Chabbath Bamidbar

26, 27 mai 2006 – 28, 29 Iyar 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies 19 h 01 21 h 11 21 h 21
Sortie de Chabbath 20 h 18 22 h 2622 h 43

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser les Dvar Thora de cette semaine comprenant :

  • un commentaire d'un passage du deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth) traitant du AYIN HARA (un regard malveillant) et,
  • un commentaire sur la Paracha de la semaine.

Ces Dvar Thora sont consacrés au mariage de

Olivier Chalom & Chloé Hanna MURCIANO

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, La Yéchiva Daat Haïm a accueilli une nouvelle promotion, ce qui porte le nombre de nos élèves à 140. Le corps enseignant compte désormais 16 membres.

L’aide de tous nos amis nous sera précieuse pour assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ces Dvar Thora sont écrits et publiés pour la guérison (refoua chelema) du fils de

Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Bamidbar

26, 27 mai 2006 – 28, 29 Iyar 5766

Un regard destructeur

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Porter un regard malveillant sur les autres ( ayin hara ) a des conséquences sur son prochain mais aussi sur soi-même. Le Talmud va nous permettre de comprendre que cette notion est loin d’être une superstition, et nous indiquer les moyens de s’en protéger.

«Rabbi Yéochoua disait: ‘Le mauvais œil, le mauvais penchant et la haine des créatures expulsent l’homme du monde’».

(Chapitre 2, Michna 11)

Nous commencerons notre étude sur cette Michna par l’interprétation de Maimonide.

D’après lui, le mauvais œil dont parle Rabbi Yeochoua, c’est la volonté permanente d’augmenter ses biens et le fait de n’être jamais satisfait de ses avoirs.

On remarquera que cette explication correspond à son interprétation du concept de mauvais œil (ayin raa) que nous avons découvert dans la Michna 9, où Rabbi Yeochoua expliquait que le mauvais œil est le mauvais chemin dont l’homme doit s’écarter.

Maïmonide poursuit:

«Le mauvais penchant (yetser hara), c’est la volonté incontrôlée de jouir des plaisirs matériels; la haine des créatures, elle, découle d’un état dépressif où l’on ne peut plus supporter le contact avec les autres et la vie en société en général, avec pour conséquence de s’isoler dans des endroits déserts.

Ces comportements sont néfastes pour l’homme et vont sans aucun doute écourter ses jours. C’est ce que Rabbi Yeochoua exprime en disant: ‘ils le font sortir de ce monde’. (Ibid.)

Le Rachbats (Rabbi Chimon ben Tsema’h – XVème siècle), qui cite Maïmonide ajoute:

«La course vers les acquisitions matérielles pousse l’homme à prendre des risques et même à se mettre en danger personnellement.

"(…) La jouissance incontrôlée dans les domaines des plaisirs de la table ou des plaisirs charnels va user son corps et amener toutes sortes de maladies qui écourtent les jours.

"L’état dépressif est une maladie qui s’appelle la mélancolie. L’un des symptômes de cette maladie est de fuir la compagnie des hommes, jusqu’à les détester. On pourra en arriver à se réfugier dans un désert ou dans la forêt où l’on risque d’être dévoré par les bêtes sauvages.»

n Dépression et regard malveillant

Le Rachbats fait ensuite deux remarques sur l’interprétation de Maimonide.

  • Dans le texte de notre Michna, on trouve ayin hara, le terme au masculin, alors que dans la Michna 9, on trouvait ayin raa, au féminin.

Or, dans le Talmud, la forme au masculin exprime un concept tout à fait différent que celui de la cupidité et de la poursuite des plaisirs matériels: au masculin, ayin hara est employé dans le sens de mauvais œil qui peut porter préjudice aux autres.

[Dans certains manuscrits du commentaire de Maimonide, le texte de la Michna indique ayin raa, au féminin, ce qui signifierait que Maimonide possédait des textes de la Michna avec cette version. Cela répond à la question du Rachbats, Ndlr.]

  • La dépression est a priori une maladie qui atteint l’homme sans qu’il ait de moyen de l’éviter. Il n’est donc pas coupable. Comment donc mettre en parallèle une maladie d’une part et de l’autre le mauvais œil et le mauvais penchant, qui sont des habitudes comportementales dont l’homme peut parvenir à se défaire par un travail personnel.

