Chabbath Emor

12, 13 mai 2006 – 14, 15 Iyar 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies18 h 5120 h 56 21 h 03
Sortie de Chabbath 20 h 07 22 h 08 22 h 21

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine, compilation du dernier sujet traité, avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth).

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse et nous espérons vous le faire parvenir dans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui porte le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ces paroles de Thora sont également dédiées à la mémoire de

Yechoua ben Myriam Cohen Aloro

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom et que les lumières de LAG BAOMER nous apportent la délivrance.

Rav Chalom Bettan


Chabbath Parachat Baaloté’ha (en France)

quo;h-le’ha (en Israël)

16, 17 juin 2006 – 20, 21 Sivan 5766

La Thora et des hommes

Par Rav Eliahou Elkaïm

Pour mériter la Thora, il ne suffit pas d’en hériter, il faut savoir lui ouvrir sa porte. Sinon, elle risque de faire volte-face…

«Rabbi José disait: ‘Que l’argent de ton prochain soit aussi précieux pour toi que le tien; prépare-toi à apprendre la Thora, car elle ne t’es pas donnée en héritage; et toutes tes actions doivent être accomplies dans une intention pure, pour la glorification du Nom divin’».

(Chapitre 2, Michna 11)

On se souvient que Rabbi José, comme nous le fait remarquer d’emblée le Sforno dans son commentaire, avait été loué par son maître, Rabban Yo’hanan ben Zaccaï, comme étant un ‘hassid, un juste.

Dans notre Dvar Thora sur la Michna 8, nous avions rapporté les mots du Ram’hal, qui définissait le concept de ‘hassidout:

«C’est l’expression de l’amour indéfectible que porte un homme à son Créateur. Celui qui a atteint ce niveau ne cherchera pas seulement à se rendre quitte de ses obligations mais agira comme un fils qui porte à son père un amour sans borne.

Même dans le cas où le père s’est exprimé succinctement ou à demi-mot, son fils comprendra exactement les attentes de ce dernier. (…)

Il se dira: ‘Si j’ai pu découvrir la volonté du Créateur, je sais maintenant où doivent porter mes efforts. Et je dois élargir mon action à tous les domaines où je perçois la volonté divine.’ » (Sentier de rectitude, chapitre 18)

Et le Sforno explique que c’est bien le sens des mots de Rabbi José dans notre Michna, qui nous dit que ce niveau de ‘hassidout sera atteint dans le domaine des relations humaines lorsque le biens de l’autre nous seront aussi précieux que les nôtres: cette attitude doit s’inscrire dans une recherche permanente du bien-être de notre prochain.

Rabbénou Bahya nous précise la signification pratique de ces mots: «Soucie-toi de protéger les biens de l’autre de la même façon que tu le fait pour tes propres biens, car cela est inclus dans le commandement d’aimer son prochain comme soi-même (‘veahavta leréa’ha kamo’ha’, Lévitique 19-18).»

On remarquera que cela rejoint l’interprétation de Maïmonide sur ce commandement:

« Il incombe à tous d’aimer chaque membre du peuple d’Israël comme soi-même, comme il est écrit: ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’.

C’est pourquoi il faut s’efforcer de ne faire que des éloges sur l’autre, et d’avoir des égards pour les biens matériels de son prochain comme on en a pour les siens propres et que l’on est attentif à son propre honneur» (Yad ha’hazaka- Hil’hot déot 6-3)

Un élève de Rachi, l’auteur du Ma’hzor Vitry, dans son commentaire édité à la fin des Maximes des Pères (dans les michnayot Ya’hin ouboaz), nous offre une application pratique plus précise encore de cette maxime:

«Si ton prochain a perdu un objet, il faut investir les mêmes efforts pour l’aider à le retrouver que ceux que tu aurais fourni pour l’un de tes propres objets.»

Cet exemple n’a pas été choisi par hasard. On le sait, les ‘Maximes des Pères’ ne viennent pas enseigner ce qui est déjà une obligation de la loi.

Elles viennent nous donner des préceptes pour atteindre le niveau de la ‘hassidout: au-delà de la stricte application de la loi (lifnim méchourat hadin).

Or, il faut le savoir, éviter à l’autre un dégât matériel, lorsque bien sûr on en a la possibilité, entre dans le cadre du commandement qui consiste à restituer un objet égaré (hachavat aveida): c’est une obligation!

