Pessa’h 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies 18 h 3220 h 20 20 h 15
Sortie de Chabbath19 h 4521 h 27 21 h 29

Pessa’h 5766

  • Mardi 11 avril au soir: Recherche du ‘hamets
  • Mercredi 12 avril: Jeûne des premiers-nés, suivi du 1er Séder
  • Jeudi 13 avrilau soir et vendredi: 2ème Séder en gola
  • Mardi 18 avril au soir et mercredi : 7ème jour
  • Mercredi 19 avril et jeudi: 8ème jour en gola

Très chers amis,

En cette veille de fête de Pessa’h, nos pensées vont vers vous et vers la grande famille de Daat ‘Haïm.

Votre soutien constant nous permet jour après jour de mener à bien la mission que nous nous sommes fixée: former des cadres de très haut niveau pour la communauté juive en général et pour le monde sépharade en particulier.

L’ensemble du corps enseignant et des étudiants de notre institution vous souhaitent, à vous et à tous ceux qui vous sont chers, d’excellentes fêtes de Pessa’h, en ce merveilleux mois de Nissan que nos maîtres décrivent comme le mois prédisposé à toutes les délivrances…

En cette période de fêtes et de réunions familiales, nous avons le plaisir de vous envoyer un recueil de Divré Thora sur Pessa’h rédigés par les Rabbanims de Daat Haïm et qui, nous l’espérons, apportera connaissances et réflexions, et ouvriront des débats et des échanges d’idées.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Que le mérite du Saint et vénéré Rabbi Haïm Cohen zt’l, et de l’étude de la Thora soient pour vous une source intarissable de protection divine.

«C’était la nuit de protection de l’Eternel, pour leur sortie du pays d’Egypte, c’est

cette même nuit instituée par le Seigneur comme prédestinée à la protection des

enfants d’Israël dans toutes les générations» (Exode 12 – 42)

Avec la bénédiction de la Thora que nous vous adressons de Jérusalem, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec nos plus sincères vœux d’un Pessa’h cacher vésaméa’h.

Rav Chalom Bettan

Ces Divré Thora sont écrits pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov


Le nom de l’homme

Par le Rav Moshé Tapiero

Le second livre de la Torah qui déroule le récit de l’exil et de la délivrance d’Israël, débute par la mention des noms des douze tribus. Introduction capitale qui donne son titre à tout le livre connu comme ‘Séfer Chemot’. Pour les maîtres d’Israël, cette évocation précise l’enjeu de cette liberté enfin trouvée après quatre siècles d’exil. Il faudrait lire l’histoire comme une recherche du nom de l’homme. Universalité de l’humain qui se donne à travers le nom propre du sujet juif. Chacun des noms renverrait ainsi à l’une des étapes de la délivrance. «Réou-ven, principe de la vision réïya, ouvre à la perspective du verset ‘car J’ai observé le malheur de mon peuple’. Shim-on, fondement de l’entendement shémi’a, rend possible le verset ‘Il entendit leurs suppliques’…». (Chemot Rabba 1,5).

Irréductible à la seule dimension politique et donc singulière de l’histoire d’un peuple, l’exil d’Israël dessine un moment essentiel dans la constitution de la subjectivité de l’homme et de l’identité de chac-un. Comme tout autre événement, on peut le dater et le situer géographiquement. On peut aussi signifier les générations qui ont connu l’exil, préciser les hommes qui ont œuvré. Autant d’indices qui enferment l’histoire dans un ailleurs qui ne touche qu’incidemment le sujet moderne. C’est méconnaître ce que mes maîtres appellent la dimension historiale des récits de la Torah. Elle s’attache à l’élaboration, phase après phase, de l’identité adamique. Elle réalise ce déploiement de la subjectivité. Etre sujet, c’est-à-dire s’affirmer dans son rapport au Créateur, n’est pas simple déclaration de principe. C’est investir la totalité de son existence à partir de cette disposition d’un visage tourné vers le Très-Haut. On comprend que cela implique une infinité de niveaux, selon l’intensité de cette exposition de soi. Ce sont ces multiples niveaux qui scandent l’histoire d’Israël, chaque événement correspondant à l’une des phases du déploiement du sujet.

Comment dire l’historial de l’exil et de la sortie d’Egypte?

La nuit de l’exil

«Lorsque tombe la nuit sur Avraham et que la torpeur s’empare de lui, la crainte d’une profonde obscurité le saisit» (Berechit 15,12). Allusion est faite aux souffrances et à l’obscur de l’exil, précise Rachi. A la nuit de l’exil s’oppose la clarté de la délivrance: «Alors (aze) ta lumière percera comme la levée du jour» (Yéshaya 58, 8). Aze renvoie à l’ultime délivrance eschatologique dont le caractère absolu est signifié à travers l’intensité d’une lumière qui perce les cieux obscurs de la nuit.

Fidèle à notre projet de lecture, il nous faut traduire ces éléments en termes de subjectivité. L’obscur de la nuit signifie évidement la perte d’identité, l’impossibilité de se mouvoir dans un monde vide de sens et sans repère. Dans la nuit rien ne se donne à voir, aucune lumière extérieure ne perce et n’éclaire le monde sublunaire. Chaque élément est entité solitaire sans rapport à toute extériorité. Car seule la lumière permet d’embrasser d’un seul regard la multiplicité des choses et de les inclure dans une vision unitive. A cette solitude des choses répond celle du sujet. Chacun est replié sur soi, reclus, prisonnier des limites de son être. Mitsraim - l’Egypte ou Métsarim civilisation de la finitude et des limites de l’être.

«La nuit tu ne cesses de pleurer» s’exclame le prophète des lamentations (Eikha 1, 2). Car le pleur de la nuit est communicatif et ne laisse personne insensible (Rachi). Les larmes brouillent la vue empêchant une vision claire. Le pleur déforme la parole, abolit la clarté de l’expression. C’est le moment du désordre. (Déma’, pleurs ou Dimoua’, mélange).

Confusion des temps

A-t-on saisit l’extrême modernité de l’exil comme catégorie du recul de la subjectivité? Ne sommes-nous pas les contemporains d’un monde où règne la plus totale confusion? La longue agonie de la civilisation universelle n’a pas fini de se terminer. Voici tout juste quelques années, le 11 septembre marque l’effondrement des hauteurs de cette civilisation. Durban aussi, où Israël est mis au ban de l’humanité au nom de la liberté et de l’égalité des hommes et des nations. Quel choc pour le juif oublieux de soi, confiant en la sagesse de l’Occident, en l’authenticité de l’idée moderne du progrès qui réaliserait l’exigence éthique du prophétisme!

D’où procède cette confusion?

Rappelant l’enseignement du Maharal sur l’exil actuel d’Edom, mes maîtres définissent la modernité comme l’empire du Rien (hé’edér). Carence de toute valeur, absence totale de sens et d’orientation. La perception moderne du langage exprime parfaitement cette défection. Les mots ne renvoient à rien, les notions employées sont rigoureusement vides de sens. Car tel est le postulat moderne, tout peut être dit, tous les discours se valent, car tout est jeu. Démocratie entendue comme règne de l’opinion, non pas par l’artifice d’une prétendue vérité atteinte par le consensus du plus grand nombre, mais comme exaltation de la vanité même de l’opinion. La référence à la vérité est exclue et, à sa place, règne la doxa. Le rejet du Créateur se déploie dans l’époque moderne par un refus de tout Absolu. Privé de cette référence en hauteur, de ce valoir qui donne sens à toute valeur, le moderne instaure le Rien comme seule mesure des choses et des idées.

La clarté du nom

«Le nom est déterminant» enseigne le talmud en se basant sur l’opposition de Chamot- désolation- à Chémot- le nom. (Berakhot 7).