[Il est intéressant de remarquer que dans notre version du commentaire de Maimonide, ce dernier précise qu’avoir un regard dénigrant sur les autres est

également une maladie psychique causée par le mauvais caractère et la jalousie. Cela répond donc à la question du Rachbats, Ndlr.]

On notera que la majorité des commentateurs ne suivent pas Maimonide dans son interprétation du terme ayin hara: ils l’expliquent comme un regard malveillant qui peut porter préjudice. Pour mieux comprendre le concept de mauvais œil, nous allons d’abord citer différents textes du Talmud.

En effet, cette notion est souvent mal comprise et débouche sur des conceptions superstitieuses.

Un premier texte du Talmud se trouve dans Baba Metsia (30a):

«Celui qui a trouvé un vêtement, en attendant de le rendre, peut l’aérer à l’intérieur de sa maison s’il estime qu’il sera mieux conservé de cette façon, et uniquement dans ce but.

"Mais s’il y trouve un intérêt personnel, il ne lui est pas permis de le faire.

"S’il reçoit des invités, il ne doit pas le sortir, car il prend le risque de le ‘brûler’.»

Rachi commente: «Le terme ‘brûler’ utilisé ici signifie que ce vêtement risque d’être détruit ou volé par l’un d’entre eux..»

n Des étincelles dans le regard

Un deuxième texte se trouve dans le traité Baba Batra (2b):

«Il est interdit de contempler le champ de son voisin lorsque la récolte est à point»

Rachi commente: «Car on peut lui causer préjudice par le mauvais œil.»

Un troisième texte se trouve à nouveau dans Baba Metsia (107b):

«Lorsque Rav passait dans un cimetière, il pouvait, en disant une formule particulière (la’hach) devant une tombe, discerner si le défunt était mort en son temps ou s’il était mort à cause du mauvais œil.

"Il déclara: 99% des gens meurent à cause du mauvais œil, et seulement 1% de façon naturelle.»

Nous avons maintenant énuméré les textes où le mauvais œil est mentionné dans le Talmud. Il en est également question dans la loi (halacha): en effet, il est interdit de faire monter à la Thora deux frères ou un père et son fils consécutivement, et cela pour ne pas susciter le mauvais œil. Il faudra qu’une personne étrangère à la famille soit intercalée entre deux membres d’une même famille (Choul’han arou’h –Ora’h ‘Haïm 141; 6)

Rabbénou Yona nous offre une première approche: «Le mauvais œil est l’apanage de celui qui n’est jamais satisfait de son sort. Il porte son regard sur celui qui est plus riche que lui en se disant: ‘Quand donc arrivera le moment où je serai riche comme lui?’

En pensant ainsi, il cause du tort à son prochain et à lui-même. Cela correspond à ce que les sages profanes (‘hohmé hatéva) ont enseigné:

«L’air (il s’agit peut-être d’une vibration ou d’une radiation Ndlr.) qui émane d’une pensée causée par la jalousie, va brûler et détruire les éléments sur lesquels le mauvais œil s’est posé.

"Celui qui est à l’origine de ce regard négatif sera également atteint et brûlé, car ses pensées jalouses sont néfastes à son organisme et le feront littéralement quitter ce monde» (Rabbénou Yona ibid.).

Le Rachbats ajoute: «Des ‘étincelles’ peuvent émaner d’un regard malveillant et causer un dommage. Ne sois pas étonné qu’un tel phénomène existe.

"Les philosophes, Aristote notamment (cité par Nahmanide), ont décrit ces phénomènes identiques, comme celui d’une femme au début de ses règles qui porte son regard sur un verre en cristal limpide: on pourra y déceler des traces de sang.

"Certaines personnes d’une grande sensibilité peuvent s’évanouir sous l’effet d’un regard malveillant. C’est la raison pour laquelle Rabbi Yeochoua dit que celui qui porte le mauvais œil sur son prochain quittera ce monde rapidement.

"Car, de la même manière que cette haleine fétide, qui émane des yeux malveillants, détruit celui qui est regardé et ses biens, elle se retourne contre son auteur, détruisant le jaloux.

