Chabbath Parachat Tsav, Chabbat Hagadol

7, 8 avril 2006 – 9, 10 Nissan 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies 18 h 2720 h 11 20 h 04
Sortie de Chabbath 19 h 40 21 h 1721 h 18

Œuvre de Madame Brigitte TEMAN

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth) consacré au mariage de

Patrice RAAB & Laurence BOTBOL

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse et nous espérons vous le faire parvenir dans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet auquel nous joignons deux commentaires sur la Paracha de la semaine.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui porte le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Parachat Tsav, Chabbat Hagadol

7, 8 avril 2006 – 9, 10 Nissan 5766

Un regard destructeur

(Quatrième et dernière partie)

Par Rav Eliahou Elkaïm

Porter un regard malveillant sur les autres ( ayin hara ) a des conséquences sur son prochain mais aussi sur soi-même. Le Talmud va nous permettre de comprendre que cette notion est loin d’être une superstition, et nous indiquer les moyens de s’en protéger.

«Rabbi Jéochoua disait: ‘Le mauvais œil, le mauvais penchant et la haine des créatures expulsent l’homme du monde’».

(Chapitre 2, Michna 11)

Dans nos derniers Dvar Thora, nous avons observé l’analogie, mise en évidence par Rav Dessler, qui existe entre la loi des faux témoins (interprétée par le Maharal) et le concept du regard destructeur.

Dans les deux cas, c’est une volonté intérieure de nuire qui peut causer préjudice, ou se retourner contre son initiateur.

Mais comment expliquer qu’un regard négatif pourra porter ses fruits venimeux sur une personne et pas sur une autre?

On peut l’expliquer par deux facteurs:

  • Soit la volonté de nuire est contrecarrée par la volonté de survie de la victime potentielle
  • Soit la victime est protégée par des mérites particuliers

Certaines techniques (ségouloth, dont il faut évidemment s’assurer qu’elles viennent de nos maîtres en Thora), peuvent parfois être efficaces.

Nous citerons également le Hazon Ich qui expliquait que le fait même de se trouver dans la ligne de mire de regards malveillants peut changer la nature du jugement divin.

Et c’est ce qui arrive à celui qui se trouve dans une situation dangereuse: c’est un moment où il sera jugé avec plus de rigueur.

Exciter l’envie

En effet, la balance qui évalue les mérites et les fautes risques de basculer en défaveur de l’intéressé: le Satan se présente en accusateur et exige que l’on vérifie sous tous les aspects si cette personne mérite d’être épargnée.

En situation normale, le jugement aurait été beaucoup moins rigoureux.

Le Rav Dessler ajoute une note supplémentaire:

Evidemment, celui qui est jaloux et qui convoite les biens d’autrui agit à l’encontre de l’esprit de la Thora:

«Ne convoite pas la maison de ton prochain. Ne convoite pas la femme de ton prochain, son esclave ni sa servante, son bœuf ni son âne, ni rien de ce qui est à lui» (Exode 20-14, 10 ème commandement)

Mais lorsqu’un homme est l’objet de la jalousie, il n’est jamais tout à fait innocent: il a sans doute manqué de discrétion et a fait trop de publicité autour de sa réussite familiale, professionnelle ou financière et par là, même sans le vouloir, il a excité l’envie de ceux qui l’entoure.

En cela, il peut être considéré comme ‘gramma’: concept qui est surtout utilisé dans les cas de préjudices matériels, et qui signifie avoir causé de façon indirecte un dommage.

Dans le cas qui nous concerne, celui d’un regard malveillant, un homme qui a trop ostensiblement exposé sa réussite peut donc être considéré comme ayant entraîné par gramma un préjudice spirituel, à savoir une déviance morale à autrui: il a mis à l’épreuve les vertus (midot) de son prochain.

Dans l’établissement du jugement divin, un gramma est également pris en compte comme une faute. Par cela, celui qui l’a entraîné risque de perdre l’aide qui aurait pu le protéger de l’effet du regard malveillant de l’autre.

Il s’est donc lui-même mis en danger et risque à présent de perdre sa réussite qui aurait dû lui être pourtant acquise.

Plus encore, par cette attitude, il va à l’encontre du but de sa création.

