totale lui enlève toute possibilité de donner. Il ne peut apporter à la société, c’est sa vie même qui est aliénée.

L’aveugle ensuite : la vue est le sens qui permet de « vivre » l’autre. Etre dépossédé de la vue empêche le sentiment d’identification avec son prochain. C’est donc la vie même qui a été ainsi diminuée.

Celui qui n’a pas d’enfant se voit privé de la possibilité la plus naturelle qui soit de donner, celle d’éduquer et de choyer ses propres enfants.

Le cas du lépreux est analogue : être exclu du camp et condamné à l’isolement total tue une personne, en lui enlevant le contact avec la société : le lépreux ne peut plus donner ni recevoir.

On le voit, la Thora nous apprend, par les lois concernant la lèpre, la gravité, que l’on n’avait peut-être pas mesurée, de la médisance.

Effets dévastateurs

Le but véritable de tout châtiment est de permettre au fauteur de prendre conscience de son acte, et de réparer sa faute.

Et la règle générale de « Mida keneged mida », qui veut que la punition soit toujours en relation directe avec la nature de la faute, est ici pleinement valable.

La Thora inflige une punition au médisant, qui est profondément liée avec la mort, lui faisant prendre conscience qu’en disant du mal sur son entourage, il a porté atteinte à la vie même.

Nos maîtres dans le Talmud (Ara’hin 16b) nous empêchent de minimiser les effets dévastateurs de la médisance. Pénétrons leur pensée, à travers leur langage parfois allusif :

« Les Talmudistes de Jérusalem disaient : Le langage du troisième tue trois personnes : celle qui raconte, celle qui l’écoute et celle qui fait suivre la rumeur par la suite. »

Le « langage du troisième » signifie la médisance de la troisième personne mêlée au cycle du lachon hara, à savoir le colporteur, qui transmet à d’autres les informations dénigrantes qu’il a entendu sur une personne. Et Rachi poursuit même en expliquant que la dispute qui peut naître de la médisance peut entraîner un meurtre collectif.

Et dans le cas où les conséquences ne sont pas aussi dramatiques, la détérioration des relations humaines entraînée par la médisance est en soi une atteinte portée à la vie.

C’est cette même idée que développe Maïmonide dans son commentaire sur la Michna (Negaïm 12 ; 5).

« La lèpre décrite dans la Thora est un châtiment pour la faute de lachon hara, car celui qui en fait se coupe de la société, qui ne peut supporter les dégâts causés par son discours. »

Celui qui se met dans une situation où l’apport à la société est négatif, porte atteinte à la vie, et à sa vie propre. Car comme on l’a vu, vivre, c’est donner, et le médisant se met dans une situation où il ne peut plus donner, et donc dans une situation de « mort ».

Elixir de vie

Les valeurs de notre monde sont un obstacle pour évaluer à sa juste mesure les dégâts et la gravité de la médisance.

Dans une société où le plus important est de gagner un bon salaire, qui permettra de partir en vacances, de s’assurer une bonne retraite, ou encore de faire partie d’une élite culturelle, il est difficile de donner à l’autre sa vraie place.

Et dans cette mesure, dire du mal de cet « autre » ne représente pas un acte si grave.

La Thora nous exhorte, pour notre bonheur, à approfondir des vérités plus absolues, qui apportent un éclairage tout à fait neuf au sens véritable de la vie.

Un texte célèbre du Midrach (Vayikra Rabba 16 ; 2) va d’ailleurs prendre un sens légèrement différent grâce à cette conception nouvelle.

« Un marchand qui allait de ville en ville, et qui faisait sa tournée dans les villages aux alentours de Tsipori avait l’habitude de dire à la cantonade : ‘Qui veut acquérir un élixir qui donne la vie ?’

Tout le monde se bousculait pour savoir de quoi il s’agissait. Rabbi Yanaï était en train d’étudier dans sa chambre. Intéressé, il demanda au marchant de monter pour lui vendre cette « potion ».