Chémama reçoit dans les versets deux significations. Il désigne un lieu désert, sans demeure ni vie. Il est aussi marque d’étonnement et de stupéfaction. L’unitif des deux réside dans l’absence de sens et de direction. Le désert est un lieu vide sans chemin ni destination. Lieu d’errance. L’étonnement exprime cette carence de sens, la stupéfaction résulte de l’impossibilité à saisir et à définir une chose ou un événement.

Désolation de ce qui ne porte pas de nom. Car le nom exprime l’identité de la chose. Le Midrash oppose Essav (Esaù) qui nomme ses enfants aux Avot (patriarches) qui reçoivent leurs noms du Créateur. Dans le premier cas il n’y a qu’une simple convention pour désigner une personne. Pure contingence, simple jeu de langage. Le nom d’Israël est expression d’une identité. Pour tout un chacun avoir un nom c’est ne pas se suffire du prénom reçu à sa naissance et donné comme essence, mais répondre à un nom qui soit l’expression de toute son existence.

La valeur numérique de Mitsraïma (Egypte) est égale à celle de Chémama (désolation) (385). L’Egypte pharaonique ou le ‘désert des nations’, lieu sans nom, où règne la pure contingence. Toutes les divinités sont conviées et présentes à la cour du Pharaon. Pluralité qui atteste d’une véritable dispersion, d’une carence d’une quelconque référence à la vérité.

Plongé dans la tourmente de la servitude qui prive l’esclave de toute identité, Israël a gardé la mémoire de son nom et du nom de ses ancêtres. Nom qui fait sens vers un au-delà dont procède le sens.

Avoir un nom qui soit donné par le Très-Haut, c’est être, parmi tous, singularisé par un appel qui nous constitue comme sujet. C’est ne plus s’en remettre au règne de l’opinion mais construire l’universalité à partir de l’intensité singulière de chac-un. Les juifs sont appelés hébreux parce qu’ils ont traversé la mer des joncs, quittant à jamais l’empire du Rien. A nous aujourd’hui de faire entendre pleinement le nom de l’homme.

PESSAH CACHER VESAMEAH


Être libéré ? Pourquoi ?

Rav Eliahou Elkaïm

Le texte qui suit a été écrit par mon père Rav Raphaël Yehouda (Léon) Elkaïm ztl, sous le titre « Pessa’h et la pédagogie », et a été publié dans « Le journal de Tanger » en Mars 1964. Il reste toujours aussi actuel, et c’est à sa mémoire bénie que nous le citons in extenso, avec un complément concernant la réponse adressée au Racha (méchant). Car les réponses conseillées par la Thora sont en réalité des enseignements également pour les parents…

« Mais aussi garde-toi, et évite avec soin, pour ton salut, d’oublier les événements dont tes yeux furent témoins, de les laisser échapper de ta pensée, à aucun moment de ton existence. Fais-les connaître à tes enfants et aux enfants de tes enfants. N’oublies pas ce jour où tu parus en présence de l’Eternel, ton D.ieu, au ‘Horeb, lorsque l’Eternel m’eût dit : « Convoque ce peuple de ma part, je veux leur faire entendre mes paroles, afin qu’ils apprennent à me révérer tant qu’il vivront sur la terre, et qu’ils l’enseignent à leurs enfants. » (Deutéronome 4 ; 10, 11).

Ces versets fondent le devoir de tout Juif de veiller à garder pour lui-même l’héritage spirituel reçu de ses parents et de le transmettre à son tour à ses enfants et petits-enfants.

Le père n’est plus ici tenu simplement d’assurer la vie matérielle de ses enfants, de préparer leur avenir. Il doit inscrire cet avenir dans un cadre bien défini. La vie de l’enfant doit s’insérer dans la Tradition ancestrale, et le père est le mieux placé pour donner cette orientation. Le père doit donc être pour son fils un professeur. La pédagogie devient une attribution que le père ne peut reléguer sans se renier.

La cérémonie de la célébration de Pessa’h est l’une des institutions rabbiniques qui illustre avec le plus de détails cette préoccupation du père juif d’ouvrir le dialogue avec son fils pour l’initier aux principes de base de sa foi.

La table du Séder, l’attitude du Chef de famille, différente ce soir-là de ce qu’elle est les autres soirs, tout est en place et vise à éveiller la curiosité de l’enfant qui doit questionner : « Manichtana

En quoi cette soirée-ci se distingue-t-elle de toutes les autres ?

Pourquoi, alors que tous les autres soirs, nous mangeons du pain levé ou du pain non-levé, cette soirée-ci nous consommons exclusivement du pain non-levé ?

Pourquoi toutes les autres soirées mangeons-nous des herbes de toutes sortes, cette soirée-ci des herbes amères ?

Les techniques modernes dites audiovisuelles sont pour nous aussi anciennes que l’institution de la cérémonie du Séder !

C’est que Pessa’h est le point de départ de l’histoire juive.

C’est avec Pessa’h que commence le culte du Juif et sa foi. Et ce culte et cette foi doivent être enseignés dans les meilleures conditions.

Le seul décor, la solennité de la cérémonie ne suffisent plus. Le père devra trouver le langage propre à chaque enfant et le lui parler.

« Donne à l’enfant une éducation selon ses dispositions. Même avancé en âge, il ne s’en écartera pas. » (Proverbes chap 22 ; v. 6).

C’est pourquoi la Hagada rapporte le passage des quatre enfants. La Thora parle en effet de quatre enfants : d’un sage, d’un méchant, d’un simple (naïf) et d’un enfant ne sachant pas questionner.

Et la Hagada poursuit : le sage, que dit-il ?

« Qu’est-ce que ces statuts, ces lois, ces règlements que l’Eternel notre D.ieu vous a imposés ?»

Et tu répondras selon sa sagesse.

La Hagada nous enseigne ici jusqu’où va le devoir du pédagogue, du père juif. Il ne lui suffit plus de connaître les textes, le contenu de sa foi, ses traditions, encore faut-il trouver la formulation qui convient à chaque questionneur.

Il y a l’enfant sage, l’intellectuel avide de rigueur, de science. Il conviendra de lui répondre de façon détaillée, savamment.

Puis vient le méchant pour qui le joug de la pratique des commandements est trop lourd à porter. Il préfère la facilité, l’abandon. Ici aussi la réponse est en rapport avec son arrogance :

« Et toi aussi, agace-lui les dents»

L’enfant peut être un naïf, sensible seulement au décor, il ne sait formuler sa question et demande simplement : Qu’est-ce que cela ?

A lui aussi, dit la Hagada, tu répondras selon sa naïveté.

Enfin, celui qui ne sait pas questionner. Pour celui-là, tu prendras toi-même l’initiative, tu lui raconteras.

C’est seulement lorsqu’il est capable de parler avec son enfant le langage qui lui convient pour lui inculquer les fondements de sa foi, que le Juif assume pleinement sa fonction de père.

Avec la cérémonie du Séder, le dialogue ne fait que s’ouvrir.

Il appartient aux parents juifs d’alimenter ce dialogue l’année durant.

Il leur faudra répondre aux mille et un « manichtana » de leurs enfants. Mais ceci suppose l’existence de l’école des parents !

L. Elkaïm, directeur du centre de formation juive et pédagogique.

Nos maîtres (Rachi Exode 13 ; 14 ; Me’hilta fin de la parachat Bô) identifient les quatre passages de la Thora où l’on trouve les questions posées par les enfants comme se référant à quatre interlocuteurs différents : le sage, le racha (méchant), le naïf et celui qui ne sait pas questionner.

