Chabbath Parachat Tetsavé

10, 11 mars 2006 – 10, 11 adar 5766

Jeûne d’Esther

13 mars 5 h 35 – 19 h 31

Pourim

13, 14 mars - 13, 14 adar

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies17 h 08 17 h 34 18 h 29
Sortie de Chabbath 18 h 20 18 h 38 19 h 34

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth).

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse et nous espérons vous le faire parvenir ans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui porte le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ce Dvar Thora est consacré à la reussitte du mariage de

Joël Bettan et son épouse

et nous leur souhaitons tous un grand Mazal Tov .

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan

S’approcher du feu?

Par Rav Eliahou Elkaïm

La proximité avec nos maîtres est une valeur essentielle pour parvenir à vivre dans la vérité. Mais encore faut-il savoir respecter les distances que la Thora elle-même a fixé…

«Chacun d’eux a dit trois paroles. Rabbi Eliezer disait: ‘Que l’honneur de ton prochain te soit aussi précieux que le tien; ne sois pas prompt à te mettre en colère; repens-toi un jour avant ta mort; réchauffe-toi au feu des sages mais attention à leur braises, pour ne pas te brûler! Car leur morsure est une morsure de renard, leur piqûre est celle du scorpion, leur sifflement celui du serpent venimeux et toutes leurs paroles sont comme des braises ardentes’ »

(Chapitre 2, Michna 10)

La semaine dernière, nous avons développé l’interprétation de Rachi sur la dernière partie de la maxime de Rabbi Eliezer.

Nous allons, cette semaine, aborder une autre vision des choses, celle de la majorité des commentateurs de l’époque des Richonim (littéralement les premiers, X ème-XV ème siècle), tels Maïmonide, Rabbénou Yona, le Meïri et d’autres encore.

Si, d’après Rachi, l’intention première de Rabbi Eliezer concerne l’ordre de la Thora de respecter à la lettre les prescriptions de nos Sages, les autres Richonim estiment que son intention est de fixer les modalités que l’homme juif doit créer avec les Maîtres en Thora de son époque.

Commençons par citer Maïmonide:

«Si tu t’es rapproché des Sages et des hommes d’exception, ne te conduis pas avec légèreté en leur présence.

Ne te sens pas trop familier, ne te rapproche pas d’eux plus qu’il ne se doit: le niveau de votre proximité doit être fixé par eux et elle doit varier en fonction de leur volonté exprimée de faire de toi un proche.

Cette proximité doit se cantonner aux limites qu’ils ont fixé: ne dépasse surtout pas ces limites, afin de ne pas perdre leur estime et que l’affection qu’ils te témoignent ne se transforme pas en rejet.

Car tu ne pourrais plus jouir de l’apport spirituel que tu espères acquérir.»

Rabbi Eliezer compare cette idée à un homme qui se réchauffe devant un feu de bois: s’il garde la distance souhaitée, il jouira de la chaleur et de la lumière qui en émanent.

S’il se rapproche trop, il se brûlera et le profit escompté se transformera en préjudice.

Et il conclut: «Leur haleine est celle d’un serpent venimeux».

Cette allégorie vient renforcer la mise en garde, en nous disant: «ne crois pas que tu pourras atténuer l’effet de leur morsure. Si les Sages t’ont ‘mordu’ par leurs mots, tu ne pourras pas les amadouer.»

Leur lumière et leur Thora

Car le serpent venimeux est indifférent au la’hach, cette expression qui a un effet magique dans certains cas de danger, comme l’exprime le verset:

«(…) qui n’entend pas la voix des charmeurs, des magiciens les plus experts» (Psaumes 58-6)

(Maïmonide ibid.)

Le Rachbats (Rabbi Chimon ben Tsema’h, XV ème siècle) ajoute:

«Rabbi Eliezer compare les Sages au feu, comme l’exprime le verset:

«Ma parole ne ressemble-t-elle pas au feu? dit l’Eternel»

(Jérémie 23-29)

Nos Maîtres ajoutent:

«Rabbi Abahou dit au nom de Rabbi Eliezer: ‘Le feu de la Géhenne (enfer) n’a pas d’emprise sur les Maîtres en Thora.’