"La jalousie brûlera et détruira ses os, comme l’exprime le verset des Proverbes:

«La jalousie est la carie des os» (14-30)"

Nos maîtres nous enseignent: «L’homme doit tout mettre en œuvre pour porter le même regard sur la famille de son prochain que sur la sienne.

"Car celui qui porte un regard malveillant sur les biens de l’autre finit par perdre ses propres biens, et même par anéantir sa propre personne (…)» (Rachbats ibid.)

On le voit, le concept de mauvais œil n’est pas une simple superstition et on ne peut ignorer ce phénomène.

Comment l’expliquer? Comment s’en protéger? Des questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses…

n Même les oiseaux

Le Maharal ajoute une note supplémentaire qui va nous permettre d’affiner notre vision.

Il cite à ce sujet un texte du Talmud (Sota 38b):

«Rabbi Yeochoua ben Lévy dit: ‘Même les oiseaux peuvent reconnaître un regard malveillant. C’est ce que le verset des Proverbes nous enseigne:

« Certes, les filets paraissent dressés sans aucun but aux yeux de la gente ailée» (1-7)

Il interprète: ‘Ceux qui ont un œil malveillant ont un tel effet destructeur que même les oiseaux peuvent le discerner, car les oiseaux, qui ont la possibilité de s’élever dans les airs, sont les créatures les plus proches de la spiritualité.’

Ce texte vient nous enseigner qu’un regard malveillant a un tel effet destructeur que même certains êtres vivants peuvent le distinguer.

C’est la raison pour laquelle le verset affirme que les filets n’auront pas l’effet escompté: celui qui y dépose de la nourriture pour attirer les oiseaux n’aura pas beaucoup de succès, dans la mesure où ces derniers, par leur perception particulière, reconnaissent l’œil malveillant qui se cache derrière cette apparente bonne intention.

(…) Dans un texte du Talmud (Baba Metsia 107b), Rav explique le verset:

«L’Eternel écartera de toi tout fléau» (Deutéronome 7-15)

Il commente: ‘Il s’agit du mauvais œil et cette affirmation doit être expliquée de la façon suivante: quatre éléments sont la base de la création (la terre, le feu, l’air et l’eau, Ndlr.)

L’équilibre de ces quatre éléments assure le bon fonctionnement du monde et la santé des créatures.

Toute atteinte à l’un de ces éléments déstabilise la création et entraîne des maladies.

D’après Rav, c’est l’œil malveillant qui possède le plus grand pouvoir destructeur, car il ‘brûle’ et détruit, comme le feu. (…)

Il faut donc tout faire pour s’en protéger.» (Netivot Olam, ayin tov, chap. 1)

n Une volonté qui est acte

Comment expliquer cette force destructrice liée à un regard malveillant?

Comment comprendre ce phénomène que l’on ne peut pas observer physiquement et qui pourtant existe?

Rav Dessler dans «Mihtav meeliahou» (vol 3 p.314, vol 4 p.5 et 6), ainsi que Sifté ‘Haïm (son élève Rabbi Haïm Frielander) dans «Emouna vehachga’ha» (vol 1 p.393-398), nous éclairent sur ce singulier concept.

«L’homme a été créé à l’image de son Créateur, comme l’exprime le verset:

«Car l’homme a été fait à l’image de D.ieu» (Genèse 9-6)

Cela signifie que l’être humain possède une volonté (ratson) d’une envergure extraordinaire.

Car la volonté de D.ieu, est déjà une réalité, une existence.

C’est cette idée qui est exprimée dans les mots de la prière ‘barou’h cheamar’ où il est dit: ‘Béni soit Celui qui par la seule parole (expression de la volonté, Ndlr.) a créé l’univers’.

Chez l’homme, il y a un décalage entre la volonté et l’acte: la volonté doit être suivie d’un acte pour être accomplie.

Cependant, sous certaines conditions et dans certaines circonstances, l’homme possède une force particulière qui est effective par le simple biais de la volonté, sans passer par l’acte.

Cette force lui permet de mettre en danger son prochain ou même d’entraîner la destruction de sa personne et de ses biens.

C’est ce qui se produit quand cette volonté est transmise par un regard malveillant.

Rabbénou Bahya explique de cette façon la requête de Balak à Bileam qui désire monter sur des hauteurs pour observer le peuple d’Israël dans le but de les maudire.