Vouloir transcender cette obligation, c’est donc déployer des efforts pour retrouver l’objet perdu par son prochain. Cela n’est possible que si l’on ressent le même sentiment à l’égard des biens de l’autre que celui que l’on ressent pour ses propres biens.

Maïmonide inclut cette maxime dans le commandement d’aimer son prochain comme soi-même, qui fait évidemment partie des 613 commandements.

Or, ce commandement concerne les sentiments profonds de l’homme et n’a pas de limites fixées par la loi (hala’ha).

Ce commandement, que nous avions développé dans notre Dvar Thora (Parachat Kedochim année 5762), comporte différent niveaux d’application: celui exprimé dans notre Michna est l’un des plus élevé. Il est l’expression d’un ‘cœur bon’, au plus noble sens du terme, comme le fait remarquer le Meïri.

A présent et dans les temps futurs

«Prépare-toi à apprendre la Thora, car elle ne t’es pas donnée en héritage» est la deuxième partie de cette maxime.

Le Rachbats explique: «Même si tu es issu d’une lignée ininterrompue de savants en Thora, ne te dis pas: ‘La Thora revient naturellement dans son nid, je n’ai donc pas besoin d’aller à sa recherche’.

Pourtant, en disant cela, tu t’appuierais sur ce qui est écrit dans le Talmud (Baba metsia 85a):

«Celui qui est un maître en Thora, et dont le fils et le petit-fils le sont aussi, peut être assuré que la Thora reviendra à son auberge, et ne les quittera pas, comme l’exprime le verset:

«Mon inspiration, qui repose sur toi, et les paroles que j’ai mises en ta bouche, ne s’écarteront ni de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants, ni de celle des enfants de tes enfants, à présent et dans les temps futurs »

(Isaïe, 59-21)

Il n’en reste pas moins que tu ne peux pas penser que la Thora reviendra naturellement à toi car «elle ne t’es pas donnée en héritage» et elle ne viendra pas à toi si tu ne la recherches pas "

Le Midrach (Kohélet Rabba 4-8) commente le verset:

«Un fil tramé à trois ne se rompra pas facilement » (Ecclésiaste 4-12)

Cela ne signifie pas qu’un tel fil ne se rompra jamais, mais qu’au contraire, en déployant de grands efforts, il peut être rompu.

Ce verset est une allusion à une transmission de la Thora par trois générations successives. (…)

Il est vrai cependant que celui qui suit la voie de ses parents et ancêtres, qui étaient des érudits en Thora, aura plus de facilité à atteindre un haut niveau que celui qui ne vient pas d’une telle filiation.

C’est ainsi que nos maîtres interprètent le verset:

«La sagesse réside dans un cœur intelligent, elle se fait remarquer parmi les sots » (Proverbes 14-33)

Ils expliquent:

La sagesse réside dans un cœur intelligent : il s’agit d’un érudit fils d’érudit.

Elle se fait remarquer parmi les sots : il s’agit d’un érudit qui n’est pas le fils d’un érudit.

Et le Talmud (Mena’hot 53a) de conclure:

«Si un homme est versé en Thora, c’est une bonne chose; s’il est issu de maîtres en Thora et qu’il a suivit cette voie, c’est une doublement bonne chose; en revanche, s’il vient d’une lignée de sages et qu’il n’est pas lui-même versé en Thora, que le feu le dévore!»

On comprend maintenant sans aucune ambiguïté pourquoi Rabbi José nous incite à investir tous nos efforts pour acquérir la Thora et ne pas s’en remettre à l’héritage familial.»

Ainsi se terminent les mots du Rachbats.

D’autres lieux de résidence

Rabbi Haïm de Volozhine fait à ce sujet une remarque pertinente qu’avait faite son frère, Rabbi Zalman, à l’âge de six ans! Il faut préciser que son frère était un prodige, qui fut l’un des plus proches disciples du Gaon de Vilna.

Si les mots du Talmud concernant les trois générations de sages sont à prendre à la lettre, tout le peuple juif devrait être savant en Thora, car il est issu des patriarches, qui forment trois générations consécutives de grands maîtres. Or ce n’est pas le cas!

Un autre de ses frères (Rabbi Sim’ha) lui a répondu, en reprenant les mots du Talmud: «La Thora retourne à son auberge », qu’il illustra ainsi:

Si un homme a la coutume de descendre dans une auberge tenue par l’un de ses amis, il gardera son habitude si l’accueil y est chaleureux et l’auberge bien tenue.