Pourquoi? La réponse vient d’un ‘kal va‘homer’ (à plus forte raison), l’un des principes de raisonnement que nous enseigne la Thora.

La salamandre, créature qui émane de la chaleur, provoquée un feu ardent qui brûle sept ans sans s’interrompre (Rachi ibid.) ne craint rien devant le feu.

Cette salamandre n’est qu’une émanation du feu, alors que les Maîtres en Thora sont le feu lui-même. Donc, à plus forte raison, les Maîtres en Thora n’ont rien à craindre du feu.» (Talmud ‘Haguigua 27a)

Celui qui se rapproche des Sages peut jouir de leur lumière et de leur Thora.

Mais à l’image de celui qui s’approche trop du feu et qui se brûlera, celui qui s’approche trop des maîtres et se conduit avec légèreté en leur présence sera brûlé par le feu qui émane d’eux.

Il sera puni et ne trouvera aucun remède (cf. Avoda Zara 27b et Chabbath 11a).»

(Rachbats ibid.)

Sans politesse

On le voit, d’après cette interprétation, Rabbi Eliezer définit ici une notion fondamentale du judaïsme: le respect envers le savant en Thora (talmid ‘ha’ham), n’a aucun rapport avec la bienséance.

La bienséance veut que l’on respecte une personne d’influence. Mais le respecte envers le savant en Thora est d’un autre ordre.

Car la Thora, création spirituelle, siège en lui, et le transcende. Et c’est à l’égard de cette Thora qu’il faut exprimer sa crainte et son respect.

L’auteur du Milei de Avoth (Rabbi Yossef ‘Hayoun, XV ème siècle), fait une précision:

«Il ne faut pas croire qu’il faut craindre les talmidé ‘ha’hamim seulement lorsqu’ils enseignent la Thora, qui est comparée au feu ardent, comme le dit le verset:

«A sa droite le feu sacré de la loi (…)» (Deutéronome 33-2)

Même lorsqu’ils discutent de sujets prosaïques, on doit le même respect à leurs paroles.

C’est la raison pour laquelle Rabbi Eliezer conclut: «Toutes leurs paroles sont comme des braises ardentes».

Cela inclut donc tous leurs enseignements, même ceux qui ne sont pas liés à la loi (où leur avis fixera la hala’ha, ce qui est permis ou interdit), mais qui définissent leur approche de la vie.

Celui qui est sceptique quand à la vérité absolue de ces enseignements risque également de se brûler, car toutes leurs paroles sont des braises ardentes.»

Rabbi Haïm de Volozhine va plusloin encore:

«Il faut absolument éviter de toucher une braise, qui n’est pas même une flamme, si l’on ne veut pas se brûler.

Car si on attise une braise, elle se transformera en feu qui réchauffera et éclairera.

Toutes les paroles de nos maîtres peuvent être comparées à cette allégorie.

Si l’on réfléchit et que l’on approfondit les paroles des Sages, même si elles nous paraissent, au premier abord, simples et laconiques, on parviendra à des vérités profondes et éclairantes.

Mais tout comme à l’égard des braises, il faut rester sur ses gardes: ne pas s’en approcher, ce qui implique ne pas, en analysant sans contrôle leurs enseignements, en arriver àles remettre en question.» (Nefech Ha’Haïm 3-1)

Combien sont ceux qui, tout au long de l’histoire, ont subi les conséquences terribles de l’atteinte qu’ils avaient porté à l’honneur des maîtres en Thora.

Pourtant, ces derniers sont d’une humilité extraordinaire et ils pardonnent à tous lorsqu’il s’agit de leur propre personne.

Mais la Thora qui vit en eux ne pardonne pas.

Le premier et le dernier

Le Meïri ajoute une remarque intéressante: il explique l’exemple de la morsure du renard, choisi par l’auteur de la maxime.

Le renard a des dents fines, incisives et torves.

Sur le moment, sa morsure sera moins douloureuse que celle des autres animaux. Mais lorsqu’il ouvre à nouveau ses crocs pour sortir ses dents, il va arracher de la chair. Sa blessure se révélera, par la suite, bien plus grave que celle d’un autre animal.

L’image identique est celle du venin de la vipère que l’on ne sent pas immédiatement, mais qui est un poison puissant.