Tout ce qui est donné à l’homme en ce monde, que ce soit dans le domaine matériel ou spirituel, est un outil pour accroître la gloire divine.

Utiliser ces bienfaits, ces outils, comme catalyseurs d’un préjudice spirituel chez autrui entraîne à l’inverse une diminution de cette gloire divine. C’est agir à l’encontre même du but de D.ieu lorsqu’il a accordé Sa générosité.

Cela est vrai pour toutes les fautes, mais c’est encore plus grave quand cela entraîne une baisse morale chez autrui et pas seulement chez celui qui faute.

n‘bli ayin hara

Prenons comme exemple celui d’une femme riche, qui se pare de ses plus beaux bijoux pour se rendre à une fête chez des hôtes modestes: elle sait parfaitement qu’elle va éveiller des regards pleins de jalousie et c’est peut-être même dans ce but qu’elle agit ainsi.

D.ieu lui a accordé la richesse, et en l’occurrence ses bijoux, comme outils pour accomplir la mission qui justifie sa création. Et elle décide de les utiliser comme «étincelles» pour allumer les mauvais traits de caractère des autres: la jalousie et l’envie.

Par cet acte, elle peut même sceller son sort: ces outils qui lui avaient été accordés peuvent lui être repris, car ils sont utilisés à mauvais escient. Et c’est par le biais d’un regard malveillant qu’elle va finalement tout perdre.

Se protéger du mauvais œil ne consiste donc pas seulement à utiliser des ségouloth et à répéter l’expression ‘bli ayin hara’ (‘que cela n’éveille pas le mauvais œil, D.ieu nous en préserve).

Il faut surtout intérioriser le sens de cet enseignement, et agir en conséquence: avec pudeur et discrétion.

Mais l’excès inverse est également un danger: il ne faut pas cacher et camoufler ses réussite, au point de ne pas en faire profiter les autres. Car là encore, ce serait mal utiliser les outils offerts par le Créateur.

En utilisant toutes nos réussites comme outils pour multiplier le Bien autour de nous, tout en évitant le piège d’une publicité ostentatoire, on pourra espérer que D.ieu nous mette à l’abri des dangers des mauvais regards.

C’est le sens de la bénédiction qu’a reçu Joseph de Jacob son père:

«C’est un rameau fertile que Joseph, un rameau fertile au bord d’une rivière (ben porat Yossef, ben porat alei ayin)» (Genèse 49-22)

Le Talmud interprète ce verset de la façon suivante:

«Rabbi Abahou dit: ‘Il ne faut pas lire ‘alei ayin’ mais ‘olei ayin’.

Sur olel ayin, Rachi commente: «Qui sont protégés de l’œil malveillant, qui n’aura pas d’emprise sur eux.»

Rabbi Yossi berabi ‘Hanina déduit cet enseignement d’un autre verset:

«Puissent Ephraïm et Ménaché multiplier à l’infini (veydeguou larov) au milieu de la contrée» (Genèse 48-16)

Le terme en hébreu est veydeguou: qu’ils se multiplient comme des poissons.

Cette comparaison vient nous enseigner le sens de cette bénédiction: tout comme les poissons qui sont couverts par les eaux et sont ainsi protégés de l’œil malveillant, ainsi en sera-t-il de la descendance de Joseph.

Tous les bonheurs

Un autre commentaire ajoute: «L’œil qui a refusé de jouir de ce qui ne lui appartenait pas (, la femme de son maître Putiphar, Rachi ibid.) ne subira pas les mauvais effets de l’œil malveillant» (Talmud Bera’hot 20a)

On le sait, Joseph refusa de répondre aux avances de, la femme de son maître Putiphar, et préféra risquer sa vie en la fuyant, plutôt que de céder à la tentation.

Rav Dessler découvre dans ce texte le secret de la protection contre le mauvais œil.

Joseph n’avait qu’une volonté: celle de donner. On a pu l’observer dans son attitude vis-à-vis du peuple égyptien et de sa famille, ainsi que tout au long de sa vie.

Cette attitude protège de toute jalousie. On est jaloux de celui qui est égoïste, mais pas de celui qui ne pense pas à lui-même.