En revanche, s’il reçoit une fois un accueil froid et un mauvais service, il changera vite d’adresse pour chercher un meilleur hôtel.

Ainsi, la Thora, installée dans une famille, deviendra son hôte coutumière.

Mais si l’attitude d’une nouvelle génération change à son égard, et qu’elle s’y sent subitement indésirable, elle n’hésitera pas à chercher d’autres lieux de résidence plus propices!

Dans la biographie du ‘Hafets ‘Haïm, cette idée est reprise dans une perspective plus large encore.

Le grand maître fit lui-même l’expérience de ce concept.

A une certaine époque de sa vie, il voyageait de ville en ville pour diffuser la Thora et vendre ses livres.

Portes closes?

Une fois, il arriva au milieu de la nuit dans un village et l’auberge dans laquelle il avait ses habitudes était fermée. Il eut beau supplier qu’on lui ouvre, arguant que ses parents et grands-parents étaient déjà des clients fidèles, rien n’y fit, la porte resta close.

Le ‘Hafets ‘Haïm se mit à la recherche d’une autre auberge, qu’il trouva rapidement. Il raconte:

«Cet épisode m’inspira la réflexion suivante: ‘La Thora revient à son auberge. Comment est-il donc possible d’expliquer qu’elle soit pratiquement inexistante actuellement en Europe occidentale?

Voilà ce qui s’est passé: Elle est venue il y a un siècle et a frappé aux portes en suppliant: ‘N’est-ce pas ma place naturelle? N’est-ce pas dans ces lieux qu’ont vécu et œuvré Rachi, les Tossafistes, Rabbi Méïr de Rottenbourg, le Roch (Rabbénou Acher) et tant d’autres?

Malheureusement, la France, l’Allemagne et l’Italie ne lui ouvrèrent pas leurs portes. La Thora a alors agit comme l’aurait fait n’importe qui dans la même situation: elle est allée s’installer dans d’autres contrées, plus accueillantes.

Elle a migré en Lituanie, en Pologne et en Hongrie.

Dans le dicton du Talmud: «La Thora retourne à son auberge », le terme utilisé est me’hazeret et non ‘hozeret, qui semble plus courant.

Ce terme me’hazeret a un double sens car il signifie revenir mais également faire volte-face (me’hazeret panéha)

C’est ainsi que le ‘Hafets ‘Haïm éveillait les esprits pour que les grands centres de Thora soient conscients de cette réalité et ne permettent pas à de nouveaux courants de fermer la porte devant la Thora.

Chabbat Chalom

Commentaires sur la Parachath Emor


Les enfants de la pudeur

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Cette semaine, par le récit, très concis, d’un épisode dans le désert, on se trouve confronté à un acte d’accusation qui semble incompréhensible. Par l’analyse minutieuse des versets, on va parvenir à une leçon de vie, où le rôle de la femme occupe une place très importante…

A la fin de la paracha de cette semaine, la Thora nous raconte l’histoire d’un homme qui blasphéma le Nom de D.ieu et du sort qui fut le sien.

« Il arriva que le fils d’une femme israélite et fils d’un Egyptien sortit au milieu des enfants d’Israël ; ils se querellèrent dans le camp, ce fils d’une israélite avec l’homme d’Israël. Le fils de la femme israélite proféra, en blasphémant le Nom sacré ; on le conduisit devant Moïse. Et le nom de sa mère était Chelomith fille de Divri, de la tribu de Dan. Ils le mirent sous bonne garde, pour statuer de la part de l’Eternel.

Et l’Eternel parla ainsi à Moïse : « Qu’on emmène le blasphémateur hors du camp ; que tous ceux qui l’ont entendu imposent leurs mains sur sa tête, et que toute la communauté le lapide. » (Lévitique 24- 10 ; 14).

La Thora est très concise en ce qui concerne cet épisode. Ce qui nous invite à analyser minutieusement les éléments contenus dans le texte.

Quels sont les enseignements que la Thora nous transmet à travers cet épisode, qui peut sembler énigmatique par le choix des détails révélés et des éléments qui semblent manquants ?

Nos maîtres nous ont appris que la Thora n’est pas un simple livre d’histoire, même lorsqu’il s’agit de narration de faits. Chaque mot possède un sens exact, et il est mentionné dans un but précis.