C’est le même mécanisme qui se met en marche lorsque l’on porte atteinte à l’honneur des maîtres en Thora: si aucune conséquence n’est perceptible, aucun châtiment visible sur le moment, la punition n’en sera que plus violente plus tard.

Nous conclurons par l’interprétation du Sforno, qui voit dans les sentences de Rabbi Eliezer, un rapport direct avec le niveau qu’il avait atteint.

On se souvient que son maître, Rabban Yo’hanan ben Zakkaï, l’avait comparé à une citerne qui ne perd pas une goutte.

Entre les lignes de sa maxime, il nous dévoile le secret de son ascension dans la Thora. En effet, il insiste sur certains points qui lui semble essentiels, et ces points étaient justement ceux qu’il avait le plus travaillé dans sa propre vie:

«Personne ne l’a jamais précédé dans la maison d’étude (beit hamidrach), et il ne l’a jamais quittée avant qu’elle ne soit entièrement vide (Talmud Soukka 28a).

C’est ainsi qu’il a acquis une connaissance inégalée de la Thora. Pour accéder à un tel niveau, et dans la mesure où l’étude se fait en groupe, il faut être apprécié d’une façon toute particulière par ses compagnons.

Et c’est en les respectant spécialement, en ne se mettant jamais en colère, que l’on pourra y parvenir.

Par ailleurs, il faut également savoir se rapprocher des maîtres sans pour autant tomber dans le piège d’une trop grande familiarité.

La morsure, la piqûre et le venin, font allusion aux différents moyens utilisés par nos maîtres pour éloigner ceux qui manquent de respect à la Thora, et qui peuvent aller jusqu’à subir l’anathème (‘herem).

Mais tous ces ‘dangers’ ne doivent pas nous décourager et nous éloigner de nos maîtres, car toutes leurs paroles sont comme des braises ardentes, qui réchauffent et éclairent.

Et même leurs paroles les plus prosaïques (si’hot ‘houlin) sont riches d’enseignements. »

(Talmud Soukka 21b)

(Sforno ibid.)

Chabbath Chalom


Parachath Tetsavé

Unis comme des frères au cœur pur

Rav Eliahou Elkaïm

Dans la paracha de cette semaine, nous découvrons les consignes données par D.ieu à Moïse pour la fabrication des vêtements sacrés portés par Aaron, le Grand Prêtre. Malgré cette description apparemment technique, nous allons accéder à l’un des fondements du message de la Thora…

« Tu feras confectionner pour Aaron ton frère des vêtements sacrés, insignes d’honneur et de majesté. Tu enjoindras donc tous les artistes habiles, que j’ai doué du génie de l’art, d’exécuter le costume d’Aaron, afin de le consacrer à Mon sacerdoce. »

Le Gaon de Vilna explique que les mots « honneur » et « majesté » (« kavod » et « tiféreth ») se rapportent à deux caractéristiques différentes du Grand Prêtre.

L’honneur renvoie aux notions de richesse et d’influence, tandis que la majesté est liée au niveau moral, à la personnalité même d’Aaron.

Et le Gaon poursuit en montrant que le pectoral, « ‘Hochen Hamichpath » est l’élément qui met en relief ces deux aspects. Le pectoral est un carré d’étoffe, dans lequel étaient enchâssées des pierreries. Il y avait quatre rangées de trois pierres chacune, sur lesquelles étaient gravés les noms des douze tribus d’Israël. Ce carré d’étoffe était posé sur le cœur du Grand Prêtre.

Quel est le lien entre cette parure et les deux valeurs (richesse et valeur morale) dont nous avons parlé précédemment ?

Le destin des enfants d’Israël

Pour porter ce pectoral, le Grand Prêtre devait posséder un niveau moral très élevé : en effet, ce pectoral contenait le Nom Ineffable, que le Grand Prêtre portait sur son cœur, ce qui exigeait un degré d’élévation et de pureté très important.

Pour ce qui est de la richesse et l’influence, les pierres du ‘Hochen étaient de grande valeur. Nos maîtres rapportent qu’une seule de ces pierres valait plus de mille pièces d’or.

On le voit, le pectoral est l’élément qui représente le mieux la grandeur du Grand Prêtre.