On comprend mieux ainsi le parallèle fait entre le mauvais œil et le fait que Joseph ait refusé de profiter de ce qui ne lui appartenait pas. Lui qui n’avait aucune jalousie ni aucune convoitise envers les biens et les réussites des autres, ne provoquait pas cette même jalousie.

En outre, il était réservé et comme les poissons, vivait dans un milieu discret, où il ne faisait concurrence à personne.

C’est ce qui lui a permis de jouir de cette protection divine contre le regard malveillant et de connaître, lui et sa descendance, tous les bonheurs que l’on sait.

(Mi’htav Meeliahou vol.4 p.6)

Chabbath Chalom


Commentaires sur la Parachat Tsav (Chabbat Hagadol)

Comment Lui ressembler ?

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Le processus de libération du peuple juif du joug égyptien a débuté en Nissan, précisément le chabbat qui correspond à notre paracha, il y a exactement 3314 ans. Et si nous tirions les leçons pour trouver une solution à notre propre situation ?

D’après nos maîtres, le processus de la délivrance du Peuple d’Israël a commencé le dix Nissan, le chabbat qui a précédé la sortie d’Egypte (cf. Michna Broura 430-2). C’est à cette date que le peuple d’Israël devait accomplir l’ordre divin d’acheter l’agneau pascal.

Et chaque famille devait en vérifier la qualité pendant les quatre jours suivants. Le retentissement qu’a connu cet achat collectif, notamment par le fait que les agneaux avaient été attaché au pied du lit des Juifs, fut grand et aurait dû susciter une réaction violente de la part des Egyptiens, qui attribuaient à cet animal un caractère divin.

Mais au contraire, il n’en fut rien, ce qui relève du miracle. Miracle que nous commémorons le Chabbat Hagadol, qui porte ce titre : « Le grand Chabbat », en souvenir de ce grand événement.

C’est d’ailleurs la raison de la coutume qu’ont gardé certaines communautés : à Min’ha de Chabbat Hagadol, lire la première partie de la Hagada de Pessa’h (cf. Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, chap. 430)

Rabbi Eliahou Lopian (1872-1970), l’un des grands maîtres de la précédente génération, dans son ouvrage « Lev Eliahou », présente un nouvel aspect de la délivrance des Juifs d’Egypte…

Tout se mérite

« Lorsque D.ieu décida de faire sortir le peuple d’Israël d’Egypte, il s’est avéré que ce dernier ne possédait pas les mérites nécessaires pour provoquer l’intervention divine, comme il est écrit : «mais tu étais nue et dénudée » (Ezéchiel 16-7) ». Expliqué dans la Hagada comme se rapportant au peuple juif qui était nu et dénudé de mitsvoth. Le monde dans lequel nous vivons n’est pas un monde de gratuité. Que ce soit sur le plan matériel ou spirituel, tout se mérite et possède sa valeur.

Si l’on peut dire, D.ieu se trouvait dans un « dilemme ». Sa volonté était de délivrer le peuple d’Israël, mais il devait tenir compte de la midath hadin (la rigueur divine). Deux textes du Midrach vont nous permettre de discerner les éléments qui ont justifié le miracle de la sortie d’Egypte.

Le premier Midrach se rapporte au décret de Pharaon, qui suivit l’intervention de Moïse. Pharaon, s’adressant aux intendants égyptiens, décréta : « Vous ne fournirez plus, désormais, de la paille au peuple pour la préparation des briques comme précédemment, ils iront eux-mêmes faire leur provision de paille. Du reste, la quantité de briques qu’ils faisaient précédemment, imposez-la leur encore, n’en rabattez rien . » (Exode 5 ; 7-8).

Le Midrach nous décrit les conséquences de ce décret.

Les Juifs allèrent chercher de la paille dans les champs des Egyptiens. Ceux-ci les épiaient par les fenêtres, et à leur vue, ils sortaient armés de bâtons avec lesquels ils les frappaient.

Les cris des enfants d’Israël s’élevèrent : « C’est pour vous que nous ramassons cette paille qui va servir à la construction des villes de Pithom et Ramessès » Mais leur cris n’eurent aucun effet pour mettre fin à ces violences.

On le voit, les Egyptiens développèrent une forme de cruauté qui n’est ni naturelle ni même logique.

Le deuxième Midrach se rapporte à un verset de la Thora : « On frappa les surveillants des enfants d’Israël . » (Exode 5 ; 14).