L’auteur (inconnu) de la Hagada, ajoute un nouvel élément : ces dialogues ont lieu à la table du Séder. Et c’est autour de cette table que l’enseignement paternel sera le plus marquant.

Toujours d’après l’auteur de la Hagada, le fils racha (méchant), est également présent à cette table et participe aux débats.

Le texte que nous avons cité plus haut met en relief l’approche pédagogique qui apparaît à travers les consignes de la Thora pour tous les genres d’enfants.

Nous allons, pour notre part, tenter de développer la méthode d’éducation conseillée pour le racha.

Le passage de la Thora concernant le racha se trouve dans l’Exode (12 ; 26, 27).«

Alors, quand vos enfants vous diront : ‘Que signifie pour vous ce rite ?’, vous répondrez : ‘C’est le sacrifice de la Pâque en l’honneur de l’Eternel, qui épargna les demeures des Juifs en Egypte, alors qu’il frappa les Egyptiens et voulu préserver nos familles’.»

Chose étonnante, la réponse de la Thora au racha ne figure pas dans la Hagada, ni dans les textes de nos Maîtres.

On adresse au racha la réponse utilisée pour l’enfant qui ne sait pas questionner. Nos maîtres expliquent que cette réponse possède un double sens : l’un pour celui qui ne sait pas questionner, l’autre pour le racha.

« Tu donneras alors cette explication à ton fils : ‘C’est dans ce but que l’Eternel a agit en ma faveur quand je sortis d’Egypte.’ » (Exode 18 ; 8).

La Hagada, en s’adressant de cette façon au racha, lui fait remarquer que la Thora utilise la forme « en ma faveur », ce qui l’exclut de la communauté.

« Li velô lo » : en ma faveur et non en sa faveur, car s’il avait été présent au moment de la délivrance, il n’aurait pas pu jouir du sort de la communauté, et il serait resté en Egypte.

Cette réponse, pour le moins brutale, doit lui agacer les dents.

Mais cette réponse soulève deux questions…

D’abord, pourquoi ne pas lui répondre par le verset de la Thora qui le concerne explicitement.

Ensuite, dans la mesure où de toutes façons, on lui refuse le dialogue, il suffirait de ne pas lui répondre, en s’inspirant de la règle générale : « Ne réplique pas au sot dans le sens de son ineptie, car toi aussi, tu serais comme lui » (Proverbes 26 ; 4).

L’auteur du « Chem miChmouel », vient nous éclairer, et grâce à lui, nous allons découvrir que cette attaque n’est pas destinée à le repousser, mais qu’elle cache en réalité une vraie tentative de sauvetage…

Réaction sans diplomatie ?

Ce n’est pas sans raison que l’auteur de la Hagada situe le dialogue avec le racha à la table du Séder. Car c’est seulement l’atmosphère unique et intense de cette soirée, destinée depuis toujours à la délivrance des corps et des esprits, qui permet d’engager une tentative de sauvetage.

Et l’on peut sauver et ouvrir les yeux à tous, même à celui qui est déjà proche de l’hérésie, appelé dans la Hagada « kofer baykar », celui qui a renié les fondements de notre foi.

Pour ce faire, il faut utiliser une méthode de choc et un dialogue ouvert ne peut pas encore être engagé. Il faut lui agacer les dents en lui disant la vérité le plus crûment possible.

C’est seulement ensuite que l’on pourra, si son cœur s’ouvre, lui transmettre la réponse de la Thora que nous avons citée plus haut.

Ce n’est donc pas par hasard si la Hagada a choisi comme réponse au racha le texte utilisé pour celui qui ne sait pas questionner. Le texte utilisé par la Thora ne pouvant servir que plus tard.

L’approche pédagogique est claire : le dialogue ne peut s’ouvrir que lorsque les éléments fondamentaux sont acquis. Face à celui qui remet en question les fondements de notre foi, nous devons avoir une réaction dénuée de diplomatie, afin de provoquer en lui un choc, qui ouvrira son cœur.

Mais au-delà de l’action éducative, nos maîtres décèlent dans les mots adressés au racha, un sens profond, qui touche un point fondamental du concept de Pessa’h.

Une nouvelle approche du monde

C’est le commentaire de Rachi sur ce verset qui va nous éclairer sur ce sens caché.

«Alors, quand vos enfants vous diront : ‘Que signifie pour vous ce rite ?’» (Exode 12 ; 26).

La Thora utilise le mot « diront », le préférant à « demanderont », employé pour les autres fils. C’est que dans cette phrase, le racha ne pose pas véritablement une question. Au contraire, il affirme une idée bien arrêtée.

Pour lui, la délivrance est un événement unique dans l’histoire et il est naturel de le commémorer.

Ce qui le dérange, c’est la complexité de ce rite, car une simple commémoration ne nécessite pas tant de petits détails, mille et une règles et interdictions difficiles à réaliser. Sans compter la ferveur qu’il faut y mettre…

Pour lui, tout cela n’a pas de sens.

On lui répond par cette phrase : « C’est dans ce but que l’Eternel a agit en ma faveur quand je sortis d’Egypte ».

Mais de quel but parle-t-on ?

Rachi explique les mots « baavour zé » (« c’est dans ce but ») de la manière suivante : « Pour que je puisse accomplir Ses commandements, notamment celui concernant l’agneau Pascal, la matsa et les herbes amères, l’Eternel a agit en ma faveur quand je sortis d’Egypte.»

Par ces quelques mots, avec sa concision habituelle, Rachi vient nous éclairer sur une nouvelle approche du monde que nous livre la Thora.

Les mitsvoth liées au Séder ne sont pas la conséquence de la libération d’Egypte.

Et ce n’est pas parce que nous avons été libérés d’Egypte que nous faisons le Séder.

Au contraire, c’est pour permettre au peuple d’Israël d’accomplir ces rites et ces lois dans toute leur complexité que D.ieu nous a délivré.

Car la complexité de ces lois, leur relative difficulté d’exécution viennent justement marquer notre effacement total devant la volonté divine.

Fondamentalement, le racha n’a pas compris l’innovation et la perspective tout à fait nouvelle de la délivrance (géoula) et le sens de l’Histoire.

Le racha ne perçoit dans cet événement qu’un geste divin qui libère le peuple d’Israël de ses oppresseurs. Un acte historique comme tant d’autres dont l’interprétation peut être décidée par l’homme, et qui pourrait être commémorée par une banale cérémonie.

C’est pour cette raison qu’il n’aurait pas mérité d’être délivré s’il avait été présent au moment de la sortie d’Egypte.

Car la délivrance n’avait pour but que de créer une nouvelle nation, capable de se plier de façon totale devant les ordres divins.

L’accomplissement des mitsvoth exige un effacement total, et toutes les raisons et explications que donne la Thora elle-même viennent simplement nous aider dans notre action.

S’effacer devant D.ieu est le seul but du processus de la délivrance.

Durant le Séder, commémoration de la délivrance, le foisonnement de détails, complexes à réaliser et peu compréhensibles pour un esprit obtus, nous permet d’atteindre l’unique objectif de cette délivrance : « Afin que je puisse accomplir Ses commandements ».

Si le racha saisit l’ampleur de son erreur, la porte lui est alors ouverte, et il peut à nouveau s’intégrer dans le peuple d’Israël.

PESSAH CACHER VESAMEAH


L’amour réciproque

Par Rav Eliahou Elkaïm

Celui qui sera épris de D.ieu, et qui gardera en permanence à l’esprit que c’est Lui qui dirige nos pas et lit dans nos pensées, jouira de sa Providence à chaque instant. C’est l’une des leçons de Pessa’h.

Chabbath hagadol est le jour anniversaire de l’achat de l’agneau Pascal par toute la communauté d’Israël.

L’accomplissement de cet ordre divin fut le premier pas dans le processus de libération du joug égyptien.