Plus loin, la Thora précise le rôle du ‘Hochen : « Et Aaron portera sur son cœur, lorsqu’il entrera dans le sanctuaire, les noms des enfants d’Israël, inscrits sur le pectoral du jugement, commémoration perpétuelle devant le Seigneur. Tu ajouteras au pectoral du jugement les Ourîm et les Toumîm, pour qu’ils soient sur la poitrine d’Aaron lorsqu’il se présentera devant l’Eternel. Aaron portera ainsi le destin des enfants d’Israël sur sa poitrine, devant le Seigneur constamment. » (Exode 28 ; 29, 30)

Rabbi Ovadia Seforno (XVème siècle) explique la répétition de « il portera » (« venassa ») par la double mission qu’Aaron devait assumer en accomplissant le service divin dans le Tabernacle avec le ‘Hochen.

Le premier aspect de cette mission est celui de rappeler les mérites des douze tribus d’Israël devant l’Eternel, afin que leurs descendants reçoivent la bénédiction divine.

Le deuxième est d’implorer D.ieu par la prière afin que le peuple d’Israël soit jugé positivement par le Créateur.

En outre, le pectoral possède une troisième vertu, dont parle le verset ci-dessus, quand il fait mention des Ourîm et Toumîm. Comme l’explique Rachi, il s’agit du Nom ineffable inscrit sur un parchemin, et glissé dans les replis du pectoral.

On adressait les questions fondamentales aux Ourîm et Toumîm, comme la Thora le précise (Les Nombres 27 ; 21). Les lettres gravées sur les pierres s’éclairaient, formant les mots de la réponse divine, que l’on pouvait « lire » de cette façon.

Rachi définit les Ourîm et Toumîm comme un système qui éclaire (Ourîm de « or », lumière) par ses réponses parfaites puisque d’origine divine (Toumîm de « tamim », parfait).

Pas de hasard

Le Talmud (Yoma p.73) ajoute que les réponses données par les Ourîm et Toumîm étaient sans équivoque et irrévocables. Fait presque unique puisque même les décrets divins, transmis par les prophètes pouvaient devenir caduques par le repentir du peuple d’Israël. Porter sur son cœur ce précieux pectoral représentait donc une immense responsabilité.

Nos maîtres, dans le Midrach (cf. Rachi, Tetsavé 28, 30), nous font remarquer que ce n’est pas par hasard qu’Aaron fut désigné par D.ieu pour porter ce ‘Hochen. Pour comprendre les raisons profondes de ce choix, il nous faut revenir un instant à la paracha de Chemot, au moment où D.ieu se révèle pour la première fois à Moïse, au buisson ardent.

C’est à ce moment que Moïse est assigné pour délivrer le peuple d’Israël de l’esclavage d’Egypte.

« Et maintenant, va, Je te délègue vers Pharaon, et fais que Mon peuple, les enfants d’Israël, sortent d’Egypte. » (Exode 3 ; 10)

Un dialogue surprenant s’engage alors entre D.ieu et Moïse, ce dernier faisant part de ses hésitations à son Créateur.

Malgré les réponses de D.ieu à chacun des points soulevés par Moïse, le plus grand des prophètes ne semble pas convaincu : « ‘De grâce, Seigneur ! Donne cette mission à un autre.’ Le courroux de l’Eternel s’alluma contre Moïse et Il dit : ‘ Eh bien ! C’est Aaron ton frère, le lévite, que Je désigne. Oui, c’est lui qui parlera ! Déjà même il vient à ta rencontre, et à ta vue, il se réjouira dans son cœur.’ » (Exode 4 ; 13, 14).

Moïse reste celui qui délivrera le peuple d’Israël, désormais aidé de son frère Aaron, qui sera son porte-parole.

Pourquoi Moïse, après toutes les réponses de D.ieu et au risque même de provoquer la colère divine, persiste-t-il dans son refus ?

En répondant à cette question, nous pourrons comprendre pourquoi Aaron fut choisi pour le rôle de Grand Prêtre…

Sentiment de frustration

C’est à nouveau le Midrach (résumé par Rachi ad hoc) qui va nous aider à comprendre ce dialogue.