Son intention était d’exprimer sa volonté de les détruire par un regard englobant. Cette force est une des composantes de l’âme humaine.» (Rabbénou Bahya Nombres 22-41)

Une loi surprenante

Le Maharal utilise la même idée pour expliquer l’une des clauses de la loi des ‘edim zomemim’ (faux témoins) qui tentent de faire punir des innocents.

L’Ecriture précise: «Si ce témoin est un faux témoin, et s’il a émit un mensonge contre son frère, vous lui ferez subir le traitement qu’il prévoyait (kaacher zamam) pour son frère.» (Deutéronome 19- 18; 19)

Le terme kaacher zamam (ce qu’il prévoyait) est interprété par nos maîtres comme excluant le cas où le mensonge a été découvert après l’exécution de la peine.

Dans ce cas, le faux témoin ne subira pas le même châtiment que l’accusé.» (Talmud Makot)

Pourtant, la logique aurait exigé une loi inverse: si les mauvaises intentions du faux témoin n’ont pas pu se concrétiser, on pourrait penser que leur acte est finalement moins grave que si la victime a bel et bien subit le châtiment. C’est la différence entre une intention et un acte concrétisé.

Comment expliquer cette loi surprenante?

Le mauvais dessein des faux témoins exprime leur volonté puissante de nuire à leur prochain.

Cette volonté est si forte qu’elle doit forcément exercer son effet:

  • Si le mensonge est découvert après l’exécution, c’est évidemment sur l’accusé que se porte la force destructrice.
  • Si le mensonge est découvert avant l’exécution de la sentence, et que l’accusé a donc été acquitté, cette puissance négative s’exercera sur les faux témoins, par l’application par le BETH DIN de la peine.

Pour illustrer cette idée, le Maharal prend l’exemple d’un ballon. Il atterrira à l’endroit où la force de propulsion l’aura dirigé. Mais s’il rencontre un mur ou un obstacle quelconque, il rebondira et atteindra celui qui l’a lancé.

Cette force négative, propulsée par le faux témoin, va donc alors revenir vers son origine, si elle a rencontré un obstacle, qui est la découverte du mensonge.

Cette force peut également atteindre les accusés, si elle ne rencontre pas d’obstacle.

Dans ce cas, les témoins méritent évidemment une grave punition mais elle sera indépendante des hommes.

En effet, ultérieurement, c’est la volonté de D.ieu (bidé chamayim) qui se chargera de la punition du faux témoin mais ce n’est pas leur volonté de nuire qui se retournera contre eux. (Gour Arié, Devarim 19-19)

De cette loi sur les faux témoins, on peut comprendre le phénomène qui se produit avec un regard malveillant, car c’est le même mécanisme.

Si les mérites de la victime du mauvais œil ou une quelconque protection empêchent la force négative d’agir, l’effet se retournera contre l'émetteur lui-même.

C’est lui qui va donc en souffrir ; c’est le sens du verset:

«Mais la jalousie est la carie des os» (Proverbes 14-30)

Cela confirme les mots du Rachbats que nous avons cité plus haut.

Seule la volonté divine peut protéger du regard malveillant. S’il a été décrété dans les sphères supérieures que ce regard pourra m’atteindre, je ne pourrais m’en dérober.

A l’inverse, quelque soit la puissance de ce regard, si la volonté divine est de me protéger, sa protection est déjà effective, et rien ne pourra s’y mesurer…

Mais une question reste présente: pourquoi, dans ces conditions où tout est décidé par D.ieu, craignons-nous tant le mauvais œil?

Nous venons de découvrir la conception de Rav Dessler, qui explique qu’un regard malveillant (ayin hara) est l’expression d’une force cachée qui réside en l’homme.

La volonté de D.ieu est déjà une réalité, une existence.

Dans la mesure où l’homme a été créé à l’image de D.ieu, il peut, dans certaines circonstances, et lorsqu’il concentre sa volonté de nuire, produire un effet destructeur sans même agir concrètement, par le simple biais d’un regard.

Nous allons à présent découvrir la conclusion du Maharal et le développement du Hazon Ich, dans son style si personnel.

A la fin du texte que nous avons rapporté plus haut, le Maharal concluait:

«L’homme doit être très vigilant pour protéger sa propre personne et ses biens du mauvais œil.

