Chabbath Parachat ‘Toldot

3 décembre 2005 – 2 kislev 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies16 h 1615 h 54 16 h 37
Sortie de Chabbath17 h 15 17 h 02 17 h 46
Œuvre de Madame Brigitte TEMAN

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth) consacré à la mémoire de

Monsieur ITSHAK BEN AZIZA CHOUKROUN

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Et le quatrième volume est déjà sous presse, nous espérons vous le faire parvenir ans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

En cette époque de rentrée, nous venons d’accueillir la nouvelle promotion, ce qui accroît le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. De ce fait, nous avons augmenté le personnel, qui compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov.

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Parachat ‘Toldot

3 décembre 2005 – 2 kislev 5766

La volonté, l’arme magique

Par Rav Eliahou Elkaïm

L’énumération des cinq disciples (talmidim) de Rabban Yohanan, et les éloges qu’il fait à leur égard, nous permet de découvrir une nouvelle dimension du monde de la Thora: le concept du talmid. L’occasion également de découvrir que la mémoire n’est pas une qualité exclusivement innée.

«Rabban Yohanan ben Zaccaï reçut la tradition de Hillel et de Chamaï. Il disait: ‘Si tu as beaucoup étudié la Thora, n’en tire pas vanité, car c’est pour cela tu as été créé.’ Rabban Yohanan ben Zakaï avait cinq disciples, à savoir: Rabbi Eliezer ben Hyrcan, Rabbi Josué ben ‘Hanania, Rabi José le prêtre, Rabbi Siméon ben Natanaël, Rabbi Eléazar ben Arack.Voici comment il énumérait leurs mérites: Rabbi Eliezer ben Hyrcan: une citerne cimentée qui ne perd pas une goutte. (…)»

(Chapitre 2, Michna 8)

Rabban Yohanan a formé des milliers de disciples durant les quarante années où il a diffusé la Thora. De nombreux tannaïm sont mentionnés dans les textes comme ayant reçus son enseignement.

Pourquoi seuls ces cinq hommes sont cités comme étant ses élèves (talmidim)?

Il faut croire que leur réception de la Thora fut d’un autre ordre que celui des autres disciples.

Un talmid, au plein sens du terme, est celui qui s’efface totalement devant son maître, au point de conditionner sa réflexion, et toutes ses aptitudes, pour parvenir à comprendre la pensée du maître dans tous les domaines de la vie, et de s’en imprégner totalement.

Rabban Yohanan a retransmis toute la Thora qu’il a reçu de Hillel et de Chamaï à une époque troublée et sombre de l’histoire du peuple juif. Et seuls cinq disciples ont pu, à leur tour, recevoir et retransmettre toutes les connaissances de leur maître.

Ils l’ont fait avec une intégrité parfaite, et ont consacré toutes leurs prédispositions pour devenir de vrais talmidim

Cela ne vient en aucun cas réduire le niveau des autres tannaïm de l’époque, qui ont bénéficié de l’enseignement de Rabban Yohanan, mais qui ont gardé une note personnelle dans leur réflexion, découlant de leur caractère propre et de leurs aptitudes spécifiques.

Mais la qualité de talmid exige un effacement supplémentaire.

De la bouche de mon maître…

Rabbi Haïm Chmoulevitz fait à ce sujet une remarque intéressante.

Deux textes contradictoires décrivent Rabbi Eliezer ben Horkenos, le premier talmid de Rabban Yohanan cité dans notre Michna.

Le premier : «Rabbi Eliezer dit: ‘Je n’ai jamais dit des paroles de Thora que je n’ai pas moi-même entendu de la bouche de mon maître (Rabban Yohanan, ndlr.)’»

(Talmud Soucca 28a)

Et le second: «Rabbi Eliezer était assis, et de sa bouche sortaient des paroles de Thora qu’aucune oreille au monde n’avait eu le privilège d’entendre jusque-là»

(Avoth de Rabbi Nathan 6-3)

Comment concilier ces deux affirmations?

Rabbi Haïm Chmoulevitz explique que Rabbi Eliezer était un talmid si parfait qu’il était totalement imprégné de la pensée de son maître. Ainsi, il était incapable d’émettre un axiome dont il n’avait pas la certitude qu’il correspondait exactement à l’approche de ce dernier.

C’est le fond de la pensée de Rabbi Eliezer dans le Traité Soucca du Talmud.

Même si ses paroles de Thora étaient nouvelles, elles correspondaient parfaitement et en tous points à la pensée du maître, au point qu’il peut affirmer sans se tromper qu’il les a entendues de sa bouche: à savoir qu’elles sont le fruit de la conception de ce maître.(Si' hot Moussar année 5731 p.77)

Le ‘Hatam Sofer*, qui a enseigné à des milliers d’élèves de sa Yéchiva, dit une fois qu’il n’avait eu que treize talmidim véritables durant toute sa vie.

Selon sa définition, un talmid a en lui, à chaque instant de son existence, l’image vivante de son maître: aptitude extrêmement rare.

C’est une chose possible uniquement si le talmid ressent une soif intarissable quant à l’enseignement de son maître.

Et nous allons découvrir, dans les textes, le parcours qui a permis à Rabbi Eliezer d’accéder à ce niveau.