« Nos sages expliquent : ce n’est pas sans raison que Moïse refuse la mission de D.ieu. C’est par déférence pour son frère aîné Aaron. Moïse disait à D.ieu : Jusqu’à ce jour, et pendant quatre-vingt ans, c’est Aaron qui a exercé le rôle de prophète. Devenir à mon tour le prophète qui va délivrer le peuple d’Israël, signifie empiéter sur son domaine et peut-être lui causer de la peine. » D.ieu lui répondit : « Tu te trompes. Non seulement Aaron n’en éprouve aucune peine. Mieux encore, il est plein de joie d’apprendre que tu as été choisi, comme il est écrit : « A ta vue, il se réjouira dans son cœur » (Midrach Raba Chemoth 3 ; 16, 17).

Ce témoignage de D.ieu va finalement convaincre Moïse d’accepter cette mission.

Comment refuser quand Celui qui connaît les pensées et les sentiments des hommes, affirme que le cœur d’Aaron est dénué de tout sentiment de frustration, fut-il le plus subtil ? Comment refuser quand D.ieu lui-même affirme que c’est plein de joie qu’Aaron accueille le fait que ce soit son frère qui ait été désigné pour délivrer le peuple d’Israël ?

Le Midrach Tan’houma, pour expliquer ce passage, ramène un verset du Cantique des Cantiques (8 ; 1). Israël s’adresse à son Créateur et L’implore : « Puisses-tu être un frère pour moi ! »

De quel frère s’agit-il ? Durant l’histoire, les frères ont souvent été opposés : Caïn haït Abel, Ichmaël haït Isaac, Essav haït Jacob, les frères de Joseph l’ont haï.

Mais deux autres frères viennent contredire cette « tradition ». Moïse et Aaron sont les symboles de la fraternité pure et véritable, et c’est à leur sujet qu’il a été dit : « Ah ! Qu’il est doux à des frères de vivre dans une étroite union » (Psaumes 133 ; 1).

Le niveau des anges

La noblesse d’âme d’Aaron, dont témoigne D.ieu lui-même, est extraordinaire.

L’un de nos maîtres disait que pour ressentir la peine de l’autre au même degré d’intensité que s’il s’agissait de la sienne, il fallait avoir atteint un niveau moral très élevé. Quant à celui qui parvient à se réjouir de la réussite de l’autre et à vivre sa joie comme s’il s’agissait de la sienne, on peut dire qu’il est presque arrivé au niveau des anges !

Moïse, bien que connaissant les vertus de son frère Aaron, avait du mal à imaginer qu’un être humain puisse atteindre un tel niveau de pureté : ne ressentir aucun sentiment de jalousie, ni aucune frustration, mais à l’inverse se réjouir totalement de l’investiture de son frère relevait presque de l’impossible. Et pourtant…

Le Midrach nous éclaire et conclut : « Rabbi Shimon ben Yossi dit : « Le cœur qui s’est réjoui de la nomination de son frère méritera de vêtir et de porter sur lui les Ourîm et Toumîm, comme il est écrit : ‘Et il sera sur le cœur d’Aaron’ . » (Midrach Rabba Chemoth 3 ; 1).

Le principe fondamental de la récompense divine est qu’elle est accordée « mida keneged mida », principe qui veut qu’il y ait toujours un rapport étroit entre la bonne action et la récompense.

Nous voyons ici une illustration de ce principe car le cœur d’Aaron qui est resté parfaitement pur est récompensé par l’honneur immense de porter le Pectoral. Mais plus profondément, quel rapport entre ce Pectoral et l’élévation d’âme d’Aaron ?

Vérité et jalousie

En premier lieu, nous avons vu que l’une des fonctions du Pectoral est de rappeler les mérites des douze tribus et de prier pour obtenir la bénédiction divine.

Pour défendre et mettre en avant les mérites de l’autre, il faut d’abord les avoir discernés. Qui peut percevoir ces vertus si ce n’est celui dont le cœur est dénué de tout sentiment de jalousie et qui « ressent » les sentiments de l’autre ?

Les qualités d’âme d’Aaron sont donc directement liées à son rôle. Aaron, mieux qu’aucun autre, saura mettre en avant les vertus du peuple d’Israël et implorer D.ieu en leur faveur.

En second lieu, le rôle des Ourîm et Toumîm est également lié aux qualités d’âme d’Aaron.