Le Midrach explique que chaque groupe de dix Juifs avait un surveillant juif imposé par les Egyptiens. Ce dernier devait rendre compte à un commissaire égyptien. Ces surveillants, voyant la souffrance des enfants d’Israël, leur accordaient quelques moments de repos.

Mais la quantité de briques imposée par les Egyptiens n’était pas atteinte et les commissaires s’en prenaient violemment aux surveillants qui n’avaient pas suffisamment maltraité leurs subordonnés.

Le Midrach ajoute que des centaines de surveillants furent frappés à mort. Le Midrach Rabba (Bamidbar 15 ; 20) précise que les Egyptiens ne considéraient pas les surveillants Juifs comme responsables des déficiences des autres Juifs. Mais ils exigeaient que les surveillants leur donnent le nom de ceux qui avaient failli à leur tâche, afin qu’ils soient punis. Les responsables préférèrent être frappés eux-mêmes plutôt que de trahir leurs coreligionnaires.

On voit ici une clémence et un courage presque surnaturels de la part des surveillants. Ces deux éléments (la cruauté sans précédent des Egyptiens et la clémence extraordinaire des surveillants) apportèrent le mérite nécessaire au miracle de la délivrance d’Egypte.

Cette explication de Rabbi Eliahou Lopian est reprise et développée par son élève, Rav M Salomon (Lakewood N.J.) dans son ouvrage « Matnat Haïm ». Ses explications vont nous éclairer sur la façon dont Hachem mène le monde. Pour bien comprendre, une introduction kabbalistique s’impose.

Fais grâce aux offenses

Rabbi Moché Kordovéro (le Ramak), l’un des plus grands kabbalistes de tous les temps, contemporain du Ari Zal, a consacré l’un de ses plus célèbres ouvrages, « Tomer Deborah », à l’explication des treize attributs de la Miséricorde divine (Cheloch essré midot chel Ra’hamim).

Cette démarche (développer le sens caché des attributs divins) a pour but de permettre à chacun de saisir le sens profond de la mitsva énoncée trois fois dans la Thora : « Tu marcheras dans les voies de l’Eternel. » (Deutéronome 8-6 ; 10-12 ; 11-12)

Nos maîtres (cf. Rachi 11-22, Sifri ad hoc) expliquent que cette mitsva est liée aux treize attributs de la miséricorde divine et exhorte l’homme à agir dans le même sens que Lui : « D.ieu est clément , sois-le toi aussi. D.ieu est plein de bienveillance, sois-le toi aussi. » (Exode 34 ; 6).

Ces attributs sont formulés différemment par le prophète Michée (7 ; 18-20) dans le texte que nous récitons dans la prière de Tachli’h le jour de Roch Hachana. C’est ce texte que le Ramak développe point par point.

« Quel D.ieu T’égale Seigneur, toi qui pardonnes les iniquités, qui fais grâce aux offenses, commises par ceux qui restent de ton héritage »

Les kabbalistes voient l’expression des quatre premiers attributs dans cette phrase. La première dans « quel D.ieu T’égale », la seconde dans « toi qui pardonnes les iniquités », la troisième dans « qui fais grâce aux offenses » et la quatrième dans « commises par ceux qui restent de ton héritage », traduction de l’hébreu « Lichéérit Nahalato ».

Nous verrons que le Ramak traduit cette expression différemment. Avant d’aborder l’explication du Ramak sur la quatrième mida « Lichéérit Nahalato », un principe fondamental, développé par ce dernier, doit être énoncé.

Ce qui déclenche l’effet de l’attribut divin, c’est que ce même attribut soit mis en pratique par les hommes, en ce monde.

Quand une mida existe ici-bas par le comportement humain, la mida « parallèle » brille dans les sphères célestes et le monde peut ainsi jouir de cet aspect de la Miséricorde divine.

Rabbi Eliahou Lopian ajoute, se référant au Zohar, que lorsque D.ieu veut que l’un des treize attributs de Miséricorde se manifeste dans le monde, il créé des situations grâce auxquelles l’homme pourra accomplir la mitsva « Tu marcheras dans Ses voies » dans le domaine spécifique de cet attribut.