  • Sa propre personne: c’est exprimé dans le Midrach qui relate que Jacob a mis en garde ses fils lorsqu’ils se sont rendus en Egypte. Il leur a recommandé de ne pas entrer ensemble par le même portail, de peur de subir les effets du ayin hara (Yalkouth Mikets 42)
  • Ses biens: le Talmud nous enseigne à ce sujet: ‘Celui qui fait le commerce des joncs et des cruches ne jouira jamais de prospérité. Le volume de ces marchandises étant important, elles subiront les effets du regard malveillant (Pessa’him 50b).

C’est la raison pour laquelle nos maîtres nous ont enseigné que la bénédiction peut se poser uniquement sur ce qui reste à l’abri des regards, car on évite alors le risque du mauvais œil (Netivot Olam, Netiv Ayin tov fin du chapitre 1).

Un coupable punit un coupable

Toutefois, une question se pose.

On le sait, et c’est l’un des fondements de la foi (émouna), aucune créature ne peut causer de préjudice à qui que ce soit, si D.ieu n’a pas décrété que la ‘victime’ mérite ce châtiment.

Il n’empêche que celui qui a fait souffrir son prochain subira un châtiment divin pour ses actes.

Cet apparent paradoxe est expliqué par nos maîtres:

Un homme meurt ou subit un dégât matériel ou physique: c’est sans conteste la volonté de D.ieu.

Mais l’assassin ou le voleur reste pour autant un mécréant (racha) car il n’a pas cherché, par ses actes, à accomplir la volonté divine.

L’assassin ou le voleur, qui contreviennent aux lois de la Thora, sont donc pleinement responsables de leurs actes

Quoiqu’il en soit, D.ieu n’a pas besoin de lui pour mettre sa volonté en action. Le créateur ‘utilise’ le libre-arbitre de ce mécréant pour exécuter Sa sentence.

C’est ce que nos maîtres expriment en disant: «C’est par le biais d’un coupable que sera puni un autre coupable».

Dans ces conditions, pourquoi chercher à se protéger de l’œil malveillant?

S’il a été décrété qu’un homme doive subir un dommage, il le subira quoiqu’il arrive, par le biais de l’ayin hara ou par un quelconque autre moyen.

Si un homme n’a pas été jugé coupable dans les sphères célestes, rien ni personne ne pourra l’atteindre, aucun regard ni aucune volonté.

C’est à cette problématique que le Hazon Ich s’attelle dans son développement. Il interprète le texte du Talmud (Baba Batra 14a), qui relate le fait suivant:

«Il existe une loi qui demande, lors de l’écriture d’un Sefer Thora, de faire tous les efforts pour que le diamètre du rouleau corresponde exactement à la largeur du parchemin.

Rav Houna, qui écrivit soixante-dix Sifré Thora, n’y parvint qu’une seule fois.

Rav A’ha bar Yaacov, pour sa part, est parvenu dès la première tentative à obtenir le résultat escompté. Les Sages (‘hahamim) ont eu un regard malveillant à son égard, par jalousie, et il en est mort.»

Une seule pensée

Le Hazon Ich écrit:

«Sache que l’un des secrets de la création est que l’homme, par sa seule pensée, met en action des forces cachées qui se concrétisent dans le monde matériel.

Une banale pensée négative peut parfois provoquer la destruction d’éléments tangibles.

Nous trouvons de nombreux exemples dans le Talmud qui illustrent cette réalité.

C’est notamment le cas lorsque l’admiration des hommes se focalise sur une réussite éclatante. Ils peuvent alors mettre en danger cette réussite.

Bien évidemment, tout est décidé par D.ieu (bidé chamayim), et s’Il ne l’a pas décrété, une chose ne peut être détruite.

C’est seulement lorsque D.ieu l’a décidé, qu’un homme ou une chose pourront être détruits, parfois par le biais d’un regard malveillant.

C’est le sens de l’affirmation de Rav, dans le traité de Baba Metsia (107a), selon laquelle 99% des gens quittent ce monde parce qu’ils ont été frappés par le mauvais œil.

Cela signifie qu’après le jugement de Kippour, s’il a été décrété qu’une personne mourra dans le courrant de l’année, elle rencontrera, dans la majorité des cas, un regard malveillant qui causera sa mort.