Porter ces Ourîm et Toumîm, c’est être le détenteur d’une Vérité absolue. Pour mériter d’être celui par qui passe cette Vérité, il faut avoir un lien avec la Vérité Absolue. Pour déchiffrer le message divin et le comprendre parfaitement, il fallait pouvoir appréhender cette vérité, ce qui implique d’être détaché de tous les éléments qui obscurcissent la perception. La jalousie est sans doute l’un des éléments qui fausse le plus le jugement. Seul un cœur dénué de toute trace de jalousie pourra être porteur de la Vérité absolue. C’est donc à juste titre qu’Aaron a été choisi pour porter le Nom Ineffable et la Vérité absolue.

Mais un autre texte du Midrach vient nous interpeller : « Si Aaron avait su qu’il serait écrit dans la Thora « A ta vue, il se réjouira dans son cœur », il serait venu à la rencontre de Moïse avec des tambourins et des accessoires de danse. »

Ce Midrach (Midrach Rabba Ruth 5 ; 6) nous laisse perplexe à première vue, risquant même de détruire notre compréhension de départ de la réaction d’Aaron.

En effet, doit-on comprendre qu’Aaron était motivé par des sentiments légèrement douteux ? Aaron, le prophète qui a atteint un niveau de pureté inégalé, serait-il intéressé par ce que l’on publiera au sujet de ses actions ? Aurait-il le même niveau que celui de notre génération où les décisions des plus grands dirigeants, loin d’être mues par un sens de la responsabilité, sont dictées par leur souci de démagogie et de publicité ?

Se détacher des réactions primaires

Notre maître, Rav Eleazar Mena’hem Scha’h, zatsal, expliquait ce Midrach de la façon suivante :

La Thora n’est pas un livre d’histoire. Tout ce qui y est rapporté est destiné à pousser l’homme vers une élévation morale.

Dans la mesure où D.ieu lui-même témoigne de la pureté des sentiments d’Aaron, on ne peut penser que ce dernier ait agit par calcul. En revanche, on peut imaginer qu’il puisse rechercher d’augmenter sa propre joie en s’accompagnant d’instruments de musique et de danse.

Le sens véritable de ce Midrach est que si Aaron avait su que la Thora rapporterait cet événement, il aurait extériorisé ses sentiments, afin que le message soit encore plus clair, plus éclatant. Il aurait amplifié l’expression de son sentiment pour faire profiter davantage les générations à venir de la leçon profonde de cet événement :

La Thora s’adresse à l’homme et lui dit : « Il est possible de s’élever moralement, de se détacher des réactions primaires de la société, se rapprochant ainsi de la vraie fraternité. C’est alors seulement que l’on peut implorer le Créateur.

« Puisses-tu être pour moi comme un frère », dit Israël à D.ieu dans le Cantique des Cantiques (8 ; 1).


Pourim

Du Sinai à Pourim

Rav Moshé Tapiero

S’il fallait souligner un thème central autour duquel dérouler l’intrigue de Pourim, nous n’hésiterions pas à désigner les multiples festins !

Abruptement, la Méguila débute par le grand festin offert par le roi à tous ses sujets. Festin où s’expriment la décadence et l’immoralité d’une société de divertissement.

C’est pour y avoir participé que les juifs de l’empire seront livrés par la providence aux funestes projets de la couronne.

Le divertissement ou l’oubli de soi.

Mais festin qui est aussi l’occasion d’introduire au palais celle qui apportera la délivrance.

La décision irrévocable de l’extermination d’Israël s’accompagne encore d’un festin.

C’est toujours à l’occasion de festins que s’engage la lutte entre Esther et Aman, le conflit entre Israël et Essav.

C’est enfin par un festin que chaque année les juifs actualisent la victoire d’Israël et la chute de l’héritier d’ Amaleq.

Festins où se dégustaient les meilleures chairs mais qui sont toujours définis comme Mishté eu égard aux vins que l’on y buvait.

Car le festin d’ Ah’ashvérosh est, à l’image de la société qu’il représentait, recherche éperdue d’étourdissement, d’enivrement, d’oubli.

Ultime visée du divertissement que de divertir le sujet du souci de soi, de le libérer de la gravité de l’existence. Si le jeu divertit c’est qu’il est un mode d’agir qui contient en lui-même sa finalité.