En cherchant à pénétrer ces enseignements, nous allons découvrir des notions nouvelles sur le comportement humain en général, et sur la femme en particulier, sur son rôle extraordinaire, et sur l’importance fondamentale de la pudeur (tsniout).

Cherchons donc les raisons et les causes de l’acte terrifiant de ce blasphémateur, qui était présent peu de temps avant, avec tout le peuple juif, à la révélation du Mont Sinaï. C’est là d’ailleurs qu’il entendit le Nom Ineffable, qu’il va plus tard proférer et blasphémer (Rachi Lévitique 24 ; 11).

Sa présence lors d’un événement si élevé, si saint, ne fait que renforcer la question :

Comment cet homme a-t-il pu atteindre une telle dégradation morale ?

Ce sont les midrachim qui vont nous aider à percer le mystère…

Manque d’hospitalité ?

Une première opinion citée dans le Midrach (Sifra) nous révèle d’abord que ce fut à la suite d’un litige qui opposa cet homme à la tribu de Dan qu’il se laissa aller à blasphémer.

Cet homme voulait planter sa tente dans leur camp et la tribu s’y opposa et l’en empêcha.

Moïse et son tribunal donnèrent raison à la tribu de Dan. C’est en sortant de ce tribunal que l’homme blasphéma le Nom divin.

Mais pourquoi la tribu de Dan refusa le droit à cet homme de séjourner dans leur camp ? C’est qu’il existait une loi selon laquelle : « Rangés chacun sous une bannière distincte, d’après leurs tribus paternelles, ainsi camperont les enfants d’Israël » (Nombres 2 ; 2).

N’étant issu de la tribu de Dan que du côté de sa mère, cet homme ne pouvait pas revendiquer une place dans ce camp.

Rabbi Yerou’ham de Mir fait une remarque à ce sujet : même si cet homme ne pouvait exiger une place dans le camp, la tribu de Dan aurait pu lui accorder l’hospitalité. La seule raison qui peut expliquer leur refus est que ce dernier était déjà connu pour son niveau moral très bas. Ce qui explique sa réaction violente, après avoir été débouté par Moïse.

Et nos Maîtres enseignent qu’il faut s’éloigner à tout prix d’un mauvais voisin pour éviter son influence néfaste.

Mais ces raisons, qui provoquèrent le blasphème, ne répondent pas à notre question : Comment, dans un contexte aussi pur et plein de sainteté que celui de la révélation sinaïtique, a-t-il pu pousser une telle mauvaise herbe ?

Pour répondre à cette question, le Midrach (cité par Rachi, Exode 2 ; 11) rapporte un événement qui remonte avant la libération d’Egypte :

« Il (Moïse) aperçut un Egyptien frappant un hébreu, l’un de ses frères. Il se tourna d’un côté puis de l’autre et ne voyant paraître personne, il frappa l’Egyptien et l’ensevelit dans le sable » (Exode 2 ; 11).

Découvrons ensemble qui était cet Egyptien…

Dans la pénombre

Le Midrach raconte : « Chaque groupe de dix Israélites avait à sa tête un surveillant israélite. Un commissaire égyptien dirigeait chaque groupe de dix surveillants israélites.

Il arriva qu’un commissaire égyptien se rendit dans la maison d’un des surveillants juifs de son groupe et vit que sa femme était belle de visage.

Chaque matin, à l’aube, les commissaires allaient réveiller les surveillants pour qu’ils commencent leur travail dès la levée du jour.

L’Egyptien attendit le jour suivant et à l’aube, il fit sortir le surveillant juif de chez lui. Il retourna ensuite dans sa maison et s’introduit dans la pénombre.

Il approcha sa femme, qui pensa que c’était son mari, et elle se trouva enceinte.

Un peu plus tard, le mari de cette femme revint, et vit l’Egyptien sortir de chez lui. Questionnant sa femme, il comprit ce qui s’était passé.

Mais le commissaire égyptien comprit bien vite que son acte avait été découvert, et assigna le surveillant juif aux travaux forcés, et le frappait sans cesse avec l’intention de le tuer.

Alors que Moïse vit l’Egyptien frapper le Juif, L’Esprit divin lui dévoila ce qui s’était passé dans la maison du Juif, et Moïse ensevelit l’Egyptien dans le sable, en mentionnant le Nom Ineffable.

La femme dont il est question dans ce passage avait pour nom Chelomith bat Divri. Et l’enfant qui naquit de cette union devint, bien des années plus tard, l’homme qui profanera le Nom divin, le même nom que Moïse avait utilisé pour ensevelir son « père », l’Egyptien qui avait abusé de sa mère.

