Chabbath Parachat Ki Tissa

17, 18 mars 2006 – 17, 18 adar 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies17 h 13 17 h 44 18 h 40
Sortie de Chabbath 18 h 25 18 h 4819 h 45

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth) consacré :

  • au mariage deYohaï FHIMA & Dvora TORDJMANN
  • au mariage de Haïm ASSARAF & Rivka BARKATZ
  • à la Bar Mitsva de Jonathan BOKOBZA

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse et nous espérons vous le faire parvenir dans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui porte le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ces paroles de Thora sont également dédiées à la mémoire de

Haïm ben Esther Abitbol (Tobaly)

Samuel ben Yéhouda Bensadoun

Morde’haï Marcel ben Yakot Elmechali

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Parachat Ki Tissa

17, 18 mars 2006 – 17, 18 adar 5766

Un regard destructeur

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Porter un regard malveillant sur les autres ( ayin hara ) a des conséquences sur son prochain mais aussi sur soi-même. Le Talmud va nous permettre de comprendre que cette notion est loin d’être une superstition…

«Rabbi Jéochoua disait: ‘Le mauvais œil, le mauvais penchant et la haine des créatures expulsent l’homme du monde’».

(Chapitre 2, Michna 11)

Nous commencerons notre étude sur cette Michna par l’interprétation de Maïmonide

D’après lui, le mauvais œil dont parle Rabbi Yeochoua, c’est la volonté permanente d’augmenter ses biens, et le fait de n’être jamais satisfait de son avoir.

On remarquera que cette explication correspond à son interprétation du concept de mauvais œil (ayin raa) que nous avons découverte dans la Michna 9, dans laquelle Rabbi Yeochoua expliquait que le mauvais œil est le mauvais chemin dont l’homme doit s’écarter.

Maïmonide poursuit:

«Le mauvais penchant (yetser hara), c’est la volonté incontrôlée de jouir des plaisirs matériels; la haine des créatures, elle, découle d’un état dépressif où l’on ne peut plus supporter le contact avec les autres, et la vie en société en général, avec pour conséquence de s’isoler dans des endroits déserts.

Ces comportements sont néfastes pour l’homme et vont sans aucun doute écourter ses jours. C’est ce que Rabbi Yeochoua exprime en disant: ‘ils le font sortir de ce monde’. (ibid.)

Le Rachbats (Rabbi Chimon ben Tsema’h – XVème siècle), qui cite Maïmonide ajoute:

«La course vers les acquisitions matérielles pousse l’homme à prendre des risques et même à se mettre en danger personnellement.

(…) La jouissance incontrôlée dans les domaines des plaisirs de la table ou des plaisirs charnels va user son corps et amener toutes sortes de maladies qui écourtent les jours.

L’état dépressif est une maladie, qui s’appelle la mélancolie. L’un des symptômes de cette maladie est de fuir la compagnie des hommes, jusqu’à les détester. On pourra en arriver à se réfugier dans un désert ou dans la forêt où l’on risque d’être dévoré par les bêtes sauvages.»

Dépression et regard malveillant

Le Rachbats fait ensuite deux remarques sur l’interprétation de Maïmonide.

  • Dans le texte de notre Michna, on trouve ayin hara, le terme au masculin, alors que dans la Michna 9, on trouvait ayin raa, au féminin.

Or, dans le Talmud, la forme au masculin exprime un concept tout à fait différent que celui de la cupidité et de la poursuite des plaisirs matériels: au masculin, ayin hara est employé dans le sens de mauvais œil qui peut porter préjudice aux autres.

[Dans certains manuscrits du commentaire de Maïmonide, le texte de la Michna indique ayin raa, au féminin, ce qui signifierait que Maïmonide possédait des textes de la Michna avec cette version. Cela répond à la question du Rachbats, Ndlr.]

  • La dépression est a priori une maladie qui atteint l’homme sans qu’il ait de moyen de l’éviter. Il n’est donc pas coupable. Comment donc mettre en parallèle une maladie d’une part et de l’autre le mauvais œil et le mauvais penchant, qui sont des habitudes comportementales dont l’homme peut parvenir à se défaire par un travail personnel.