Chaque année, génération après génération, c’est dans le même ordre que nous commémorons les événements extraordinaires qui se sont produits à cette époque.

Mais dans notre tradition, une commémoration n’est pas un rite folklorique, c’est l’occasion de faire revivre les enseignements fondamentaux que la délivrance hors du commun du pays d’Egypte vient nous livrer.

La semaine dernière, nous avons vu dans le phénomène de la lèpre (tsaraat), l’expression de la Providence divine (hachga’ha pratit).

Nous allons découvrir à présent que le processus de la sortie d’Egypte est fondamentalement lié à ce concept de Providence personnelle. Et tous les Juifs de l’époque ont pu la percevoir de façon éclatante.

Nous allons également constater que la foi en D.ieu est indissociable de la foi absolue dans le récit des événements de la sortie d’Egypte.

Dans « Or’hot ‘haïm leharoch », l’ouvrage de base du Roch (Rabbénou Acher), on trouve ces idées très clairement exprimées :

« Il faut avoir une confiance (bita’hon) totale en D.ieu et avoir une foi profonde et sincère en la Providence divine personnelle.

C’est seulement ainsi que l’on parviendra à fixer en son cœur la foi en l’Unité absolue de D.ieu (Y’houd Hachalem).

Pour cela, il faut profondément ressentir que D.ieu laisse aller Son regard sur tout l’univers et qu’il « voit » toutes les actions humaines. Il sonde les cœurs et les reins. (D’après la tradition, les reins interviennent dans les décisions prises par l’homme).

L’Eternel est D.ieu

Et le Roch poursuit :

Cette vérité est profondément ancrée dans le déroulement de la sortie d’Egypte.

« ‘Je suis l’Eternel ton D.ieu qui t’ai fait sortir d’Egypte’ (parole du décalogue : Exode 20 ; 2).

Il est clair que celui qui ne croit pas véritablement à la deuxième partie de cette injonction (« qui t’ai fait sortir d’Egypte ») ne peut pas véritablement croire à la première (« Je suis l’Eternel ton D.ieu »).

Il ne peut atteindre la foi en l’unité absolue de D.ieu (Y’houd Hachalem).

Cette foi entière est l’élément qui différencie le peuple juif de toutes les nations et l’élève à des niveaux inégalés.

Cette foi est le fondement de toute la Thora. » (Chapitre 26)

La sortie d’Egypte fut un événement pendant lequel se dévoila la Providence divine personnelle dans toute sa splendeur.

Le Roch voit dans la foi en ces événements extraordinaires, la foi en D.ieu, et donc le fondement de la Thora.

Essayons de retrouver dans les textes cet aspect tout particulier de la délivrance (géoula) d’Egypte.

« Car Je connais (yadati) ses souffrances » (Exode 3 ; 7).

Cette connaissance (yédia) est, d’après nos maîtres, l’expression même de cette providence personnelle (hachga’ha pratit).

Nous retrouvons ce même terme, yédia, au moment où D.ieu exprime Son « sentiment » pour Avraham.

« Je l’ai connu (yédativ) véritablement » (Genèse 18 ; 19).

Deux interprétations, celles de Rachi et de Na’hmanide, se complètent pour expliquer le sens véritable de cette notion de connaissance.

« Ki yédativ », c’est une expression d’amour.

Nous retrouvons à maintes occasions, le terme yédia dans le sens d’amour. Et en particulier à propos de Moïse :

« Je t’ai distingué (vaédaa ’ha) par ton nom » (Exode 33 ; 17).

On le voit, la notion de connaissance est liée à celle de l’amour.

Celui qui aime l’autre s’intéresse profondément à lui, cherche à le connaître, à percer ses caractéristiques les plus intimes (Rachi ibid.)

La connaissance de D.ieu, et son intérêt profond pour son peuple prouve Son amour, et c’est l’essence de la Providence divine personnelle (hachga’ha pratit) dont jouit Israël.

Na’hmanide ajoute :

« Le sens véritable de cette connaissance (yédia) est la Providence qui régit notre monde, et qui permet la survie de tous les êtres.

Cela est vrai pour la majorité de l’humanité par le biais de la providence générale.

Pour ce qui est des justes, D.ieu intervient activement et individuellement, et cela s’exprime par une protection permanente.

La connaissance et le souvenir divins ne s’interrompent jamais, ne serait-ce qu’un instant.

« Il ne détourne pas Ses yeux des justes » (Job 36 ; 7)

« Voici les yeux du Seigneur sont ouverts sur ceux qui le craignent » (Psaumes 33 ; 18). » (Na’hmanide ibid.)

« Car il connaît Mon nom »

Rabbi ‘Haïm Friedlander zatsal, dans son ouvrage « Sifté ‘Haïm » (Moadim volume 2 page 317) cite à ce sujet Maïmonide, dans un passage du « Guide des égarés », (chapitre 3, p. 51) :

« Il m’a été dévoilé une vérité extraordinaire, qui ôte tous les doutes et dévoile les secrets de la Providence divine.

Voici cette vérité : nous avons déjà développé dans le chapitre sur la hachga’ha que la Providence s’applique à celui qui la reconnaît.

Dans le même ordre d’idée, celui qui atteint le niveau le plus élevé de cette reconnaissance, et qui garde à l’esprit la divinité de façon ininterrompue, celui-là aura le privilège de jouir de la hachga’ha de façon permanente.

En revanche, celui qui, malgré un haut degré de connaissance, ne parvient pas à garder D.ieu constamment à l’esprit, bénéficiera seulement de la providence personnelle dans les moments où il fera l’effort d’être relié à Lui.

Le reste du temps, cette providence divine particulière ne sera pas effective pour lui. (…)

« Car, dit le Seigneur, il est épris de Moi (bi ‘hachaq) et Je le sauverai du danger, Je l’épargnerai, car il connaît Mon nom » (Psaumes 91 ; 14).

La connaissance du Nom de D.ieu, dont il est question dans ce verset, est en réalité le niveau de perception de la Providence atteint par l’homme.

On voit également dans ce verset que seul l’amour, exprimé par bi ‘hachaq, fait mériter cette protection extraordinaire.

Il existe une différence entre celui qui aime (ohev) et celui qui est épris (‘hocheq) : celui qui aime n’a pas constamment à l’esprit l’objet de son amour.

En revanche, l’esprit de celui qui est épris ne dispose d’aucune place pour autre chose.

Etre épris de D.ieu, c’est avoir constamment à l’esprit Son existence et Sa providence.

De cette manière, et grâce à elle seule, on méritera une protection illimitée de D.ieu.»

Etre épris de D.ieu, c’est sentir à chaque instant qu’Il dirige nos pas et lit nos pensées.

C’est ainsi que l’on peut avoir conscience de Son unité, comme le souligne le Roch.

Les enfants d’Israël implorent D.ieu

La sortie d’Egypte fut l’occasion pour l’humanité en général, et pour le peuple juif en particulier, de découvrir cette Providence divine personnelle.

Après deux cent dix années de servitude et de souffrances, période pendant laquelle la main divine était cachée, « D.ieu sut (vayéda Elokim) » (Exode 2 ; 25).

« D.ieu s’intéressa à eux et ne fut point indifférent » (Rachi ibid.)

Au plus profond de leurs souffrances, les enfants d’Israël implorent D.ieu.

« Leur plainte monta vers D.ieu du sein de l’esclavage » (Exode 2 ; 23).

Moïse est alors envoyé, pour développer dans leurs cœurs la foi en D.ieu et les préparer au processus de la délivrance. Les miracles montrent avec éclat la Providence très particulière à laquelle assistèrent les Juifs.