C’est ainsi que l’on doit comprendre plusieurs texte du Talmud, notamment dans Bera’hot (58b), où l’on nous décrit l’émerveillement des Maîtres devant la sagesse de Rav Hanina fils de Rav Ika. Ils ont posé leurs yeux sur lui et il est mort.

Il devait de toute façon quitter ce monde, et cela est survenu par le biais de l’émerveillement des Maîtres.

Il est à supposer que tout homme d’exception (c’est le cas des maîtres de cette époque, Ndlr.) possède des aptitudes supérieures qui font que son regard est plus puissant que celui d’un autre.

C’est le sens de la phrase: ‘Ils ont posé leurs yeux sur lui et il est mort.’

Il nous reste cependant un texte dans Baba Metsia (84b) à expliquer:

« Rabban Chimon ben Gamliel (le père de Rabbénou Hakadoch, dit Rabbi) et Rabbi Yeochoua ben Korha, qui étaient les grands de leur génération, étaient assis sur des bancs dans la maison d’étude. C’était la place que l’on réservait aux maîtres.

Rabbi Eléazar (fils de Rabbi Chimon bar Yo’haï) et Rabbénou Hakadoch, qui étaient encore jeune, étaient assis par terre, devant eux, pour discuter des sujets étudiés.

Les autres maîtres dirent alors: ‘Nous buvons les paroles de Rabbi Eléazar et Rabbénou Hakadoch, et ils sont assis par terre!

On leur fit préparer des bancs mais Rabban Chimon s’y opposa en leur disant:

‘J’ai un petit oiseau, Rabbi, mon fils, parmi vous, et vous voulez me le perdre?’

Et Rachi de commenter: «Car il risque d’être frappé par le mauvais œil s’il est,à son âge, déjà assis sur un banc.»

On fit donc redescendre Rabbi et on l’installa à nouveau par terre.»

Quel était donc le souci de Rabban Chimon, si le mauvais œil ne peut atteindre une personne que le Ciel n’a pas jugée ‘coupable’, et devant mourir?

C’est que, lorsque l’homme se trouve en situation de danger, le Satan se présente en accusateur devant D.ieu.

L’homme en question va alors devoir passer au crible du jugement divin. Sans cette accusation particulière, le jugement aurait pu être en sa faveur, mais lorsque l’on éveille une rigueur singulière, les données changent, et le jugement est plus tranchant.

Se mettre en situation où l’on peut être l’objet d’un regard malveillant signifie se mettre en danger, et provoquer le Satan. Cela peut donc changer les données du jugement divin.

C’est ce que Rabban Chimon ben Gamliel voulait éviter à son fils.»

(Hazon Ich, Baba Batra, Likoutim chap.21)

Un regard malveillant peut donc provoquer des situations et des conséquences qui échappent à celui qui le portent, et à celui qui en est l’objet.

Mais ce que nous percevons tous, c’est le bienfait particulier qu’il y a de vivre en toute discrétion. «Pour vivre heureux, vivons cachés», dit le dicton.

Deux regards, deux intentions

Dans notre développement, nous avons observé l’analogie, mise en évidence par Rav Dessler, qui existe entre la loi des faux témoins (interprétée par le Maharal) et le concept du regard destructeur.

Dans les deux cas, c’est une volonté intérieure de nuire qui peut causer préjudice, ou se retourner contre son initiateur.

Mais comment expliquer qu’un regard négatif pourra porter ses fruits venimeux sur une personne et pas sur une autre?

On peut l’expliquer par deux facteurs:

  • Soit la volonté de nuire est contrecarrée par la volonté de survie de la victime potentielle
  • Soit la victime est protégée par des mérites particuliers

Certaines techniques (ségouloth, dont il faut évidemment s’assurer qu’elles viennent de nos maîtres en Thora), peuvent parfois être efficaces.

Nous citerons également le Hazon Ich qui expliquait que le fait même de se trouver dans la ligne de mire de regards malveillants peut changer la nature du jugement divin.

Et c’est ce qui arrive à celui qui se trouve dans une situation dangereuse: c’est un moment où il sera jugé avec plus de rigueur.

Exciter l’envie

En effet, la balance qui évalue les mérites et les fautes risques de basculer en défaveur de l’intéressé: le Satan se présente en accusateur et exige que l’on vérifie sous tous les aspects si cette personne mérite d’être épargnée.