Alors que toute activité n'est réalisée qu’en vue de conséquences extérieures à l'acte, le divertissement trouve sa raison d'être dans l'acte même de jouer. L'enfant ne cesse de jouer, parce qu’inconscient des résultats de ses actes il ne considère que le geste qu'il effectue.

Dans ses multiples déclinaisons aux formes si diverses et souvent opposées, la liberté pour le mal s’énonce comme oubli de soi. Projet qui ne va pas sans dire.

Il a fallut le recours de toutes les gammes de divertissements proposées par les cultures pour permettre l’enivrement total de la raison, l’oubli radical de soi.

L’engagement n’est souvent qu’une forme aiguë de divertissement.

Combattre pour un idéal moral, pour une société meilleure ou pour quelque ‘isme’ en vogue peut cacher une volonté effrénée de divertissement.

Méfions-nous de ces combats pour les droits des hommes qui ont servi maintes fois à la destruction de la véritable stature du sujet !

L’accès à la Torah passe par un constant souci de soi.

Car obéir à un Commandement ce n’est pas uniquement répondre à un appel concrètement situé dans l’histoire et porté par une révélation divine.

C’est d’abord se conformer à une disposition intérieure, respecter sa nature authentique de sujet créé.

La Révélation ne peut atteindre qu’un sujet déjà en éveil.

Il a fallut qu’Avraham entende, du sein de sa propre stature, la nécessité existentielle de la proximité divine pour percevoir que le Maître du monde se révélait à lui. Il a fallut qu’il entame seul sa migration loin de H’aran pour qu’il entende le Commandement d’exode.

La révélation sinaïtique n’initiait guère la subjectivation d’Israël. Les commandements donnés à Marah en sont le nécessaire préambule. Le don de la Torah est refusé aux nations qui n’ont pas respecté préalablement les lois noachides signifiant la structure minimale du sujet. Aucune révélation n’est envisageable à un sujet totalement oublieux de soi !

Souci de soi qui apporte à l’existence une irrécusable gravité. Etre créé ce n’est pas devoir sa vie à un quelconque bienfaiteur, mais porter la marque du Créateur, témoigner de par sa structure même de sa Gloire.

Eminente élection de l’humain, faite de devoirs plus que de droits, qui seule confère à l’existence son épaisseur et son ultime sens.

Au pied du Sinaï

Pourim, l’unique fête qui ne sera pas rendue caduque par la venue du messie ! Elle révèle selon les Maîtres d’Israël l’acceptation volontaire de la Torah. Dès leur arrivé au pied du Sinaï les 600 000 hébreux avaient accepté avant même de savoir : « nous ferons et nous entendrons »

Pourtant D.ieu incline peu après la montagne en forme de baquet renversé et énonce les termes d’un choix qui n’en est plus un « Si vous acceptez la Torah, tant mieux ; sinon ce sera ici votre tombeau »(Talmud Shabbat 88)

Pourquoi cette menace alors qu’Israël avait déjà accepté ?

Il fallait révéler la profondeur de ce qui pouvait paraître comme une décision libre. Car en deçà de la bipolarité du libre et du non-libre se révèle aux hébreux l’impossibilité d’une existence en retrait de D.ieu.

La liberté pour le mal n’est pas une option réelle. Elle mène à la fatalité du sans-issue, à l’absurde d’une vie livrée à la contingence. Le sujet ne peut se maintenir qu’en acceptant la Torah.

A l’instant même où Israël par l’exercice de sa liberté accepte la Torah, il se voit dessaisit de sa liberté ! Il n’en fallait pas moins pour assurer le maintien du monde qui ne saurait dépendre d’une volonté versatile (Maharal )

Cette révélation de la nécessité de la Torah ouvre toutefois la possibilité d’une contestation de la validité de l’accord des hébreux. N’étaient-ils pas en définitive contraints ?

Suspension de la volonté des hébreux, incertitude quant à la validité de l’acceptation de la Torah. Celle-ci ne sera levée qu’à Pourim lorsque Israël renouvellera de plein gré son accord :

« ‘Les juifs firent et acceptèrent’ qu’est -ce- à dire ? (L’acceptation précède pourtant l’action) Ils firent de leur plein gré ce qu’ils avaient accepté au Sinaï » (D’après Talmud Shabbat 88)

La détermination du statut de la volonté des hébreux n’est pas aisée.