Une mémoire de soixante-dix ans

Rabban Yohanan dit que Rabbi Eliezer est comme une citerne cimentée qui ne perd pas une goutte.

Le Hafets Haïm fait remarquer que cet éloge se réfère, à première vue, à une prédisposition naturelle: la mémoire.

Mais en quoi Rabbi Eliezer, s’il a une mémoire prodigieuse, mérite-t-il un compliment. Comme nous l’avons vu la semaine dernière, il n’y a pas de mérite à posséder une qualité innée.

Pour répondre à cette question, le Hafets Haïm raconte qu’il se souvient avoir connu dans son village un vieillard, qui avait vu le Tsar, venu en visite dans son village soixante-dix ans auparavant.

Ce vieil homme se souvenait avec exactitude de cette visite et pouvait décrire avec une précision étonnante l'équipement du cocher et les tenues de la suite royale, dans leurs moindres détails.

Evidemment, d’autres événements, moins importants de sa vie, lui échappaient totalement.

On le comprend, ayant vécu cette visite du tsar dans son enfance, une vive émotion avait été suscitée, et chaque détail avait étégravé dans sa mémoire.

C’est le sens de l’éloge de Rabban Yohanan à l’égard de son élève qui, en réalité, ne parle pas de sa mémoire naturelle mais d’un enthousiasme et d’une volonté personnelle.

En effet, c’est une soif extraordinaire pour la Thora, et une émotion sans cesse renouvelée en écoutant ses préceptes, qu’il est parvenu à mémoriser chaque détail de l’enseignement de son maître. C’est ainsi qu’il a réussi à créer, en lui, et par un travail personnel, des facultés de mémoire sans précédent (Hafets Haïm al Hathora p.204).

Rabbi Eliezer, qui est aussi appelé Rabbi Eliezer Hagadol, est l’auteur de Pirké de Rabbi Eliezer. Son histoire, son parcours, correspondent bien à la description du Hafets Haïm (cf. Pirké de Rabbi Eliezer chapitre 1, Avoth de Rabbi Nathan (6-3), et Béréchit Rabba (42-1).

Son père, un riche exploitant terrien, vit un jour son fils Eliezer pleurer, alors qu’il était en train de labourer.

Il pensa que ce travail désagréable entraînait chez son fils un certain désespoir. Devant les questions de son père, Eliezer lui répondit que ce n’était pas le travail qui lui était affligeant, mais que la raison de sa tristesse était qu’il souhaitait ardemment étudier la Thora.

«- Tu es âgé de vingt-huit ans et tu veux étudier la Thora, s’étonne son père. Fonde un foyer, mets au monde des enfants que tu pourras envoyer étudier.»

«Je veux étudier la Thora»

Pendant les deux semaines suivantes, Rabbi Eliezer continue de travailler, mais sa peine lui hôte tout appétit, et il ne peut rien manger; il mâche seulement de la terre.

Après des jours de jeûne, Eliahou le prophète se présente et lui demande la raison de ses pleurs:

  • Je veux étudier la Thora
  • Vas à Jérusalem étudier chez Rabban Yohanan

Au moment où Eliahou Hanavi disparaît, le bœuf avec lequel Eliezer labourait s’effondre. Eliezer comprend que c’est un signe, et qu’il doit partir immédiatement.

Arrivé chez Rabban Yohanan ben Zaccaï, il se met à nouveau à pleurer. Et devant les questions du grand maître, il dit à nouveau:

  • Je veux étudier la Thora
  • Qui est ton père?

Horkenos, son père étant un homme connu et riche, Eliezer ne lui répondit pas. Il voulait éviter que l’on ne connaisse son identité, pour éviter que sa famille ne le découvrit où il se trouvait.

Rabban Yohanan, devant tant de volonté pour étudier la Thora, décide de lui enseigner lui-même les premiers rudiments. A chaque stade, Eliezer pleure, et ne parvient pas à manger tant sa volonté de progresser est grande. A force de travail, il devient l’un des élèves de prédilection de Rabban Yohanan.

De son côté, son père, sous la pression de ses autres fils, décide de renier Eliezer, pensant qu’il a fuit le travail par paresse.

Il prend la route de Jérusalem pour obtenir l’approbation de Rabban Yohanan, décisionnaire de l’époque, pour avaliser cette lourde décision.

C’est lors de cette démarche qu’il découvre que son fils est devenu l’un des plus grands maîtres de la génération. Sur le champ, il décide de prendre la décision inverse de celle qui avait provoqué son voyage: il lui fait hériter de toute sa fortune.

Mais Rabbi Eliezer refuse, ne voulant pas tirer un profit matériel de sa Thora.

On comprend pourquoi Rabban Yohanan avait tant d’admiration pour son élève: envers et contre toutes les contingences, il avait une soif et une volonté inébranlables de connaître la Thora: qualités qui créèrent en lui des aptitudes de mémoire qui dépassaient celles de toute sa génération, et lui permirent de devenir un véritable talmid.

Chabbath Chalom

* Le ‘Hatam Sofer (Rabbi Moché Sofer 1763-1840) fut l’un des géants en Thora de son époque. Sa Yéchiva à Presbourg, en Hongrie, fut l’un des plus grands centres de Thora d’Europe de l’est.