[Il est intéressant de remarquer que dans notre version du commentaire de Maïmonide, ce dernier précise qu’avoir un regard dénigrant sur les autres est également une maladie psychique causée par le mauvais caractère et la jalousie. Cela répond donc à la question du Rachbats, Ndlr.]

On notera que la majorité des commentateurs ne suivent pas Maïmonide dans son interprétation du terme ayin hara: ils l’expliquent comme un regard malveillant qui peut porter préjudice. Pour mieux comprendre le concept de mauvais œil, nous allons d’abord citer différents textes du Talmud.

En effet, cette notion est souvent mal comprise et débouche sur des conceptions superstitieuses.

Un premier texte du Talmud se trouve dans Baba Metsia (30a):

«Celui qui a trouvé un vêtement, en attendant de le rendre, peut l’aérer à l’intérieur de sa maison s’il estime qu’il sera mieux conservé de cette façon, et uniquement dans ce but.

Mais s’il y trouve un intérêt personnel, il ne lui est pas permis de le faire.

S’il reçoit des invités, il ne doit pas le sortir, car il prend le risque de le ‘brûler’.»

Rachi commente: «Le terme ‘brûler’ utilisé ici signifie que ce vêtement risque d’être détruit ou volé par l’un d’entre eux..»

Des étincelles dans le regard

Un deuxième texte se trouve dans le traité Baba Batra (2b):

«Il est interdit de contempler le champ de son voisin lorsque la récolte est à point»

Rachi commente: «Car on peut lui causer préjudice par le mauvais œil.»

Un troisième texte se trouve à nouveau dans Baba Metsia (107b):

«Lorsque Rav passait dans un cimetière, il pouvait, en disant une formule particulière (la’hach) devant une tombe, discerner si le défunt était mort en son temps ou s’il était mort à cause du mauvais œil.

Il déclara: 99% des gens meurent à cause du mauvais œil, et seulement 1% de façon naturelle.»

Nous avons maintenant énuméré les textes où le mauvais œil est mentionné dans le Talmud. Il en est également question dans la loi (halakha): en effet, il est interdit de faire monter à la Thora deux frères ou un père et son fils consécutivement, et cela pour ne pas susciter le mauvais œil. Il faudra qu’une personne étrangère à la famille soit intercalée entre deux membres d’une même famille (Choul’han arou’h –Ora’h ‘Haïm 141; 6)

Rabbénou Yona nous offre une première approche: «Le mauvais œil est l’apanage de celui qui n’est jamais satisfait de son sort. Il porte son regard sur celui qui est plus riche que lui en se disant: ‘Quand donc arrivera le moment où je serai riche comme lui?’

En pensant ainsi, il cause du tort à son prochain et à lui-même. Cela correspond à ce que les sages profanes (‘ho’hmé hatéva) ont enseigné:

«L’air (il s’agit peut-être d’une vibration ou d’une radiation Ndlr.) qui émane d’une pensée causée par la jalousie, va brûler et détruire les éléments sur lesquels le mauvais œil s’est posé.

Celui qui est à l’origine de ce regard négatif sera également atteint et brûlé, car ces pensées jalouses sont néfastes à son organisme et le feront littéralement quitter ce monde» (Rabbénou Yona ibid.).

Le Rachbats ajoute: «Des ‘étincelles’ peuvent émaner d’un regard malveillant et causer un dommage. Ne sois pas étonné qu’un tel phénomène existe.

Les philosophes, Aristote notamment (cité par Nahmanide), ont décrit ces phénomènes identiques, comme celui d’une femme au début de ses règles qui porte son regard sur un verre en cristal limpide: on pourra y déceler des traces de sang.

Certaines personnes d’une grande sensibilité peuvent s’évanouir sous l’effet d’un regard malveillant. C’est la raison pour laquelle Rabbi Yeochoua dit que celui qui porte le mauvais œil sur son prochain quittera ce monde rapidement.