Le marchand de lui répondre : « Toi et ceux qui te ressemblent n’ont pas besoin de ma marchandise. »

Sur l’insistance de Rabbi Yanaï, le marchant accepta d’entrer dans sa chambre et il lui montra… le verset des Psaumes :

« Quel est l’homme qui souhaite la vie, qui aime les longs jours pour goûter au bonheur ? Préserve ta langue du mal et les lèvres des discours perfides »

(Psaumes 34 ; 13, 14)

Rabbi Yanaï s’exclama : « Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais réellement compris le sens véritable de ces versets. »

De nombreux commentateurs s’étonnent de la réaction de Rabbi Yanaï :

Quel élément, qui n’est pas mentionné dans les mots mêmes du psaume, est venu dévoiler le marchand par son subterfuge ?

C’est qu’il a mis l’accent sur un élément surprenant :

Ne pas dire de médisance n’est pas seulement le moyen d’éviter une faute. C’est purement et simplement éveiller la vie.

Dans la mesure où la vraie vie est de donner à l’autre, d’être le vecteur d’un apport positif envers la société, se préserver du lachon hara, c’est créer de la vie.

C’est pourquoi David Hamele’h n’a pas écrit : ‘Quel est l’homme qui veut être épargné par la mort ?’, mais : ‘Quel est celui qui désire la vie ?’, sous la forme positive. Et c’est ce que Rabbi Yanaï a découvert grâce à ce marchand.

Au moment où notre peuple traverse tant de souffrances et de difficultés, agissons en créant une influence positive dans le monde, en faisant le bien, en fuyant les mots qui tuent.

Celui qui ne dit jamais de mal sur son prochain n’évite pas seulement la mort, il crée la vie.


Commentaires sur la Paracha Tazria

Un niveau jamais atteint

Par le Rav Eliahou Elkaïm

La relation entre D.ieu et notre monde s’exprime par deux canaux : celui qu’on appellera la Providence générale (hachga’ha klalith) et un autre, la Providence personnelle (hachga’ha pratit), deux aspects de la providence divine qui font partie des fondements de notre foi.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Sforno découvre dans le phénomène de la lèpre ( tsaraat), développé dans notre paracha, l’expression la plus sublime de la providence personnelle ( hachga’ha pratit).

Ce concept de hachga’ha, généralement traduit par Providence ou surveillance, s’exprime difficilement en français. Car c’est un concept qui n’existe pas dans la culture française.

En fait, dans cette notion de hachga’ha, c’est toute la relation entre le Créateur et ses créatures qui est contenue.

D.ieu n’a pas seulement créé notre monde pour s’en désintéresser par la suite.

Après les six jours de la création, il reconduit son œuvre en la renouvelant et en lui donnant, à chaque instant, la vie.

Plus encore, c’est Sa seule volonté qui est à l’origine de tout ce qui se déroule dans le monde, des détails les plus subtils aux événements les plus majeurs.

L’Eternel est D.ieu

Le terme hachga’ha englobe deux aspects qui se complètent. Le premier est exprimé dans le verset des Psaumes :

« Du haut des cieux, l’Eternel laisse aller Son regard, Il voit tous les fils de l’homme » (33 ; 13).

On peut donc définir ce premier aspect comme : D.ieu voit et sait tout.

Le deuxième aspect est : en fonction de ce qu’Il voit et de ce qu’Il sait, il agit et dirige tous les événements.

Cette gestion des événements se partage en deux ramifications : une hachga’ha d’ordre général ( klalith) et une autre d’ordre particulier (pratit).

Pourquoi une telle partition ?

Si la hachga’ha personnelle englobe chaque personne, chaque élément de notre monde, quelle place reste-t-il à la hachga’ha générale, et comment s’exprime-t-elle ?

Pour ce qui est de la Connaissance de D.ieu, il est clair qu’elle est globale et infinie : elle concerne et englobe tous les éléments de la création de façon individuelle.

C’est seulement au niveau de l’action de D.ieu qu’on peut envisager cette distinction entre providence générale et individuelle.