Ainsi, grâce à des situations précises et voulues par le Créateur, l’humanité a la possibilité de Lui ressembler dans un domaine spécifique. L’homme va faire briller cette même mida dans les sphères célestes, et le monde pourra en jouir.

Nous allons pouvoir à présent mieux comprendre comment la quatrième mida, (lichéérith Nahalato) va déclencher la délivrance d’Egypte.

Les enfants d’Israël, Ses proches

Le Ramak explique cette expression dans le sens de Cheer Bassar (Lévitique 21 ; 2), qui signifie un parent proche.

« D.ieu agit envers le peuple d’Israël sous la forme suivante. Il dit : « Comment puis-je punir les enfants d’Israël, qui sont mes proches ? Un lien de chair me lie à eux. Ils sont considérés comme la compagne de D.ieu, ils sont appelés ma fille, ma sœur, ma mère » (cf. Chir Hachirim Rabba chapitre 9) et il est écrit :

« Des enfants d’Israël, le peuple qui sont Ses proches » (Psaumes 148 ; 14)»

C’est une véritable relation familiale qui existe entre D.ieu et Israël, Son enfant. C’est le sens de Chéérit, Ses proches. Nahalato signifiant Son héritage.

« Si Je les punis, c’est Moi qui souffrirai comme il est écrit : « D ans toutes leurs souffrances, Il a souffert avec eux » (Isaïe 63 ; 9) et aussi : « Il n’a plus pu supporter la misère d’Israël (Les Juges 10 ; 16, cf. Rachi ad hoc), car D.ieu ne peut supporter la souffrances et la honte d’Israël, qui sont Ses proches »

Le Sefer Haïkarim voit une analogie flagrante entre ce verset des Juges qui se rapporte à la délivrance divine qui eut lieu du temps des Juges, et la délivrance du joug égyptien :

« L’Eternel poursuit : « J’ai vu, J’ai vu l’humiliation de Mon peuple qui est en Egypte. J’ai accueilli sa plainte contre ses oppresseurs, car Je connais ses souffrances. Je suis donc intervenu pour le délivrer de la puissance égyptienne. » (Exode 3 ; 7-8).

Dans les deux cas, c’est cette mida de Lichéérith Nahalato telle qu’elle a été expliquée dans « Tomer Déborah » qui a mis en marche, dans le ciel, le processus de la délivrance (Géoula).

En se référant au principe de base énoncé par le Ramak, si l’une des treize midot a brillé dans les cieux, c’est donc que cette même mida a été mise en pratique par les hommes.

Dans cette perspective, l’enchaînement des événements depuis la première intervention de Moïse auprès de Pharaon, ainsi que le texte de Rabbi Eliahou Lopian deviennent limpides.

Ce n’est pas par hasard que Pharaon décide d’alourdir la tâche des enfants d’Israël. Ce n’est pas par hasard que les Egyptiens se surpassent en cruauté.

Car ces deux événements vont permettre la réaction extraordinaire des surveillants juifs. Dans un élan surprenant de solidarité, ils acceptent de subir le pire des sorts pour éviter à leurs frères d’être punis.

C’est l’expression la plus authentique de la mida de « Lichéérith Nahalato », telle que l’explique le Ramak.

De la même façon qu’une mère est prête à se substituer à son fils pour lui éviter de souffrir, les surveillants juifs ont accepté, avec joie, de subir les atrocités des Egyptiens pour éviter la souffrance de leurs frères.

Et cela, alors qu’eux-mêmes n’étaient pas considérés comme responsables par les Egyptiens, qui ne leur demandaient que de leur communiquer les noms des autres Juifs.

C’est cette attitude exemplaire qui va éveiller la même Mida dans les sphères célestes.

Moïse s’étonne : « Moïse retourna vers le Seigneur et dit : « Mon D.ieu, pourquoi as-tu rendu ce peuple si misérable ? Dans quel but m’avais-tu envoyé ? Depuis que je me suis présenté à Pharaon pour parler en Ton Nom, le sort de ce peuple s’est aggravé. » (Exode 5 ; 22-23).

D.ieu lui répond : « C’est à présent que tu seras témoin de ce que Je veux faire à Pharaon. Forcé par une main puissante, il les laissera partir » (Exode 6 ; 1). La réponse de D.ieu est claire : il y a un plan très précis qui va permettre « à présent » le processus de délivrance.