Car, de la même manière que cette haleine fétide, qui émane des yeux malveillants, détruit celui qui est regardé et ses biens, elle se retourne contre son auteur, détruisant le jaloux.

La jalousie brûlera et détruira ses os, comme l’exprime le verset des Proverbes:

«La jalousie est la carie des os» (14-30)

Nos maîtres nous enseignent: «L’homme doit tout mettre en œuvre pour porter le même regard sur la famille de son prochain que sur la sienne.

Car celui qui porte un regard malveillant sur les biens de l’autre finit par perdre ses propres biens, et même par anéantir sa propre personne (…)» (Rachbats ibid.)

On le voit, le concept de mauvais œil n’est pas une simple superstition, et on ne peut ignorer ce phénomène.

Comment l’expliquer? Comment s’en protéger? Des questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses dans le Dvar Thora de la semaine prochaine.

Chabat Chalom


Commentaires sur la Parachat Ki Tissa

Une arme redoutable

Par le Rav Eliahou Elkaïm

La Thora nous livre les secrets pour lutter, à armes égales, contre nos mauvais instincts, qui profitent des situations difficiles pour nous faire chuter.

La faute du veau d’or, qui eut lieu peu après la révélation au mont Sinaï, et qui aura de lourdes conséquences pour tout le peuple juif jusqu’à la fin des temps, est décrite dans la paracha de cette semaine.

Une lecture superficielle des textes pourrait nous amener à mal comprendre nos ancêtres et à mal les juger.

Comment ceux-là même qui, après avoir chanté devant la mer ouverte des louanges à D.ieu qui les avait sortis d’Egypte, ceux-là mêmes qui avaient déclaré le célèbre « Naassé venichma » (« nous ferons puis nous comprendrons », emblème de la soumission totale au Créateur), comment ont-ils pu, si peu de temps après, se rebeller et faire volte face si outrageusement ?

Les enseignements de nos Sages vont nous aider à mieux cerner l’épreuve de nos ancêtres et à comprendre leurs véritables intentions.

Nahmanide, qui suit à quelques nuances près l’opinion de Rabbi Avraham Ibn Ezra, affirme d’emblée qu’il est inconcevable que le peuple juif ait voulu substituer un objet physique, auquel ils auraient attribué leur libération, à D.ieu.

En effet, ils avaient certainement encore à l’esprit les mots du décalogue : « Je suis l’Eternel ton D.ieu, qui t’ai fait sortir d’Egypte, d’une maison d’esclave » (Exode 20 ; 2).

En fait, c’est à un tout autre niveau que se situaient leurs préoccupations quand ils dirent à Aaron : « Allons, fabrique-nous des dieux qui marcheront devant nous, car voici Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Egypte, nous ne savons ce qu’il est devenu » (Exode 32 ; 1).

Le terme Elokim (dieux) ne doit pas être compris dans le sens d’une divinité proprement dite.

Les Juifs à ce moment précis de l’histoire, réclamaient plutôt un intermédiaire à travers lequel serait transmis le message divin.

La formulation employée par les Juifs quand ils mettent en regard et en parallèle Moïse et les dieux réclamés, ne laisse aucune ambiguïté à ce sujet.

En effet, le peuple juif n’a jamais considéré Moïse comme un dieu mais comme le simple porte-parole du message divin. Et c’est bien, dans leur esprit, et dans leurs paroles, Moïse qui doit être remplacé.

Des intentions pures

Pourquoi avoir choisi un bœuf comme image symbolique ?

Au moment de la révélation sinaïtique, le peuple juif a perçu les secrets de la divinité, et il a vu l’image d’un bœuf, l’un des quatre symboles qui figurent sur le char céleste (cf. Ezéchiel 1 ; 10).

A travers la même représentation matérielle, ils ont cru pouvoir recevoir le message divin (Na’hmanide Exode 32 ; 1).