En quoi était-elle si particulière ? C’est que chacune des plaies infligées aux égyptiens était dosée et calculée en fonction de leurs pêchés (mida kenegued mida).

Leur châtiment dépendait directement des atrocités qu’ils avaient infligé aux Juifs.

Ainsi, cela s’est reproduit pendant la traversée de la mer rouge. D’après nos maîtres, les Juifs remarquèrent que le châtiment que subissait chaque égyptien correspondait exactement à sa conduite.

Le Roch conclut par des mots saisissants :

« Ne pas croire profondément dans le récit des miracles de la sortie d’Egypte, qui est l’expression de la Providence divine individuelle, altère gravement la foi (émouna) dans l’existence même de D.ieu car ces deux éléments sont indissociables et sont le fondement de toute la Thora.»

Que tout le peuple juif puisse retrouver sa foi ancestrale en Son D.ieu et Ses miracles, et que nous puissions jouir bientôt de Sa délivrance.

PESSAH CACHER VESAMEAH


Reconnaître le Bien qu’on nous a fait…

Et s’approcher de D.ieu

Rav Eliahou Elkaïm

Etre reconnaissant envers celui qui nous a fait du bien est l’une des qualités exigées par la Thora. Et elle peut prendre des formes tout à fait surprenantes…

Dans notre paracha, nous assistons à la dernière phase des dix plaies, puis à la sortie d’Egypte.

L’une des réactions les plus fondamentales que cette libération du peuple juif doit susciter en chacun de nous, à toutes les époques, est la « reconnaissance des bienfaits » (Hakarath hatov), vis à vis de Celui qui nous a sorti de cette terre d’esclavage.

L’intensité de cette reconnaissance doit entraîner que nous souhaitions accomplir Sa volonté, être Ses serviteurs.

C’est ainsi que Na’hmanide interprète les premiers mots du décalogue :

« Je suis l’Eternel ton D.ieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, d’une maison d’esclavage » (Exode 20 ; 2).

Selon son interprétation, les termes « d’une maison d’esclavage » viennent exprimer l’obligation du peuple juif de reconnaître l’Eternel comme leur D.ieu, et donc de Le servir, parce qu’Il les as libérés de l’esclavage d’Egypte, ainsi que le verset le précise :

« Car ils sont mes esclaves, Moi qui les ai fait sortir du pays d’Egypte » (Lévitique 25 ; 4).

Rabbénou Bahya ibn Pakuda, l’auteur du ‘Hovoth Halevavoth (« Les devoirs du cœur »), développe, plus encore, ce concept.

Conscience éternelle

Après avoir expliqué le devoir qui incombe à l’homme d’approfondir sa compréhension du monde et de mesurer pleinement l’ampleur des bienfaits de D.ieu dont il bénéficie en permanence (Chaar habe’hina), Rabbénou Bahya insiste ensuite sur les devoirs que nous avons envers notre Créateur (Chaar Avodath haélokim) :

« Après avoir pris conscience de l’unité de D.ieu et d’avoir analysé les différentes formes de Ses bienfaits, l’homme doit prendre conscience de ses devoirs envers son Créateur.

En effet, la logique exige de celui qui a bénéficié d’immenses bienfaits de se sentir redevable envers son bienfaiteur.

Il est clair dans l’esprit de chacun que nous devons être reconnaissant envers celui qui nous a fait du bien et réaliser pleinement ses bonnes intentions à notre égard.»

Dans le chapitre 6 de cette même partie, l’auteur définit plus encore la nature de cet engagement :

«Par reconnaissance pour les bienfaits qui concernent l’humanité dans son ensemble (création de l’homme, don de sa subsistance…), l’homme doit avoir une conduite morale honorable, ce qui correspond aux mitsvoth dites si’hlioth (que la logique humaine appréhende), mitsvoth rationnelles : elles sont admises par la société car elles interdisent des actes nuisibles comme l’assassinat, le vol, le mensonge, l’adultère, le manque de respect envers ses parents…

Il y a ensuite la reconnaissance pour les bienfaits que le Créateur a accordé à une nation particulière, en l’occurrence au peuple d’Israël, qu’Il a sorti d’Egypte et dirigé vers la terre promise.

Cela engage les Juifs à un tout autre niveau du service divin, correspondant au mitsvoth dite chimioth, les commandements qui ne sont pas rationnels, comme les interdits alimentaires, vestimentaires, les lois liées à la vache rousse…»

(‘Hovoth Halevavoth, Chaar Avodat Haélokim chapitre 6)

Rabbi Yérou’ham de Mir, précise le sens caché des mots de Na’hmanide que nous avons cités plus haut.

La sortie d’Egypte n’est pas seulement pour D.ieu, l’occasion de donner au Juifs et à l’humanité dans son ensemble, une cours magistral sur la foi (émouna).

C’est bien plus que cela : cela doit susciter un engagement total de l’homme envers son Créateur, qui ne peut être le résultat d’une réflexion à elle seule.

C’est un sentiment, celui de la reconnaissance envers D.ieu, qu’il faut éveiller en nous, pour nous amener à l’acceptation de devenir Ses serviteurs.

Vécu imaginaire

Ce que met en lumière Rabbi Yérou’ham, c’est que la Hakarath hatov exigée n’est pas seulement une reconnaissance superficielle, mais la véritable sensation profonde d’être « redevable » envers son bienfaiteur.

Ainsi, il découvre dans les mots de la Hagada de Pessa’h un sens nouveau :

« A chaque génération, il est un devoir pour chacun de se « visualiser » comme étant lui-même libéré d’Egypte.»

Quel est l’intérêt de ce devoir très spécial ?

Et d’où nos Maîtres ont-ils tiré cet enseignement ?

C’est que, seulement à travers ce vécu imaginaire, l’homme pourra éveiller en lui des sentiments profonds de reconnaissance envers D.ieu et grâce à cela, renforcer son engagement d’être Son serviteur, but véritable de la sortie d’Egypte. (Daat ‘ho’hma oumoussar volume 1, page 124)

Nous allons voir plus loin que lorsque nos maîtres développent le concept de Hakarath hatov, cela dépasse la simple notion de reconnaissance telle que nous pouvons l’appréhender.

Le but n’est pas de manifester cette reconnaissance en rendant ainsi à son bienfaiteur une partie du bien qu’il nous a fait.

Dans la Thora, Hakarath Hatov est un attribut de l’âme (midda) que tout être à la recherche de la vérité se doit d’acquérir.

Rabbi Its’hak Hutner zatsal, souligne encore plus l’importance de cette midda.

« Celui qui a eu le privilège de côtoyer les Grands de la Thora a pu remarquer l’importance primordiale qu’ils accordent à cet attribut de Hakarath hatov.

Toute personne, même de haut niveau sur d’autres plan, chez laquelle on décelait des signes de kefiout tova (le refus de reconnaître les bienfaits reçus), pouvait perdre pour cette raison toute leur estime » (Pa’had Its’hak, Roch Hachana chapitre 3).

Les enseignements les plus fondamentaux sur ce sujet se trouvent dans le processus de la libération d’Egypte, et ce n’est pas fortuit.

Lorsque D.ieu ordonne à Moïse de se rendre chez Pharaon pour lui demander de libérer Israël : « Et maintenant, Je te délègue vers Pharaon » (Exode 3 ; 10), Moïse Lui répond :

« Maître de l’univers, il m’est impossible de quitter Yitro, c’est lui qui m’a accueilli et ouvert sa maison. Si un homme ouvre sa porte à son prochain, ce dernier lui doit son âme ! » (Chemoth Rabba 4 ; 2).

C’est la raison pour laquelle, plutôt que se hâter pour remplir la mission extraordinaire confiée par D.ieu Lui-même, Moïse fait un détour pour obtenir l’autorisation de Yitro, son beau-père.