Sortir de l’impasse

La violence des Egyptiens, et la réaction merveilleuse des surveillants juifs suscitée par cet événement, vont permettre à la mida de « LichééritNahalato » de briller et c’est seulement à ce moment-là que la délivrance peut se produire.

Rabbi Eliahou Lopian conclut son développement en citant les paroles de nos maîtres : le même processus qui a permis la délivrance en Egypte va se reproduire à la fin des temps, lors de la délivrance finale.

Le Talmud dans Sanhédrin (p. 98) conseille : « C’est seulement en s’acharnant à l’étude de la Thora et au guemilout ‘hassadim (bienfaisance) que l’on sera épargné des souffrances pré messianiques. »

Le sens profond de Guemilouth ‘hassadim, ici, n’est pas seulement de faire le bien autour de soi.

Il faut s’acharner à suivre les voies divines, et à agir envers ses frères dans l’esprit de la mida « Lichéérit Nahalato » : ne pas supporter de voir l’autre qui souffre, comme une mère est prête à tous les sacrifices pour éviter les souffrances de ses enfants.

Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons saisir véritablement la profondeur du jugement divin, mais les mots de Rav Eliahou Lopian nous interpellent fortement si nous essayons de comprendre les événements des dix-huit derniers mois.

Une avalanche de cruauté sans précédent s’est abattue sur Israël, phénomène difficilement explicable de façon rationnelle.

Des milliers de terroristes sont prêts, avec joie, à venir se faire exploser au milieu des foules, acceptant d’être déchiquetés, choisissant pour cibles civiles des vieillards, des femmes, des bébés, dans le seul but de semer la terreur et la mort.

Le comble de la cruauté est dépassé .

Pour réagir, nous n’avons qu’une alternative : tenter de réveiller dans le ciel la mida de Lichéérit Nahalato, pour déclencher la Miséricorde divine.

Pour cela, il faut d’abord éveiller cette mida dans nos propres actions, dans notre monde.

C’est un élan de pitié qui dépasse les simples contingences humaines qui nous est demandé.

Faire preuve non seulement de compassion pour ceux qui souffrent, mais aussi essayer par tous les moyens d’alléger leurs souffrances, même au prix de sacrifices.

S’identifier à nos frères et les sentir véritablement être nos très proches parents pourra éveiller la mida extraordinaire de « Lichéérit Nahalato ». C’est alors qu’avec un éveil de la foi dans le peuple juif, nous pourrons, comme en Egypte, mériter la délivrance.

La souffrance de tout le peuple d’Israël n’aura pas été vaine et nous pourrons voir les paroles de nos Sages se réaliser :

« En Nissan ils ont été délivrés, et c’est en Nissan qu’ils seront délivrés. »

Chabat Chalom


2eme Commentaire sur la Parachat Tsav (Chabbat Hagadol)

Le sublime aveu

Par le Rav Eliahou Elkaïm

L’offrande de reconnaissance transcende le temps. Car exprimer notre reconnaissance envers D.ieu est le but de la création…

Figurent dans notre paracha, les lois concernant les différentes offrandes : L’holocauste ( ola ), l’expiatoire ( hâtât ), l’offrande délictive ( Acham ) et le sacrifice rémunératoire ( chelamim ).

Parmi les différents sacrifices rémunératoires ( chelamim ), qui sont en général des offrandes volontaires ( nédava ), il y a le sacrifice de reconnaissance ( Korban toda ), qui se différencie des autres par certaines lois particulières.

Ce Korban toda est une obligation pour tous ceux qui ont vécu un miracle personnel, et cela dans quatre cas, fixés par nos maîtres (cf. Rachi Lévitique 7 ; 12) :

• Des voyageurs en mer qui sont parvenus à bon port. • Ceux qui ont dû traverser le désert et qui ont pu en sortir. • Les détenus qui ont été libérés de leur captivité. • Celui qui s’est relevé d’une sérieuse maladie.

De nos jours, alors que nous n’avons plus la possibilité d’apporter l’offrande de reconnaissance, les personnes qui auraient vécu le même genre d’expérience et de miracle sont tenus de réciter la bénédiction dite « Hagomel » au moment de la lecture de la Thora (cf. Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm chap. 219).