Deux textes de nos maîtres dans le Midrach montrent sans équivoque que les intentions du peuple d’Israël, ne voyant pas Moïse revenir, n’avaient aucun rapport avec l’idolâtrie.

Le premier Midrach s’exprime ainsi : « Rabbi Lévy dit : ‘Pendant qu’Israël était en train de forger le veau d’or ici-bas, comme il est écrit : ‘Il le prit de leurs mains, et il le forgea dans un moule’ (Exode 32 ; 4), D.ieu était en train de forger, au ciel, les tables de la loi pour leur transmettre les commandements de vie, comme il est écrit :

Et il donna à Moïse, lorsqu’Il eut achevé de parler avec lui sur le mont Sinaï, les deux tables de témoignages’ (Exode 31 ; 18) » (Midrach Tanh'ouma chapitre 14).

D.ieu a donc continué de forger les tables de la loi pendant la fabrication du veau d’or !

Cela est absolument inconcevable si l’on considère la faute du veau d’or comme étant celle de la véritable idolâtrie.

Un deuxième Midrach montre que Moïse avait lui aussi perçu les intentions véritables du peuple : « Moïse implora l’Eternel son D.ieu » (Exode 32 ; 11).

Rabbi Néhémie dit : ‘Lorsque Israël commis cet acte, Moïse implora D.ieu et telles furent ses paroles : ‘Maître de ce monde, ils t’ont créé une aide et tu es en colère contre eux. Ce veau qu'ils ont forgé va t'aider : Tu fais briller le soleil et lui fera briller la lune’(…) » (Midrach Chemot Rabba 43 ; 6)

En fait, c’est seulement le lendemain que la terrible faute va être commise par ceux qui vont se prosterner devant ce veau. Les mots de D.ieu s’adressant à Moïse sont sans ambiguïté.

« Ils se sont fait un veau en métal ; ils se sont courbés devant lui, ils ont fait des sacrifices pour lui, et ils lui ont dit : ‘Voilà tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter du pays d’Egypte » (Exode 32 ; 8).

Seulement une infime partie du peuple, ainsi que le erev rav (personnes non juives qui ont suivi le peuple d’Israël au moment de la sortie d’Egypte) va sombrer dans l’idolâtrie.

Mais malgré leurs bonnes intentions, il y eut une faute de la part de toute la communauté d’Israël : cette faute consista dans le fait de vouloir créer un intermédiaire sans en avoir reçu l’ordre formel de D.ieu.

Pas à pas

Cela a également entraîné qu’ils n’évaluent pas à sa juste mesure le danger que cela représentait pour ceux qui étaient moins solides dans leur foi et dans leur compréhension de D.ieu, et qui pouvaient, à cause du veau d’or, tomber dans la véritable idolâtrie.

Une petite minorité va en effet sombrer dans cette erreur (cf. Ibn Ezra ibid.) mais la faute sera malgré tout attribuée au peuple dans son ensemble, exceptée la tribu de Lévy qui n’a pas participé à cette initiative.

Pourtant, une règle transmise par nos maîtres semble contredire le déroulement de cet épisode du veau d’or.

Cette règle est exprimée dans le Talmud : « Telle est la méthode du mauvais penchant (yetser hara) : aujourd’hui, il invite à faire un premier pas vers la faute. Une fois ce pas franchi, il demande le lendemain d’en franchir un deuxième. Etape après étape, il peut parvenir à faire adorer des idoles » (Chabat 105b)

On ne peut concevoir que d’un moment à l’autre, un juste puisse succomber à toutes les tentations.

Dans le cas du veau d’or, comment comprendre qu’en un seul jour, toutes les barrières aient été franchies pour déboucher sur un véritable culte d’une sculpture de métal ?

La veille, le peuple d’Israël était encore sous l’impression extraordinaire de la révélation au Sinaï.

C’est d’ailleurs ce que fait remarquer D.ieu à Moïse : « Ils se sont promptement écartés de la voie que je leur avais prescrite » (Exode 32 ; 8).