Il est bon de préciser que le Midrach lui-même atteste de la bonne foi de cette femme, qui a réellement cru qu’il s’agissait de son mari.

A première vue, il s’agit d’un incident très regrettable mais qui ne porte pas véritablement à conséquence.

D’après la loi juive (Hala’ha), ce cas entre dans la même catégorie que celui d’une femme mariée, qui aurait été violée, et qui reste permise à son mari.

Cela concerne tous les couples, sauf dans le cas d’un Cohen, qui, de par sa sainteté, a le devoir de divorcer sa femme dans une telle situation.

Pourtant, et malgré le fait qu’on ne remette pas en cause la bonne foi de Chelomith bat Divri, le Midrach est très sévère à son égard. Et trois textes vont dans ce sens.

« Chalom ! »

Le premier texte (Rachi Lévitique 24 ; 11) : « C’est un honneur pour Israël que la Thora ait publié le nom de cette femme, car il vient souligner qu’elle était la seule qui méritait le qualificatif de « zona » (prostituée).

Le deuxième texte voit dans le nom de cette femme une allusion à son attitude générale, attitude qui explique sa mésaventure.

Chelomith : elle était bavarde et entamait la conversation avec tous, en commençant par dire « Chalom » (c’est la même racine que Chelomith).

Chalom aux hommes, aux femmes et à toute l’assemblée (Chalom ala’h, Chalom alaï’h, Chalom alei’hon, en araméen).

Fille de Divri : Divri, qui a pour racine Davar, parole. Elle n’était pas avare en paroles et parlait avec tous, ce qui entraîna sa terrible aventure.

Un troisième texte (Midrach Vayikra Rabba 32 ; 5) ajoute que quatre éléments ont permis la libération du peuple d’Israël d’Egypte : les Juifs ne changèrent pas leurs noms, ni leur langue, ils ne pratiquaient pas la médisance (lachon hara) et il n’y avait pas parmi eux de personnes débauchées (paroutz baérva).

La meilleure preuve est qu’il n’y eut qu’un seul cas de débauche, celui de Chelomith bat Divri, son nom ayant été publié par la Thora dans le but de préciser que ce fut la seule exception.

Comment concilier une accusation aussi grave et le témoignage du même Midrach, qui confirme qu’elle ignorait totalement que ce fut un étranger qui l’approcha ?

Comment la Thora peut-elle fixer une honte éternelle sur Chelomith bat Divri et sa famille, alors qu’elle semble innocente ?

Peut-on définir son comportement comme étant de la débauche et qualifier ainsi cette femme de prostituée ?

En réalité, de nombreux commentateurs (Rabbénou Bahya, la Maharal et d’autres), expliquent que le terme de zona (prostituée) est parfois employé par la Thora pour une femme qui a eu des relations, même sous la contrainte, avec une personne qui lui est interdite (cf. Lévitique 21 ; 7 – Talmud Yébamoth 61).

Le sens que nous donnons aujourd’hui au mot ‘prostituée’ n’est pas forcément le même que celui donné par la Thora, le sens moderne étant plus restreint.

En revanche, Rabbi Morde’haï Yaffé (16ème siècle), l’un des géants de la Thora, contemporain du Maharal, auteur du Sefer Halevouchim, prend à la lettre les mots de Rachi.

La puissance de l’attirance

D’après lui, le manque de réserve de Chelomith bat Divri, et son affabilité excessive, entraîna que l’Egyptien soit attiré par elle.

C’est pourquoi cette épreuve n’est qu’une conséquence de son comportement. La Thora nous apprend ici que l’on est responsable des conséquences d’une attitude légère, dans le cas où cette attitude aurait des suites tragiques.

C’est pour souligner cet enseignement que nos Maîtres emploient un terme aussi fort. Cette femme est appelée prostituée, car même si elle n’a pas voulu consciemment que cet incident se produise, elle l’a causé par son attitude.

Le qualificatif « débauchée » est clairement écrit dans le Midrach (paroutz baerva). Ce terme doit être compris dans le même ordre d’idées.

La Thora, qui connaît les secrets de l’âme, dévoile qu’il ne faut en aucun cas minimiser la puissance de l’attirance vers les mauvaises mœurs.