Allusion au mariage

Ce texte suscite de nombreuses questions :

N’est-ce pas d’abord un manque de respect vis à vis de D.ieu ? Moïse croyait-il que D.ieu ignorait ce que Yitro avait fait pour lui ! Enfin, le sentiment de reconnaissance de Moïse envers son beau-père ne semble-t-il pas exagéré ?

En effet, le Midrach ne considère pas avec autant d’égard l’acte de Yitro. Il précise :

Qui est celui qui fut bienveillant à l’égard de son bienfaiteur ? C’est Yitro envers Moïse.

Car il faut savoir que les filles de Yitro étaient poursuivies par des bergers qui leurs voulaient du mal, à lui et à ses filles, et les empêchaient de puiser de l’eau. C’est Moïse qui prit leur défense et qui puisa pour Yitro et sa famille, mais aussi pour les bergers, rétablissant ainsi le calme dans les esprits.

A la suite de cet épisode, Yitro dit à ses filles, en parlant de Moïse : « Pourquoi avez-vous laissé là cet homme ? Appelez-le et qu’il vienne manger » (Exode 2 ; 20).

Rabbi Simone explique que c’est pour rémunérer Moïse pour ses services que Yitro lui a offert à manger (Vayikra Rabba 34 ; 8)

Une deuxième Midrach ajoute que manger du pain doit être ici compris ici dans le sens allusif du mariage, car Yitro espérait que Moïse épouse l’une de ses filles (Chemoth Rabba 81 ; 32).

Car la situation de Yitro était pour le moins difficile : il était excommunié par tous les habitants de Midian pour avoir renié leurs idoles (cf. Rachi Exode 2 ; 16).

Moïse est donc arrivé au bon moment pour le protéger, lui et sa famille, et finalement épouser l’une de ses filles.

Une autre dimension

On peut dégager deux éléments capitaux de ce texte (cf. Si’hoth moussar Rav ‘Haïm Chmoulevitz volume 2 page 118).

Tout d’abord, Moïse a découvert, par sa recherche personnelle de vérité, que le concept de Hakarath hatov est un attribut fondamental de l’âme, et sans rapport avec les intentions ou les intérêts du bienfaiteur.

A partir du moment où Moïse a tiré profit de Yitro, cela le rend redevable, et les mots du Midrach sont éloquents : il lui doit son âme.

La midda de Hakarath hatov entraîne que celui qui a profité d’un bienfait soit redevable pour toujours, même si cela n’a pas exigé de grands efforts de la part du donateur, et même s’il a agit dans son propre intérêt.

On le voit, cela dépasse de très loin la simple volonté de rendre à celui qui vous a fait du bien.

Cette vérité était si claire aux yeux de Moïse qu’il était persuadé, à juste titre, que la véritable intention de D.ieu était qu’il aille d’abord demander son autorisation à son beau-père, avant même d’accomplir sa mission, vitale pour ses frères, le peuple d’Israël.

Peu après ces événements, D.ieu dévoile à Moïse une nouvelle dimension de cette qualité de l’âme.

Les trois premières plaies (celles du sang, des grenouilles et de la vermine) vont être amorcées par Aaron, et non par Moïse.

D.ieu dit à Moïse qu’il demande à Aaron de lever son bâton sur le Nil (Exode 7 ; 19) et de frapper la terre (Exode 8 ; 12).

Pourquoi n’est-ce pas Moïse qui fut chargé de cette mission ?

Rachi répond à cette question en citant le Midrach.

« Moïse ne pouvait frapper le Nil, car celui-ci l’avait protégé quand il fut jeté en son sein. Moïse ne pouvait donc pas intervenir pour transformer le Nil en sang, ni au moment des la plaie des grenouilles. C’est donc Aaron qui exécuta l’ordre divin » (Chemoth rabba 9 ; 10).

Pour ce qui est de la terre, elle ne pouvait pas non plus être frappée par Moïse, car elle lui avait été utile lors de l’épisode avec l’Egyptien que Moïse frappa et ensevelit dans le sable (Exode 2 ; 12).C’est donc Aaron qui l’a frappée (Chemoth Rabba 10 ; 7)

Vivre et sentir

Le bénéficiaire de la Hakarath hatov est ici le monde inerte ! Ce que D.ieu a ainsi dévoilé à Moïse, c’est que cette qualité de l’âme est si importante que nous avons le devoir, pour nous éduquer à la ressentir, de reconnaître le bien que nous font tous les éléments de la création.

Pourtant, le monde inerte ne tire aucun profit ni aucune sensation de cette reconnaissance. Cela ne peut être que dans le but de développer cette midda, dans l’intérêt de l’homme lui-même.

La sortie d’Egypte est l’événement qui crée, à tout jamais, l’engagement de l’homme vis à vis de son Créateur. Engagement qui doit avoir pour moteur la Hakarath hatov vis à vis de D.ieu.

C’est donc bien dans le contexte de cette libération que la Thora devait nous dévoiler les enseignements sur la midda de la reconnaissance du Bien.

Peu importe les mobiles, les efforts ou les intérêts de celui qui nous aide ; avoir reçu ses bienfaits doivent éveiller en nous un sentiment profond de reconnaissance.

C’est en s’éduquant ainsi, chacun personnellement, que l’on pourra vivre et sentir le Bien que nous avons reçu de D.ieu.

Le motivation du service divin (avodath Hachem) doit être principalement issue du sentiment de Hakarath hatov. Et l’intellect seul ne pourra nous amener à tous les niveaux d’action et de compréhension des commandements divins.

Dans le monde moderne, les réalisations prodigieuses de l’homme sont autant de raisons de croire en sa force, éloignant l’humanité du concept de Hakarath hatov.

Le seul moyen de s’imprégner de cette qualité, dont nous avons perçu l’importance primordiale, est de pénétrer dans les enseignements de la Thora pour découvrir une nouvelle optique de la vie.

Et l’on découvrira que cette qualité dépasse presque toutes les autres…


La vraie liberté

Par Rav Eliahou Elkaïm

En nous penchant sur la mitsva qui consiste à boire quatre coupes de vin durant la soirée du Séder, nous allons découvrir une nouvelle conception de la liberté (‘hérouth), assez différente de celle du monde occidental…

Chaque année, à Pessah, nous commémorons la libération du peuple juif du joug de l’esclavage en Egypte.

Le thème de la liberté (‘hérouth) est largement évoqué tout au long de la soirée du Séder.

Dès le début, nous exprimons nous aspiration à être des hommes libres (bené ‘horin).

L’une des lois relatives à la soirée du Séder attire notre attention. La Michna (Pessahim 10 ; 6) nous enseigne :

« Il est permis de boire du vin entre les trois premières coupes, mais pas entre la troisième et la quatrième.»

Cette loi (halacha) est codifiée dans le Choulhan Arouh (Orah ‘Haïm 479 ; 1).

Mais quelle est la raison de cette différence ?

D’après le Talmud de Jérusalem, le motif de cette restriction réside dans le caractère enivrant et assoupissant du vin.

En effet, le Talmud de Jérusalem (ibid.) explique que le vin supplémentaire consommé après le repas risque d’endormir, ce qui empêcherait de réciter de Hallel (louanges) qui clôture, avec la quatrième coupe de vin, la soirée du Séder.

Un deuxième texte du Talmud de Jérusalem (Méguila 3 ; 5) laisse supposer qu’il existe d’autres raisons, plus profondes, à cet interdit.

Ce texte établit un parallèle entre les quatre coupes de vin et les quatre parachioth (sections de la Thora) lues dans la période qui précède Pessah : il est recommandé de ne pas faire d’interruption entre la troisième et la quatrième paracha (Para et Hahodech) que l’on lit systématiquement deux semaines consécutives.