Mais alors, si D.ieu agit par le biais d’une providence générale, pourrait-on imaginer qu’en ce qui concerne les détails, d’autres forces ont un pouvoir ?

Certainement pas ! Aucun élément détaché de la divinité ne dirige ni ne décide de la marche des événements du monde de façon indépendante.

Les mots de la Thora sont explicites :

« Toi, tu as été initié à cette connaissance : que l’Eternel seul est D.ieu (Elokim) ; il n’existe rien d’autre (Deutéronome 4 ; 35).

Il faut savoir qu ’Elokim signifie « maître de tous les pouvoirs ».

Mais si cette distinction entre providence personnelle et générale existe au niveau de l’action, doit-on comprendre que l’action de D.ieu est d’ordre général, et ne concerne pas les éléments de la création de façon particulière ?

Le Ram’hal répond à notre question dans « Maamar Haïkarim », chap. Be Hachga’ha.

« Le maître du monde observe en permanence Ses créatures. Il les fait vivre et dirige leur existence en fonction du but pour lequel elles ont été créées. Car chaque créature possède un rôle bien précis dans la création.

Cependant, l’être humain se particularise par le fait qu’il est responsable de ses actes et qu’il est soumis au système de sa’har veonech, la récompense et la punition.

La hachga’ha qui le concerne diffère en cela de celle qui s’applique aux autres créatures.

Car la hachga’ha qui concerne les autres créatures ne les touche qu’en fonction de leur espèce en général, sans donner d’importance à l’existence de chaque individu de façon particulière.

Une créature est uniquement dirigée dans le cadre de l’existence de toute l’espèce, n’ayant pas de rôle particulier.

Les êtres humains, en revanche, sont dirigés de façon individuelle, d’après leurs actes et selon le rôle particulier qu’ils doivent remplir dans le monde.

Comprendre son véritable rôle

Mais même pour les êtres humains, il existe une hachga’ha klalith qui s’intéresse à leur rôle dans le cadre de l’existence de la race humaine de façon générale. »

Cette dernière phrase du Ram’hal est interprétée par nos maîtres de la façon suivante :

On nous présente ici deux aspects de l’existence de l’homme sur terre et de sa relation avec D.ieu.

1. Il fait partie de l’ensemble complexe de la création, et dans ce cadre, il a un rôle général. Un peu comme celui des animaux et des végétaux, qui est d’être utile, même involontairement, à créer les conditions nécessaires pour le plan divin, et pour que les autres créatures puissent réaliser leur mission.

2. Un deuxième aspect concerne ceux qui cherchent à remplir leur rôle véritable : la hachga’ha va alors considérer de façon particulière leurs besoins.

Celui qui ne remplit son rôle que partiellement pourra jouir de la hachga’ha pratit de façon partielle également.

La première idée du Ram’hal est exprimée également par Maïmonide dans l’introduction de son commentaire sur la Michna.

« Ceux qui n’accomplissent pas la volonté de D.ieu sur terre n’existent qu’en tant qu’auxiliaires pour ceux qui remplissent leur véritable rôle. »

Le but de la création

Dans notre paracha, la Thora nous livre les lois relatives à la lèpre (tsaraat) qui peut se déclarer sur les hommes, les maisons ou les vêtements.

D’après nos maîtres, ces affections se déclarent en conséquence de sept fautes commises par l’homme : la médisance ( lachon hara), l’homicide, le parjure, la débauche, l’orgueil, le vol et la jalousie (Talmud Ara’him 16a).

Il est également admis que ce phénomène décrit par la Thora n’est pas la lèpre en tant que maladie que nous connaissons de nos jours ( Sforno Lévitique 13 ; 2).

Pourtant, tous ceux qui ont commis ces fautes ne seront pas atteints par cette tsaraat.

Le Sforno précise (Lévitique 13 ; 47) : « La lèpre qui s’installe sur les vêtements est un phénomène miraculeux qui vient attirer l’attention de leurs propriétaires sur les fautes qu’ils ont commises (…)

A ce sujet, nos maîtres nous ont enseigné que seulement les vêtements des enfants d’Israël, qui peuvent ainsi devenir impurs, sont concernés. Mais jamais ceux des non Juifs.