Comment comprendre un changement si rapide ?

Il nous faut d’abord retracer le déroulement des événements. Et Rabbi Haïm Chmoulevitz (Si’hot Moussar volume 1 page 41) nous fait découvrir le secret de cette chute vertigineuse.

La sixième heure

« Le peuple vit que Moïse tardait à descendre de la montagne, et il s’attroupa autour d’Aaron, lui disant:

‘Allons ! Fabrique-nous des dieux qui marcheront devant nous, car voici Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Egypte, nous ne savons ce qu’il est devenu’ » (Exode 32 ; 1)

Nos maîtres expliquent que le terme bachech, traduit par ‘tardait’, est composé de deux mots : BA et chech, littéralement : est arrivé la sixième (heure).

Juste avant de partir au sommet de la montagne, près des cieux pour recevoir les tables de la loi de D.ieu Lui-même, Moïse a dit au peuple qu’il reviendrait après quarante jours, dans les six premières heures de la journée.

Le calcul des quarante jours a été mal compris par le peuple juif.

Le quarantième jour, le Satan vint et déclencha un tumulte dans toute la création : l’obscurité, des nuages noirs et épais, et un brouillard dense enveloppèrent le peuple juif.

Le Satan s’adressa à eux : « Où est votre maître Moïse ? »

Ils répondirent : « Il est monté aux cieux »

Mais la sixième heure est déjà écoulée, répliqua le Satan, qui devant le silence des Juifs, leur montra l’image du lit mortuaire de Moïse.

C’est la raison pour laquelle le peuple s’exprima ainsi « Car voici Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Egypte… » (Talmud Chabat 89a)

C’est dans ce déroulement si particulier des événements, explique Rabbi ‘Haïm Chmoulevitz, que se trouve l’explication de cette chute vertigineuse.

Dans une situation normale, le yetser hara ne peut agir que par étapes.

Mais ici, il a créé une situation totalement bouleversante pour le peuple juif.

Le Satan a montré aux Juifs qu’ils étaient désormais seuls, privés de celui qui avait été leur guide physiquement et moralement.

Le monde est plongé dans les ténèbres.

Ce peuple isolé de tous, comptant près de trois millions de personnes dont femmes et enfants, devra à présent affronter seul le désert aride et ses dangers.

C’est dans ce contexte, où la peur et l’effroi devant un avenir incertain s’installent dans le cœur de chacun, que le Satan a les mains libres pour faire chuter les Juifs du haut de la révélation sinaïtique aux abysses de la faute du veau d’or.

Une phrase du Talmud illustre cette idée : méigra rama lébira amikta : d’une haute terrasse aux tréfonds d’un puits.

L’arme la plus redoutable du Satan est de créer une situation où l’homme est totalement désemparé : privé de ses repères, il est à la merci de toutes les tentations.

Actualité brûlante

Nous retrouvons la même idée dans la Méguila de Ruth.

Orpa et Ruth (qui avaient épousé deux frères, morts tous les deux) suivirent leur belle-mère Noémie.

Noémie, ne voulant pas les emmener dans son pénible chemin d’exil, leur dit :

« Rebroussez chemin et que chacun rentre dans la maison de sa mère. Puisse le Seigneur vous rendre l’affection que vous avez témoigné aux défunts et à moi-même.

"(…) Elle les embrassa, mais elles élevèrent la voix en sanglotant, et lui dirent :

« Non, avec toi nous voulons nous rendre auprès de ton peuple. (…) Puis Orpa embrassa sa belle-mère tandis que Ruth s’attachait à ses pas » (Ruth 1 ; 8-15).

Devant le renvoi de Noémie, Orpa se résigna mais Ruth ne céda pas.

Par la suite, Ruth va parvenir au summum de l’élévation morale, devenant l’ancêtre de David haméle’h, et donc du Messie.

Mais qu’est devenue Orpa ?