D’après certaines opinions, cette obligation doit également être appliquée par des personnes qui auraient échappé à d’autres dangers (idem 219 ; 9).

Changer sa vie

A l’époque du temple, l’offrande de reconnaissance ( Korban toda ) avait comme caractéristique deux lois particulières :

1. Le sacrifice était accompagné de quarante pains, dont dix pains levés (‘ha mets) et trente pains azymes ( matsa ).

2. Cette offrande devait être consommée dans sa totalité avant l’aube de lendemain du sacrifice.

Celui qui avait apporté l’offrande avait donc un jour et une nuit pour la consommer. Le Midrach met en relief la valeur tout à fait spéciale de cette offrande et il conclut par l’affirmation suivante:

« Rabbi Pin’has, Rabbi Lévy et Rabbi Yohanan disent, au nom de Rabbi Ména’hem Degalia:

‘Au temps messianiques (léatid lavo), tous les sacrifices cesseront (car ils expient les fautes - commentaires sur le Midrach), mais le sacrifice de reconnaissance (Korban toda) ne cessera jamais’ »(Vayikra Rabba 9 ; 7)

Quelle est la valeur toute particulière de ce sacrifice, qui se distingue de tous les autres, et quel est le sens des lois spéciales qui le caractérisent ?

La Thora le désigne pourtant comme Korban chelamim. Le sacrifice de reconnaissance fait donc partie de la même catégorie…

Une autre remarque s’impose. Si ce sacrifice exprime la reconnaissance de l’homme envers son Créateur, pourquoi se limite-t-il à une situation de danger dont l’homme serait sorti indemne ?

N’existe-t-il pas d’autres manifestations de la Miséricorde divine qui ressemblent au miracle ?

Et pourquoi toutes ces situations sont-elles liées à un danger physique ?

Celui qui vit dans la pauvreté, et qui gagne une somme très importante à la loterie qui va littéralement changer sa vie, ne ressent-il pas une reconnaissance débordante vis à vis de D.ieu ?

Pourquoi ne doit-il pas apporter lui aussi un Korban toda ?

Bienfaits permanents

Rabbi Zadoc Hacohen de Lublin (Péri tsadik vol I Maamaré Kedouchat Hachabbath chap.7) nous propose une première piste pour comprendre cette problématique.

« Le Korban toda ne sera jamais aboli car il représente l’offrande la plus profonde, celle qui remercie D.ieu. Il reste donc nécessaire de tous temps, même à une époque où l’homme atteindra la plénitude ( chlémout ) dans sa relation avec D.ieu.

En revanche, l’effet réparateur des offrandes expiatoires n’aura plus lieu d’être.

Seules subsisteront les louanges et la reconnaissance des bienfaits permanents de D.ieu, raisons d’être de la création. »

A ce sujet, une remarque de Rav Isaac Hutner zatsal (Pahad Its’hak, ‘Hanoukka chap. 2-2) est à relever.

Le terme toda , employé pour ce sacrifice, a pour racine hodaa.

Or, le terme hodaa possède un double sens en hébreu.

Le premier sens est celui du remerciement, reconnaissance.

Le second est l’aveu.

Par nature, l’homme aspire à ne pas être dépendant de l’autre.

Exprimer sa reconnaissance, c’est avant tout admettre que cette aspiration n’a pas été atteint.

Cet aveu de faiblesse, d’échec, est indissociable de la reconnaissance. Et combien cet aveu est douloureux quand il s’agit de reconnaître sa dépendance vis à vis du Créateur, qui nous donne tout, à chaque instant !

Car l’homme a tendance à attribuer ses réussites et ses victoires à son intelligence et à ses efforts.

Or, remercier D.ieu c’est reconnaître notre dépendance totale vis à vis de Lui. Cette reconnaissance, comme le souligne Rabbi Zadoc Hacohen, c’est l’essence même du rôle de l’homme dans la création.

Le canal du bonheur

Le Maharal ajoute un nouvel élément.

Pourquoi fallait-il que l’offrande Toda soit accompagnée de pains levés ( ‘ha mets ) et azymes ( matsa ), alors que les oblations sont toujours azymes ?