On le sait, les motifs cités par nos maîtres concernant une mitsva ne sont pas exhaustifs, et il en existe souvent d’autres, qui ne sont pas mentionnés dans les textes.

Dans un article publié dans Kol Hathora (n°17), le Rav Mordehaï Miller zatsal nous donne les éléments pour découvrir l’un des sens cachés de cette halacha.

Un peuple d’esclaves

La mitsva des quatre coupes de vin a été instituée par nos Maîtres pour rappeler les quatre termes utilisés par D.ieu pour annoncer la libération (guéoula) d’Egypte.

« Je veux vous soustraire aux tribulations de l’Egypte, et vous délivrer de sa servitude, et Je vous affranchirai avec un bras étendu (…) Je vous adopterai pour peuple (…)»

(Exode 6 ; 6, 7)

Le Maharal (Guevouroth Hachem chapitre 30) nous éclaire sur le sens particulier de chacun de ces termes.

« L’annonce faite à Abraham par D.ieu lui révélant que sa descendance serait exilée en Egypte a été exprimée dans ce que l’on appelle ‘l’alliance entre les morceaux’ (brit ben habétarim), épisode décisif dans la destinée du peuple juif.

Durant cette annonce divine, les différents aspects de cet exil furent développés :

« D.ieu dit à Abraham : ‘Sache le bien, ta postérité séjournera sur une terre étrangère, où elle sera asservie et opprimée durant quatre cents ans (…)»

(Genèse 15 ; 13)

Dans ces mots sont annoncés les phases de l’exil.

La première est le déplacement dans un pays étranger, et par-là même, on est privé de la proximité de D.ieu en terre d’Israël.

En outre, et c’est la deuxième phase, même si on est libre, on ne jouit pas des mêmes droits que les citoyens du pays : on a la sensation d’être déraciné.

La troisième est l’asservissement : le peuple juif devient un peuple d’esclaves.

La quatrième est l’oppression proprement dite, qui dépasse la simple condition d’esclaves.

Le processus de délivrance agit en sens inverse. La première phase arrête l’oppression, la seconde affranchit de l’esclavage, la troisième enfin change le statut des Juifs qui sont dépourvus des droits du pays où ils vivent.

Nous comprenons à présent les trois premiers termes employés pour annoncer la délivrance.

Mais être affranchis de l’emprise des Egyptiens n’est pas un but en soi, si l’objectif est de devenir une nation comme les autres.

C’est pour cela qu’il y avait quatre termes employés par D.ieu pour annoncer la libération d’Egypte, le quatrième terme signifiant que les Juifs allaient devenir le peuple de D.ieu, Ses serviteurs.

On le voit, après l’annonce des trois phases de la libération (guéoula), s’ajoute immédiatement la quatrième, complément indissociable, attachant d’un lien indélébile les Juifs au Créateur.

Car il est inconcevable que le peuple juif devienne une nation comme les autres.

Même s’il est libéré de toute emprise étrangère, il faut qu’il entre instantanément dans le domaine particulier de D.ieu.

Réalité et utopie

Nos Maîtres nous enseignent que plus encore que leur corps, c’était les âmes (nefech) des enfants d’Israël qui se trouvaient en exil sous Pharaon.

Les quatre aspects de l’asservissement et de la libération développés par le Maharal ont un parallèle qui concerne l’asservissement de l’âme.

Nous allons retrouver ces mêmes stades dans l’oppression et la libération de l’âme :

1 - L’oppression que subit l’âme est entraînée par toutes les formes de dépravation ou d’idolâtrie dans lesquelles elle est impliquée.

2 - Même lorsque l’âme est libérée la souffrance qu’entraîne la dépravation, elle reste ‘esclave’ si elle ne peut se consacrer au service de son Créateur.

Les mots du Ramhal sont éloquents à ce sujet dans le chapitre 2 du ‘Sentier de rectitude’:

« L’un des stratagèmes les plus efficaces du mauvais penchant (yetser hara) est de canaliser en permanence toutes les forces de l’homme afin qu’il n’accède jamais à la sérénité qui lui permettrait de méditer sur son comportement. (…)

Cela est comparable à la politique de Pharaon qui déclara :

« Qu’il y ait donc surcharge de travail pour eux, et qu’il y soient astreints»

(Exode 5 ; 9)

Son intention était claire : ne laisser aucun moment libre aux enfants d’Israël, pendant lequel ils auraient pu organiser un soulèvement.

Seul un travail ininterrompu pouvait empêcher toute réflexion sur leur triste condition.

Et c’est exactement de cette façon qu’agit le yetser hara sur l’homme.»

Cette forme d’asservissement de l’âme correspond donc au deuxième stade de l’exil.

3 - Mais même lorsque l’homme parvient à s’affranchir de cette emprise du yetser hara, son âme n’est pas encore libérée, tant qu’il se sent encore étranger.

S’il n’évolue pas dans un milieu social et dans un contexte familial où il s’épanouit spirituellement, il se sentira toujours étranger et inférieur, et il perdra de sa vitalité.

4 - La quatrième et dernière phase, indissociable des autres, est celle où il pénètre dans le domaine de D.ieu.

Si l’homme ne cultive pas cette sensation d’être au service de son Créateur, sa libération ne portera pas vraiment ses fruits et n’entraînera pas de vrais résultats.

Car l’homme ne peut pas être son propre maître. S’il est libéré d’un joug extérieur, se crée alors un vide.

Ce vide, s’il n’est pas comblé par une soumission à D.ieu et la volonté profonde de le servir, sera rempli par de nouvelles formes d’asservissement, au matérialisme par exemple ou à d’autres idéaux imaginaires.

Et ce qui est vrai dans le spirituel l’est aussi dans la recherche de perfectionnement de soi.

Le seul moyen de réussir et de s’épanouir est de créer, dans chaque domaine, une implication positive qui remplace immédiatement les éléments négatifs desquels on s’est détaché.

Nos Sages disent :

« Ecartes-toi du mal et fais le bien (Sour mera vé assé tov)»

On ne peut se contenter d’extirper le mal, il faut instantanément le remplacer par le Bien.

Il n’existe aucune liberté absolue au niveau de l’homme, car cela va à l’encontre de sa nature.

C’est le véritable sens de la loi qui interdit de ‘créer un vide’ entre la troisième et la quatrième coupe de vin, qui représentent respectivement l’affranchissement, immédiatement suivi par l’entrée au service de D.ieu.

Car le concept d’homme libre tel qu’il est perçu par les Nations n’est qu’une utopie.

La seule forme véritable d’affranchissement de l’âme est de réaliser son rôle véritable sur terre : servir son Créateur et se rapprocher de Lui.

PESSAH CACHER VESAMEAH



Le miracle et la Lettre

Rav Moshé Tapiero

Le miracle : événement fondateur

L’importance du miracle dans la délivrance d’Israël peut être diversement apprécié. Une lecture superficielle ne lui accorderait qu’une seule fonction auxiliaire. Il ne fallait pas que la sortie d’Egypte puisse apparaître comme l’aboutissement d’un processus naturel à l’image de ces révolutions qui font et défont les Empires. Si le très-Haut avait le « dessein d’opérer tous ces signes » c’est pour « que tu racontes à ton fils et ton petit fils (…) que d’une main puissante l’Eternel nous a fait sortir de l’Egypte » (Voir respectivement Chemot 10,1-2 et 13, 16).