La contrainte d’une menace explicite peut-elle recouvrir la droiture insoupçonnable d’un accord spontanée ?

Où se love l’indécision d’Israël ?

Il a été établi qu’il manquait à l’accord initial la perception aiguë de ce que la Torah seule assure un lieu pour le sujet, qu’elle se situe ainsi à un niveau antérieur à la question de la liberté.

Entendre pleinement cette contrainte c’est la percevoir à partir de sa condition de sujet. Israël sous la montagne, accède à la vision du réel. Il voit que la réalité sensible, où le sujet peut se déterminer comme origine de son monde qu'il appréhende et organise à sa guise, s’épuise à dire le réel.

Il saisit aussi bien le monde extérieur que son propre être comme seule expression de la volonté divine. Au regard de ce vouloir qui est pur valoir, sa propre volonté n’existe pas, sa liberté s’effondre au contact de l’Infini.

La Torah décidément se situe bien avant sa propre liberté, elle ne saurait en dépendre.

Mais parce qu’elle procède d’une perception ultime où la volonté du sujet s’anéantit, cette conscience de la contrainte de la Torah laisse encore place à un doute quant à l’adéquation du projet biblique à la condition humaine.

La volonté qui dans son exercice se trouve dessaisie d’elle-même retrouvera-t-elle au bout du compte une authentification dans l’espace de subjectivation ouvert par la Torah ?

Doute qui n’a plus lieu lorsque le sujet perçoit le Commandement comme nécessité par sa propre condition, le projet de Torah comme déploiement de la droiture initiale de la stature du sujet. Incertitude sur la place de l’humain enfin levée à Pourim.

En participant au festin royal Israël cherchait à fuir le souci de soi, à s’en divertir.

L’implication tragique de leur geste leur fait comprendre que la liberté pour le mal, liberté qui se veut première et originelle, ne mène qu’à la fatalité radicale. La Torah ne témoigne pas seulement d’un réel où la liberté devient fictive, elle assure aussi au sujet un lieu, une possibilité d’existence. Le souci de soi amène au Commandement.

Convive au grand festin de la vie

Le projet de Torah n’est pas abnégation de la volonté du sujet. Mais la dialectique entre contrainte et libre arbitre n’a plus cours dans l’espace de subjectivation. La parole divine ne vient pas seulement frapper un soi antérieurement constitué, mais fait advenir un sujet dont la volonté s’affirme en adéquation à celle de l’En-Haut.

En lieu et place du festin d’Aman, Esther ne propose pas une diète nécessaire eu égard aux enjeux supérieurs qui dépassent l’intérêt personnel.

Elle offre aussi un copieux festin. Mais le vin que l’on y sert n’est pas prétexte à un oubli de soi. Dans le dessaisissement du cogito qu’il provoque se révèle au sujet l’en deçà de la bipolarité de la liberté, le fond de sa créaturialité.

Notre époque est celle du loisir et des distractions.

La liberté pour le mal y revêt sa forme la plus basse, la plus primitive.

Aucun idéal n’est proposé aujourd’hui en lieu et place du projet de Torah, mais le simple cri du corps, la recherche effrénée des plaisirs.

Qu’il semble bon de s’y plonger ! Il faut toutefois connaître le tribut à verser.

Pas moins que l’oubli de soi ! Une vie entière peut se dérouler sans que le sujet ne se préoccupe d’un soi qu’il ignore. Ultime vérité du divertissement dont chacun fait la douloureuse expérience sur sa peau.

Le jeûne d’Esther précède le festin de Pourim. Il n’y a pas de plus grande satisfaction que de répondre à ses authentiques besoins. La saveur d’une vie de Torah ne réside pas dans l’interdit mais se goûte positivement à chaque moment de la vie, dans les gestes quotidiens de l’existence. Mais ce festin auquel chacun est convié exige la maîtrise de soi.

Le jeûne d’Esther exprime cette puissance de la raison à ne pas se laisser recouvrir par les passions et les désirs. Il convie quiconque le respecte au plus grand des festins : le festin de la vie.