A ce sujet, il est intéressant de noter que le Talmud (Sanhédrin 63b) affirme que le peuple d’Israël a toujours été conscient de la futilité des idoles, mais que la seule raison qui l’a poussé, à certaines époques, à s’adonner à l’idolâtrie fut l’attirance vers les mauvaises mœurs.

Ainsi libérés des contraintes de la Thora, les Juifs pouvaient s’adonner à la débauche, en toute bonne conscience.

Cette attirance est si forte, et possède une telle puissance, qu’il n’existe pas de situation intermédiaire entre la chasteté et la débauche.

Si l’on met un seul pied dans la spirale vers les mauvaises mœurs, on quitte la chasteté pour perdre toute protection contre la débauche.

Par son comportement, Chelomith bat Divri a fait sauter toutes les barrières qui permettent de contrôler cette faiblesse, et de la diriger dans un sens positif.

C’est pourquoi la Thora la qualifie de débauchée, même si l’aventure qu’elle a vécue pouvait être expliquée par des circonstances atténuantes (cf. ‘Hidouché halev ad hoc).

Un texte de rabbénou Bahya dans son commentaire sur la Thora (ad hoc) complète ces enseignements et nous dévoile un nouvel aspect du rôle extraordinaire de la mère juive.

En raison de l’importance de ce texte, nous le citons in extenso :

« Le nom de sa mère était Chelomith bat Divri : Lorsque l’on voit chez une personne de l’insolence et des traits de caractère négatifs, c’est que sa mère a eu une relation interdite ou des mauvaises pensées.

Si la Thora ne mentionne le nom de la mère du blasphémateur qu’après avoir raconté l’acte de ce dernier, c’est pour nous faire comprendre que c’est sa mère qui est à l’origine de cette faute.

La raison profonde de ce phénomène est que l’embryon se crée dans le placenta de la mère et qu’il grandit dans son corps.

Après sa naissance, il continue d’être nourri par elle. Cela entraîne que son caractère est marqué de façon beaucoup plus forte par la mère que par le père.

Ses actes ressembleront plus à ceux de sa mère qu’à ceux de son père.

C’est la raison pour laquelle les Rois d’Israël sont toujours mentionnés avec le nom de leur mère.

Cela est d’autant plus vrai dans le positif : lorsqu’un homme est juste, humble, et plein de vertus, c’est une preuve absolue que sa mère était pudique et que ses pensées étaient pures. Ce sont ces qualités qui lui ont fait mériter un tel enfant.

La branche est un témoin de la qualité de la racine… c’est ce que le Roi David a exprimé quand il dit :

« Oh ! Grâce, Seigneur, car je suis ton serviteur, je suis ton serviteur, fils de ta servante » (Psaumes 116 ; 16).

Des quelques lignes de Rabbénou Bahya, se dégage une leçon de vie : La réserve et la pudeur de la femme juive vis à vis des hommes n’est pas seulement une vertu, c’est une nécessité absolue, c’est un mode d’éducation et de vie.

Et cela concerne toutes celles qui veulent garder la fierté et l’honneur d’être bat Israël (fille d’Israël), et que se réalise leur espoir d’avoir, pour reprendre les mots de Rabbénou Bahya, des enfants justes, humbles et pleins de vertus…


La double parole

Par le Rav Eliahou Elkaïm

D.ieu s’adresse aux anges et aux hommes, et contre toute attente, les anges se sentent lésés. Car il faut le savoir, l’homme bénéficie de la double parole…

Notre paracha commence par un ordre divin : celui qui interdit aux Prêtres, descendants d’Aaron, de se rendre impurs au contact des morts.

Seuls les Prêtres, qui sont des parents proches du défunt, et dont la filiation est définie par le verset, pourront s’approcher du corps.

Pour exprimer cet ordre, D.ieu s’adresse à Moïse en employant une formule inhabituelle : « Emor véamarta », littéralement : « Parle pour leur dire ».

Cette répétition de la racine amira (parole) n’est pas fortuite et fait l’objet de plusieurs interprétations de nos maîtres, sans laquelle elle reste hermétique.

Rachi (ibid.) cite à ce sujet le Sifra (ibid.) et le Talmud (Yébamoth 114a).

« Cette double parole nous apprend qu’il est interdit de mettre un enfant prêtre dans une situation que le rendrait impur au contact d’un mort, même en dessous de l’âge de la bar-mitsva. Cela est sous-entendu par cette répétition. Emor concerne les parents, véamarta concerne les enfants » (cf. Maïmonide Yad ha’hazaka, hil’hot evel 3 ; 12- Choul’han arou’h Yorédéa 373 ; 1).