Le Midrach raconte : « La nuit qui suivit sa séparation de Noémie, Orpa est tombée dans la débauche la plus totale. Rabbi Tan’houma ajoute qu’elle s’est même unie avec un chien » (Ruth Rabba 2 ; 20).

Le Talmud ajoute que le mot Orpa fait allusion à son comportement déshonorant (Sota 42b).

Comment comprendre qu’après avoir sangloté et supplié Noémie pour qu’elle accepte qu’elle se joigne à elle dans le but de se lier au peuple juif, Orpa ait pu tomber si bas, et si vite ?

Après avoir quitté Noémie, n’ayant pas eu la force de caractère de lutter envers et contre tout pour être liée au peuple juif, Orpa s’est sentie désemparée, vidée de toute valeur.

Devant une telle situation, le yetzer hara a les mains libres pour agir à sa guise et faire tomber une personne au plus bas.

Rachi nous révèle encore un secret supplémentaire.

« Le peuple s’assit pour manger et pour boire, puis ils se levèrent pour se divertir » (Exode 32 ; 6).

Sur ce verset, Rachi commente : « Le terme letsa’heq signifie aussi la débauche. Il est utilisé dans ce sens dans la Genèse (39 ; 17) pour l’épisode de la femme de Putiphar.

Il signifie aussi le meurtre, comme dans Samuel II (14).

En effet, au moment de la faute du veau d’or, ‘Hour, qui tenta de les empêcher de fauter, fut assassiné » (Rachi ibid.).

Rabbi E.M. Bloch, l’auteur du Peniné Daat, explique que le divertissement dont nous parle la Thora dans ce verset, était effectivement l’origine des événements.

Une discussion théologique, même si elle peut amener à des erreurs, ne devient dangereuse seulement quand l’ambiance tourne à la dérision puis à la légèreté.

La porte est ouverte alors aux pires excès et toutes les barrières peuvent être franchies.

Cet enseignement de la Thora est d’une actualité brûlante.

On peut être confronté à des situations difficiles et conflictuelles, où l’on se trouve désemparé et dérouté, même dans le domaine familial ou professionnel.

Celui qui sait que le yetzer hara utilise particulièrement ce moment pour le perdre, évitera toute décision et toute action déterminante, avant de retrouver son équilibre et sa sérénité.

Dans le cas contraire, on peut déboucher sur une chute morale vertigineuse, inconcevable dans des conditions normales.

Méigra rama lébira amikta : d’une haute terrasse aux tréfonds d’un puits.

L’enseignement de nos maîtres nous permet de lutter, à armes égales, avec nos mauvais instincts…


Commentaires sur la Parachat Ki Tissa

La communauté de feu

Par le Rav Moshé TAPIERO

La communauté des hommes est-elle un leurre ? Les contemporains du désastre des sociétés, de l’effondrement des ultimes tentatives du moderne pour fonder la cité des hommes sont-ils encore en droit d’espérer la cohésion des hommes entre eux ?

L'antinomie du social

L'antinomie de l’être ensemble c’est qu’il ne doit pas être coexistence indifférente des personnes mais intrigue des singularités.

Poser l’unicité du sujet irréductible à un numéro de série n’est-ce pas contester la possibilité d’une réelle unité ! C’est déjà récuser toute forme d’unification politique qui ne parvient au mieux qu’à une gestion des corps. Si l’on s’en tient à la Justice pour gérer l’interpersonnel, on n’obtient guère plus que le cantonnement de chacun dans son lieu propre. Autrui est respecté, mais jamais rencontré.

L’amour de l’autre saura-t-il plus que la loi unir les hommes ? Substituer l’éthique à la Justice, désigner le fondement de toute relation dans la responsabilité et non dans le droit, procure peut-être des instruments pour dire le cœur du social, mais implique aussi l’effondrement de la réciprocité des individus qui seule pourtant permet un espace public.

La scène biblique

Deux scènes décrivent la constitution du tous dans l’espace biblique : La configuration du Tous est indéniablement celle des Hébreux au pied du Sinaï. Mais la singulière méthode du dénombrement d’Israël décrite dans notre Paracha lui apporte un éclairage décisif.