Ces deux sortes de pains sont opposées et on les offre ensemble. C’est une façon, pour celui qui offre le Korban toda , d’exprimer l’unité de D.ieu, qui Lui aussi contient tous les contraires.

C’est aussi, on le sait, l’occasion d’exprimer deux symboles classiques : le ‘ha mets symbolise la difficulté et la matsa la délivrance (Netivot Olam, Netiv Guemilouth ‘Hassadim chap.4)

L’auteur du Sifté ‘Haïm (volume 2 page 222) développe le sens véritable des mots du Maharal : la délivrance de D.ieu, lorsqu’on en approfondit le sens, va nous montrer que la difficulté et la souffrance ne sont qu’un canal pour parvenir au bonheur.

Le niveau le plus élevé de la connaissance humaine est de comprendre que tout ce qui émane de D.ieu est le bien absolu.

En approfondissant le sens du miracle et de ce qui l’a précédé, on pourra saisir l’étendue de la Bonté du Créateur.

Le roi David exprime cette idée dans ses Psaumes : « Je veux chanter la bonté et le jugement rigoureux (michpat) » (Psaumes 101 ; 1)

Car le jugement divin, même s’il peut nous paraître sévère, est évidemment une émanation de la bonté divine.

Nous comprenons à présent pourquoi le Korban toda correspond à quatre situations bien précises : seulement lorsqu’un danger réel a précédé la délivrance.

Grâce à la reconnaissance des bienfaits de D.ieu, on perçoit dans son ensemble l’épisode que l’on vient de vivre.

Alors seulement la hodaa prend toute sa signification est devient éternelle, transcendant le temps et perdurant aux temps messianiques.

Lorsque l’homme parvient à prendre conscience que les difficultés et ce qui lui apparaissait comme le mal n’étaient que des moyens dans le plan divin pour le faire accéder à la vérité de la grandeur de D.ieu, seule vraie joie sur terre, il a réalisé le but véritable pour lequel il a été créé.

Un moment particulier

Enfin, il nous reste à comprendre la raison du temps limité dont on disposait pour consommer le Korban toda.

Le Netsiv (Rabbi Naftali Z. Yéhouda Berlin, Roch Yéchiva de Volozhine) l’explique de la façon suivante, en s’appuyant sur des versets des Psaumes :

« A Toi, j’offrirai un sacrifice de reconnaissance (zeva’h toda), et je proclamerai le nom du Seigneur.

Mes vœux, je les acquitterai envers l’Eternel, à la face de tout son peuple

Dans les parvis de la maison de l’Eternel, dans ton enceinte, ô Jérusalem » (Psaumes 116 ; 17, 18)

Alors que la Thora encourage les hommes à la discrétion, on s’étonne de l’expression concernant le Korban toda, « à la face de tout son peuple »…

En fait, il faut que l’homme, par le Korban toda, narre et publie les bienfaits de D.ieu, en en approfondissant le sens.

C’est pour parvenir à ce but que la Thora a fixé l’obligation de consommer la viande du sacrifice et les quarante pains en un temps si court. Ainsi, celui qui apporte un telle offrande sera oublier, pour ce faire, d’inviter de nombreux proches et amis.

Et c’est ainsi qu’il racontera le miracle qu’il a vécu, publiera les bienfaits de D.ieu qui l’a sauvé (Heemek Davar ibid.)

Enfin, le Malbim, dans son commentaire sur l’un des verset du Psaume pour le sacrifice de reconnaissance, Mizmor letoda (Psaume 100) nous donne une dernière vision de ce concept.

Ce Psaume était chanté pendant le sacrifice du Korban Toda !

« Entrez dans ses portes avec des actions de grâces (toda), dans ses parvis avec des louanges . » (Psaume 100 ; 4)

Lorsque l’on a une requête à adresser à un personnage influent, on commence la rencontre par des compliments et des éloges à son égard, pour attirer ses bonnes grâces.

En quittant les lieux, si l’on a eu gain de cause, on adresse ses remerciements et sa reconnaissance.

A l’égard de D.ieu, c’est le processus inverse.

A ses portes, on Le remercie déjà pour ses bienfaits, car ils sont permanents. Dans ses parvis, on pourra approfondir la connaissance des voies divines, et alors seulement dans la sincérité et la vérité, on pourra adresser des louanges.

Chabat Chalom