Il faut le savoir, ces lois ne sont en rien caduques et restent valables jusqu’à nos jours. C’est la raison pour laquelle il est interdit à un Cohen, en raison de sa sainteté, d’entrer dans un cimetière, sauf si des précautions sont prises, assurant qu’il ne risque pas de devenir impur selon les règles de la hala’ha.

La revendication des anges

Le Midrach offre une interprétation supplémentaire à cette répétition, et en approfondissant ces paroles de nos maîtres, nous allons découvrir des secrets concernant la psychologie et la nature humaine.

« Rabbi Béra’hia dit au nom de Rabbi Lévy : ‘Cela ressemble à l’histoire de ces deux personnes qui furent atteintes par une maladie causée par des forces impures ( roua’h hatouma).

L’un était Cohen, l’autre ne l’était pas. Les deux malades se rendent chez un spécialiste pour prendre conseil.

Ce dernier s’adresse à celui qui n’est pas Cohen, en lui conseillant de ne jamais entrer dans un cimetière pour éviter les risques de contact avec ces forces impures, particulièrement présentes près des morts.

Mais le spécialiste ignore le Cohen, qui pourtant souffrait lui aussi de cette maladie.

Le Cohen demande alors :

‘Pourquoi donnes-tu des conseils à mon ami, et pourquoi ne t’adresses tu pas à moi, qui suis aussi venu te consulter ?’

C’est parce que ton ami n’est pas Cohen et il n’est pas habitué à éviter les cimetières. Je dois donc le mettre en garde. En revanche, toi, en tant que Cohen, tu n’as jamais l’occasion d’entrer au cimetière. Ce conseil serait donc superflu.

De la même façon, nous pouvons comprendre que les anges ( élyionim : littéralement, ceux des hautes sphères), qui n’ont pas de mauvais penchant ( yetser hara), n’ont besoin que d’une seule parole de D.ieu, comme cela est exprimé dans le verset :

« Tel est l’arrêt exécuté par les anges, transmis par la parole divine aux saints »

(Daniel 4 ; 14, d’après l’interprétation de Malbim).

En revanche, les êtres humains (ta’htonim, littéralement ceux d’ici-bas), chez qui le mauvais penchant est présent, ont besoin d’une double parole pour ne pas fauter. Et encore faut-il espérer que cette double parole suffise et subsiste !

C’est pourquoi la Thora utilise ici le double terme ‘ émor vaamarta’ » (Vayikra Rabba 26 ; 5).

Ce texte assez énigmatique du Midrach nous rappelle un deuxième texte de nos maîtres dans le Talmud (Chabbath 88b).

Le Talmud relate que lorsque Moïse est monté aux cieux pour recevoir la Thora, les anges se sont plaints à D.ieu : « Comment est-il possible de transmettre la Thora, ce joyaux qui a précédé la création du monde à des êtres humains ? »

On le voit, ces derniers exigeaient la Thora pour eux seuls, considérant que le message divin ne peut être transmis aux hommes.

Jouir du message divin

D.ieu demanda alors à Moïse de répondre lui-même. Et ce dernier s’exécuta.

Moïse expliqua que les thèmes abordés par la Thora prouvent qu’elle s’adresse à l’homme.

Sans entrer dans l’approfondissement de ce texte tout à fait passionnant, ce qui exigerait un long développement, nous pouvons cependant remarquer l’analogie avec le Midrach que nous avons cité.

Une seule différence : dans le texte du Talmud, les anges revendiquent la Thora pour eux seuls, alors que dans celui du Midrach, ils demandent seulement à jouir de la parole divine de façon égale aux hommes.

Il nous faut à présent revenir au Midrach et filer la métaphore qu’il dresse.

En effet, dans ce Midrach, les anges sont comparés au Cohen, qui se présente devant un spécialiste.

Tout comme le Cohen qui se plaint d’être ignoré, dit le Midrach, les anges auraient eux aussi une revendication face au Créateur.

Sans aucune défaillance

Mais une difficulté apparaît dans le texte du Midrach : l’allégorie (machal) ne semble pas à priori correspondre à son exégèse ( nimchal).

En effet, dans l’allégorie de départ, le Cohen est ignoré par le spécialiste, alors que dans le nimchal, les anges jouissent aussi de la parole divine, même s’ils ne bénéficient pas d’une double parole.