Moshé est ordonné de recenser le peuple, mais sans les compter directement (Shemot30, 12 selon Ramban).

Chacun devra donner la moitié d’une pièce, le Shekel, et la somme obtenue indiquera le nombre cherché. Dénombrement salutaire qui permettra le rachat du Nefesh (s’indique ainsi l’essence du sujet). Moshé ne sait comment réaliser cet ordre, il demande à connaître la nature de la pièce. D.ieu sortit alors de sous le siège de Gloire – là où résident les Nefesh – une pièce en feu d’un poids équivalent à un demi Shekel pour lui indiquer que c’est ce type de pièce qu’il faudra donner (D’après Midrash cité in Rachi, Shemot 30, 13).

Quelques interrogations ?

- D’où procède l’indécision de Moshé face au dénombrement d’Israël ? Le Créateur n’a-t-il pas recenser les Hébreux à deux reprises pour indiquer Son affection et l’importance de l’homme créé à Son image (d’après le premier Rachi de Shemot) ?

- Pourquoi effectuer un recensement indirect et précisément par le biais de l’argent ? La position des individus dans l’espace public serait-elle fonction de leur pouvoir ? Pourquoi parmi toutes préférer cette pièce ?

- Choisir une demi-pièce pour représenter le sujet n’est-ce pas insister plus sur sa finitude que sur sa hauteur. Le dénombrement serait-il dénigrement de l’humain?

- Que signifie enfin cette référence au feu comme fondement de l’universalité ?

Le scandale du dénombrement

Recenser les hommes n’est pas un acte banal. L’humain ne devient-il pas de la sorte une seule unité comptable, un simple numéro de série ! La singularité du sujet succombe à l’indistinction du nombre. Le chiffre est purement formel et structurel sans égard aucun pour l’essence de la chose visée. Compter n’est-ce pas en finir avec toute substance, se réfugier dans un structuralisme éthéré, symbole du rien !

Moshé prend peur, il demande à connaître la nature de la pièce, le sens de ce dénombrement. Son émoi est compréhensible. D’ordre général le dénombrement est d’ailleurs proscrit par la Torah qui prévient de ses conséquences désastreuses dont les contemporains de David feront la douloureuse expérience.

Pourquoi surtout procéder en utilisant l’argent qui est l’artisan de l’anonymat? Indexer un objet à un prix, c’est lui permettre d’accéder au circuit économique où l’œuvre s’expose à tous, mais où en se donnant elle trahit son auteur.

Comment aussi ne pas être étourdi par un impératif qui confère à cette pièce, le pouvoir de racheter le Nefesh, comme si celle-ci avait un prix, comme si le sujet avait des équivalents, participait d’une vaste généralisation.

Ruine de l’altérité humaine, fin de la subjectivité.

De l’individu au sujet

L’aporie du social est une nécessité tragique pour qui entend encore l’humain comme individu. Si la persévérance dans l’être est tache première, attestée par toute la force des sentiments, comment espérer une quelconque communauté des hommes !

L’homme en quête de satisfaction est nécessairement solitaire selon le mot des Proverbes.

Mais le don de la Torah est véritablement mort de l’individu qui l’accepte. Parole de feu elle consume celui qui se fait lieu de son passage.

La Torah serait-elle messager de la mort s’indignent les anges après la mort d’Israël à l’écoute de la première des Dix Paroles !

Ils oublient que le feu ne détruit pas, il transforme tout en feu. Le sujet naît de l’effondrement de l’individu.

La parole est adresse en propre de l’Unique à ce qui se révélera comme sujet unique. La singularité du moi, absolu dans son unicité, se constitue dans l’adresse de l’Absolu.

C’est sous le schéma de la fraternité que la Torah articule une universalisation à partir des singularités absolues. Frères fils d’un même père, c’est à dire créatures. La filialité propre au sujet le définit à partir d’un Amont fondateur, situe son origine dans la frappe de l’Absolu.