Les êtres humains, dans leur ensemble, sont le but de la création, car eux seuls peuvent ressembler au Créateur, par leur Connaissance et leurs actions, comme l’exprime le verset :

« Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance » (Genèse 1 ; 26)

L’homme est le seul être qui jouisse du libre-arbitre. S’il tend à découvrir la grandeur de D.ieu et Sa bonté infinie, et qu’il tend à suivre Ses voies pour accomplir Sa volonté, il accomplit le plan divin, comme l’exprime le verset :

« Le juste est le pilier du monde » (Proverbes 10 ; 25).

Cependant, quand l’homme suit ses instincts naturels, qui le poussent aux plaisirs matériels, et qu’il néglige l’accomplissement de la volonté divine, il sera jugé en tant que tel par D.ieu.

Lui décidera si cet être mérite un châtiment temporaire ou éternel…

Douce léthargie

Quand les fautes de l’homme sont commises par inadvertance (bichgaga), D.ieu le fera souffrir par ses biens (mamone) ou par des souffrances physiques, dans l’espoir que cet homme prenne conscience et change d’attitude.

Etonnante affirmation du Sforno : seuls ceux qui fautent par inadvertance jouissent de la réprimande divine !

Cet apparent paradoxe sera résolu plus loin.

« Il ouvre leur oreille à la réprimande » (Job 35 ; 10).

Mais cela ne peut concerner celui qui vit dans une douce léthargie qui l’empêche de prendre conscience de son rôle véritable.

C’est malheureusement le cas de l’ensemble des membres des Nations et de la majorité du peuple juif durant de longues périodes de l’histoire.

Excepté certains êtres d’exception (yé’hidé segoula), qui ne recherchent que la volonté de D.ieu, tous seront soumis aux lois des signes du Zodiaque et des forces de la nature.

Evidemment, ces forces puisent leur pouvoir uniquement de D.ieu.

La hachga’ha qui les concernent est une providence générale, et non particulière.

Chacun a la possibilité de bénéficier d’une hachga’ha pratith. Encore faut-il le vouloir.

C’est le peuple juif qui a été élu par D.ieu, dans la mesure où il a accepté, et cela depuis les patriarches, l’unité de D.ieu.

D.ieu leur a transmis la Thora, et les mitsvoth, qui sont les moyens concrets de se rapprocher de lui.

Et Il les a mis en garde, comme un père prévient son enfant du danger : s’ils s’écartent du chemin de la Thora, ils souffriront.

Dans les périodes où la majorité du peuple juif trouve grâce à Ses yeux, par un comportement droit et pur, D.ieu fera prendre conscience à leur élite des erreurs commises, par la tsaraat de la peau, des maisons et des vêtements.

Par amour et compassion à leur égard, D.ieu enverra des plaies aux habits, puis aux maisons, phénomène absolument surnaturel, inconcevable chez les autres nations.

Malheureusement, il faut le savoir, aucune génération n’a atteint un niveau général assez élevé pour que la tsaraat des maisons et des habits, puisse être observée.

Il n’existe aucun texte qui relate de cas effectifs de tsaraat des maisons, et cela est resté, d’après plusieurs opinions, une éventualité théorique. » (Sforno 47 ; 13).

Contrairement aux apparences, la tsaraat n’est pas un fléau, mais l’expression la plus sublime de la compassion et de l’amour que D.ieu porte, personnellement, à son peuple.

Mais cela concerne, on l’a vu, seulement ceux qui fautent par inadvertance, jamais volontairement, et dans un contexte où la majorité du peuple juif a atteint un niveau très élevé. Et le peuple juif n’est jamais parvenu à ce stade.

C’est pour cette raison qu’il n’a pas bénéficié pas de l’une des marques les plus éclatantes de la providence personnelle.

Mais comme le précise le Ram’hal, chacun de nous, d’après son niveau, jouit de cette merveilleuse providence personnelle.