Le Maharzo, l’un des commentaires édités avec le Midrach, nous donne la clef pour éluder cette difficulté.

De la même façon que notre monde fut créé par la parole de D.ieu, les anges ont été créé et continuent d’exister grâce à la parole divine. C’est de cette parole, bien évidemment unique, dont il s’agit ici.

La parole concernant les anges définit leur nature même.

D.ieu a placé en eux, de façon innée, l’aptitude à saisir Sa volonté, et de l’accomplir automatiquement. C’est cette nature qui est exprimée dans le Midrach, comme une parole divine qui s’adresse à eux.

Nous comprenons à présent le sentiment des anges, qui se sentent ignorés, ne recevant pas le message divin de la même façon que l’homme.

Car l’homme reçoit ce message à travers une parole.

C’est le même sentiment que ressent le Cohen, auquel le spécialiste ne donne aucun conseil.

Pour les anges, comme pour le Cohen, un conseil serait superflu, dans la mesure où les directions de ce conseil font déjà partie de leur existence même.

Volonté naturelle

L’enseignement de la métaphore, proposé par le Midrach nous amène à une remarque intéressante :

En fait, la première parole adressée aux hommes (« ‘Parle’… pour leur dire ») correspond à l’attitude de D.ieu envers les anges, à cette parole unique que le Créateur « adresse » aux êtres célestes.

C’est ce qui est exprimé dans la réponde de D.ieu aux anges : l’homme a seulement besoin d’une parole supplémentaire due à la présence de son yetser hara.

Mais la première parole, adressée aux hommes et aux anges est de la même nature : elle crée la volonté innée d’accomplir la volonté divine.

C’est seulement le mauvais penchant ( yetser hara), inexistant chez les anges, qui rend nécessaire la deuxième parole. Cette deuxième parole s’adresse à un être qui doit faire face à la tentation.

Connaître cette vérité, dévoilée par le Midrach, est primordiale : à certains moments de faiblesse, on peut être amené à croire que certaines exigences de la Thora dépassent nos capacités, et ne s’adressent qu’à des êtres d’une niveau moral bien supérieur au nôtre.

Le Midrach nous révèle au contraire que l’âme de chaque Juif est empreinte d’une volonté naturelle innée, identique à celle des anges, d’accomplir toutes les lois de la Thora.

Cette volonté existe, il ne faut pas la créer, il suffit de dévoiler en nous son existence.

Mais il nous reste à comprendre le sens véritable de la deuxième parole, celle adressée exclusivement à l’homme.

Une parole psalmodique

Le Rav L. Gurwicz zatsal (Roch Yéchivat Gateshead), dans son ouvrage « Méoré chéarim », découvre dans ce Midrach le secret de l’action du yetser hara (p. 80 ; 83).

L’effet principal du yetser hara n’est pas de fausser la compréhension du message divin par l’homme ; le yetser hara joue avant tout sur la conservation de ce message en l’homme.

C’est pourquoi la répétition incessante de la Parole divine, par l’étude et la prière notamment, représente l’arme la plus redoutable pour lutter contre le yetser hara.

Là se trouve le sens de cette deuxième parole et des mots du Midrach : « Et encore faut-il espérer que cette double parole suffise et subsiste ! »

Le Midrach, quand il parle du yetser hara, emploie également le terme : matsouï bahem, littéralement, qui se trouve en eux.

Nos maîtres nous révèlent ici que le yetser hara n’est pas, comme on est souvent porté à le croire, un fondement de l’âme humaine, une tendance au même titre que la pulsion vers le Bien.

Bien au contraire, la volonté innée et naturelle de l’âme est d’accomplir la volonté divine. Le mauvais penchant n’est qu’un élément rapporté, venu se fixer en l’homme pour qu’il bénéficie du libre-arbitre.

Ces nuances subtiles peuvent changer l’approche globale de l’homme face aux épreuves qu’il doit affronter.

Savoir, à chaque instant, que le mauvais penchant n’est pas une partie constituante de ma personnalité ; savoir utiliser l’arme de la double parole, cette parole psalmodique, cette litanie qui nous permet d’entendre et de réentendre les mots du message divin, sont, comme le souligne le Ram’hal dans son introduction au « Sentier de rectitude », les meilleurs moyens pour intérioriser le message de D.ieu et se rapprocher de Lui.