L’intrigue des singularités est rendue possible par l’enracinement du sujet dans une hauteur commune. Distincts dans leur présence comme individus les hommes remontent tous à un même passé immémorial, sont tous engendrés par la semence de l’Unique.

Le dénombrement se dit dans le verset comme une « levée de la tête ». Il faut remonter à la hauteur de l’Amont pour retrouver l’unicité des multiples subjectivités. Sa présence à soi ne dit pas tout le sujet. Ultime vérité qu’exprime le don d’une seule demi-pièce comme si l’autre partie échappait à toute saisie.

Position inouïe de l’homme. Il s’évertue au plus bas, dans une totale proximité à la matière mais ses actes retentissent au plus haut.

La pièce choisie a pour nom la pesée (Shekel). Elle désigne non pas une quelconque valeur mais le valoir originel. Valoir qui indique la pesée du créateur sur le sujet même si ce n’est pas sur le mode de la cause à effet.

L’intrigue des singularités

Condamné à la liberté, privé de référence à l’Absolu le moderne ne constitue le tous qu’en coupant les têtes.

Triste application du principe inaltérable évoqué par la demi-pièce.

Faute de les unifier par le valoir absolu, le politique réunit les individus dans une commune dévalorisation des valeurs.

La monnaie comme mode de dénombrement signifie le nécessaire renvoi au valoir. Pièce de feu ou universalité de rayonnement. Le feu qui embrase le sujet se propage et se communique à tous. Chaque subjectivité est ainsi intensifiée, redoublée et engendrée par la flamme de toutes les autres.

Vérité de l’être ensemble qui n’est pas coexistence pacifique mais interaction constante. Chacun de son lieu propre, dans l’exercice de sa subjectivation, crée des effets de vérité qui retentissent sur tous les autres. Chaque exister particulier s’engrosse de tous les autres.

En ce sens chac-un est tout Israël. Le recensement échappe au formalisme de l’arithmétique séculaire. Tous les uniques doivent être comptés parce qu’irremplaçables, parce que chacun contient le tous.

L’unicité du moi

Sinaï est révélation dans la brûlure de la parole de feu de l’unicité du sujet. Unique et par là strictement nécessaire. Point de Révélation s’il manque un seul des 600 000 hébreux (Tanh’ouma Devarim).

Tout se joue le premier Sivan à l’arrivée d’Israël au pied de Sinaï. La Torah sera donnée le 6 et pourtant Rachi parle déjà des enseignements reçus (Shemot 19,2) !

L’être-ensemble est d’emblée atteint par ceux qui dans la droiture de leur acceptation de Paroles encore inconnues, se révèlent comme sujets : « Nous ferons et nous entendrons ». Israël campe alors « comme un seul homme, un seul cœur » ( id.).

Unité des uniques comme condition de l’universalité inhérente à la vérité. Chacun assure, dit-on communément, la révélation d’un aspect unique de la vérité, profil que son absence condamnerait à l’inexistence.

Prévenons d’une fâcheuse erreur : le tout semble s’obtenir par la sommation des sens que chacun révèle et qui dans leur association dévoilent ensemble la vérité. Universalité formelle, de pur comptage qu’un œil extérieur réaliserait en additionnant les différents éléments.

Totalité qui est déjà trahison de l’unicité des positions incomparables. Le « Nous » authentique qu’Israël prononce spontanément en se révélant comme sujet c’est un mode d’exister où chacun s’évertue dans l’horizon du tous.

A-t-on saisi l’impact de la communauté de feu ? Chacun est tout Israël pour autant qu’il ne manque aucun des sujets !

La déficience d’un membre ne prive pas l’ensemble d’un profil singulier de la vérité, elle invalide au regard de l’absolu vérité l’œuvre de chacun. L’amour du prochain est signifié par la Torah comme amour de soi.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Lucidité d’une Parole qui ne prêche pas un narcissisme puéril mais révèle que la communauté ne saurait se fonder que sur la prise en charge par chacun de sa propre subjectivité !