Dans un texte décisif, Rambam n’hésite pourtant pas à hausser le miracle à la dignité d’événement fondateur :

« 1.C’est un commandement positif de la Torah de raconter les miracles et les prodiges qui ont été réalisés pour nos ancêtres à la sortie d’Egypte. 2. Le récit du père sera fonction de la capacité de l’enfant. S’il est petit ou sot, il lui expliquera que nous étions tous esclaves en Egypte et que D.ieu nous a délivré cette nuit-là pour nous conduire à la liberté. Si l’enfant est intelligent, il lui fera savoir ce qui est advenu en Egypte, les miracles qui s’y sont produits par l’intermédiaire de Moïse notre Maître ». (Rambam, Hilkhot Haméts VeMatsa, Chap.7 art 1et 2.)

Texte fort étrange à la vérité !

Le miracle ne doit-il pas être perçu comme un signifiant renvoyant à un signifié. Il est signe et direction pour attirer l’attention vers une signification autre. Il ne saurait donc être identifié au sensé. Tout comme le rêve renvoie à son interprétation, le miracle n’aurait de sens qu’à travers le message qu’il délivre. En l’occurrence, les miracles d’Egypte sont manifestation de la puissance divine, témoins de son intervention dans le cours de l’histoire. Il est signe assurant l’attribution de la délivrance à l’intervention divine.

En toute logique on aurait dû livrer à l’enfant intelligent le signifié du miracle et se contenter de décrire au sot (l’enfant Tam de la Haggadah) l’événement prodigieux sans lui en révéler le sens.

Rambam, étrangement, renverse l’ordre. Au sot il fait entendre le sensé, lui révèle que la libération est fruit de l’intervention de Dieu, alors que le sage ne reçoit que le récit brut des miracles !

Bouleversant renversement de l’ordre logique. Il signifie que le sensé tient entièrement dans l’événement prodigieux ! !

La proximité divine détermine le réel. Les choses ne sont qu’en tant qu’elles se situent dans la trace du Créateur, témoignent de sa présence. Le miracle est expérience de cette proximité. D’où son importance dans l’espace de la subjectivité initié par le commandement.

S’autorisant de multiples récurrences bibliques où la mitsva est signifiée comme ‘souvenir de la sortie d’Egypte’, les Maîtres d’Israël définissent le commandement comme un perpétuel renvoi au miracle dont il assure le souvenir (Ramban, commentaire sur la Torah, Chemot 13,17). L’idéal de la proximité Tsavta (de même racine que mitsva) passe par la perception du réel comme miracle.

Dimension théologique et portée existentielle du miracle

Dans la conscience générale le miracle en appelle à la foi plutôt qu’à la raison. Les religions accueillent avec avidité ces événements merveilleux qui renvoient au sublime et au numineux. Le judaïsme qui est pensée et non foi, œuvre de subjectivation et non religion, ne saurait s’accommoder de la thaumaturgie reliée à cette perception du miracle. Comment entendre sa véritable portée existentielle ? ?

Dans la vision rationaliste de l’unicité d’un ordre qui structure le réel, le miracle est nécessairement appréhendé comme modification de l’ordre, perturbation de l’équilibre naturel. S’il atteste alors d’un au-delà de l’être, c’est uniquement par l’effet de rupture et de discontinuité qu’il produit. Détruisant l’ordre établi il ne manifeste pourtant aucune autre structure du réel, renvoyant le sujet à l’imaginaire de la foi.

Mais dans un monde que la Torah initie par la seconde lettre, symbole de la multiplicité, le réel n’est pas réduit à une dimension unique. Il se révèle à travers la distinction d’un ordre naturel et de la dimension métaphysique de la proximité divine. Positivement le miracle signifie comme expression de cette hauteur : non pas rupture à l’intérieur du processus naturel, mais irruption dans cette tranche du réel d’un ordre nouveau et transcendant.

Le miracle est donc appel à la Hauteur, il invite le sujet à s’ouvrir à plus haut que lui, à se laisser déborder par la manifestation du transcendant. C’est bien pourquoi il est signifié comme Ness. Dans le texte biblique cette notion désigne principalement l’élévation et la hauteur : (cf. les versets :« Fais toi-même un serpent et place-le au haut (sim oto al Ness) d’une perche » Bamidbar 21,8 ; « Sur une montagne dénudée élevez un étendard ( séou Ness) »Yshaya 13,2 ; « levez l’étendard (harimou Ness) pour les nations »id. 62,10.)

L’expression la plus incisive de cette intellection du miracle réside dans la possibilité qu’une même chose se présente conjointement selon deux profils contradictoires. Ainsi, le soleil s’était arrêté pour Josué et son peuple, mais pour le reste du monde il continuait sa marche inexorable. Un même liquide était en un seul instant eau pour les hébreux et sang pour les Egyptiens. Les ténèbres couvraient le soleil des Egyptiens mais, au même moment, il faisait jour pour les hébreux. Il ne s’agit plus d’une simple violation des lois de la nature. Il faut rendre compte de l’impossible. Comment le soleil peut-il être immobile et en mouvement au même instant ? Le liquide, eau et sang ? Face à cette aporie le recours à la relativité de la connaissance humaine, par laquelle certains prétendent expliquer le miracle, s’avère sans ressource.

La difficulté se résout dés lors que l’on pose la coexistence de deux dimensions de l’être. Tout sera question de perception. L’individu qui ne s’ouvre pas à la dimension métaphysique ne reconnaîtra que la réalité naturelle que son expérience sensitive lui offre. Pour lui le soleil continue sa marche. Une subjectivité en éveil discernera, par contre, lorsque l’occasion lui en est donnée, la dimension du réel par delà la réalité.

Sa perception sensitive d’un soleil en mouvement sera dépassée par le discernement d’une dimension supérieure selon laquelle le soleil est arrêté.

La Torah définit les miracles comme Oth ou signe. Le miracle prouve en effet que la réalité n’épuise pas le réel mais le signifie. Il témoigne d’une dimension qui de l’intérieur du monde sensible fait signe vers, désignant la direction d’où procède le sens.

Mais comme Oth le miracle se réfère aussi à la lettre. Passage du signe à la lettre qui est l’ultime miracle de la création. « Les cieux sont roulés comme un livre » (Yshaya 34,4). La nature se présente tel un livre où chacun des éléments signifie comme lettre. Le monde est lieu où passe la transcendance, il est livre qui raconte cette passée du Créateur.

Il n’en faut pas moins pour pouvoir penser le monde comme demeure pour le sujet. Car si la nature peut être lieu pour l’homme c’est avant tout parce que les choses qui la peuplent lui parlent. Pourtant l’homme est sans cesse confronté au mutisme glacial de la nature. Les étants lui apparaissent dans leur immobilité, aucune parole vivifiante ne les animent de l’intérieur. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » disait Pascal se faisant l’écho du sentiment d’étrangeté face à un monde muet.

D’autres se disent réceptifs au discours de la nature qu’ils perçoivent par les voies de la sensibilité ou du concept. Mais pour autant qu’elle s’adresse au poète ou au savant, la nature ne leur parle que d’elle-même. Pouvant disserter à l’infini sur la beauté des choses, livrant à la science le secret de leur composition, elle ne dit rien à l’homme de sa place et du sens de sa présence au monde. Le monde du miracle c’est le miracle d’un monde qui ne parle pas de lui, mais d’un ailleurs dont procède le sens. Renversement prodigieux du rapport de la lettre à la réalité. Le monde n’est pas l’unique étant dont l’histoire serait racontée dans les livres.

Au contraire il n’est lui-même que lettre, il est récit de la gloire de son Créateur. Israël est peuple du Livre parce qu’il sait appréhender toute réalité comme lettre et l’associer dans sa lecture du Livre de Torah. Chiasme de la nature et du verbe qui en s’entrecroisant à l’infini forment, pour qui sait lire, comme un grand texte unique.

PESSAH CACHER VESAMEAH