En situation normale, le jugement aurait été beaucoup moins rigoureux.

Le Rav Dessler ajoute une note supplémentaire:

Evidemment, celui qui est jaloux et qui convoite les biens d’autrui agit à l’encontre de l’esprit de la Thora:

«Ne convoite pas la maison de ton prochain. Ne convoite pas la femme de ton prochain, son esclave ni sa servante, son bœuf ni son âne, ni rien de ce qui est à lui» (Exode 20-14, 10 ème commandement)

Mais lorsqu’un homme est l’objet de la jalousie, il n’est jamais tout à fait innocent: il a sans doute manqué de discrétion et a fait trop de publicité autour de sa réussite familiale, professionnelle ou financière et par là, même sans le vouloir, il a excité l’envie de ceux qui l’entoure.

En cela, il peut être considéré comme ‘gramma’: concept qui est surtout utilisé dans les cas de préjudices matériels, et qui signifie avoir causé de façon indirecte un dommage.

Dans le cas qui nous concerne, celui d’un regard malveillant, un homme qui a trop ostensiblement exposé sa réussite peut donc être considéré comme ayant entraîné par gramma un préjudice spirituel, à savoir une déviance morale à autrui: il a mis à l’épreuve les vertus (midot) de son prochain.

Dans l’établissement du jugement divin, un gramma est également pris en compte comme une faute. Par cela, celui qui l’a entraîné risque de perdre l’aide qui aurait pu le protéger de l’effet du regard malveillant de l’autre.

Il s’est donc lui-même mis en danger et risque à présent de perdre sa réussite qui aurait dû lui être pourtant acquise.

Plus encore, par cette attitude, il va à l’encontre du but de sa création.

Tout ce qui est donné à l’homme en ce monde, que ce soit dans le domaine matériel ou spirituel, est un outil pour accroître la gloire divine.

Utiliser ces bienfaits, ces outils, comme catalyseurs d’un préjudice spirituel chez autrui entraîne à l’inverse une diminution de cette gloire divine. C’est agir à l’encontre même du but de D.ieu lorsqu’il a accordé Sa générosité.

Cela est vrai pour toutes les fautes, mais c’est encore plus grave quand cela entraîne une baisse morale chez autrui et pas seulement chez celui qui faute.

n‘Bli ayin hara

Prenons comme exemple celui d’une femme riche, qui se pare de ses plus beaux bijoux pour se rendre à une fête chez des hôtes modestes: elle sait parfaitement qu’elle va éveiller des regards pleins de jalousie et c’est peut-être même dans ce but qu’elle agit ainsi.

D.ieu lui a accordé la richesse, et en l’occurrence ses bijoux, comme outils pour accomplir la mission qui justifie sa création. Et elle décide de les utiliser comme «étincelles» pour allumer les mauvais traits de caractère des autres: la jalousie et l’envie.

Par cet acte, elle peut même sceller son sort: ces outils qui lui avaient été accordés peuvent lui être repris, car ils sont utilisés à mauvais escient. Et c’est par le biais d’un regard malveillant qu’elle va finalement tout perdre.

Se protéger du mauvais œil ne consiste donc pas seulement à utiliser des ségouloth et à répéter l’expression ‘bli ayin hara’ (‘que cela n’éveille pas le mauvais œil, D.ieu nous en préserve).

Il faut surtout intérioriser le sens de cet enseignement, et agir en conséquence: avec pudeur et discrétion.

Mais l’excès inverse est également un danger: il ne faut pas cacher et camoufler ses réussite, au point de ne pas en faire profiter les autres. Car là encore, ce serait mal utiliser les outils offerts par le Créateur.

En utilisant toutes nos réussites comme outils pour multiplier le Bien autour de nous, tout en évitant le piège d’une publicité ostentatoire, on pourra espérer que D.ieu nous mette à l’abri des dangers des mauvais regards.

C’est le sens de la bénédiction qu’a reçu Joseph de Jacob son père:

«C’est un rameau fertile que Joseph, un rameau fertile au bord d’une rivière (ben porat Yossef, ben porat alei ayin)» (Genèse 49-22)

Le Talmud interprète ce verset de la façon suivante:

«Rabbi Abahou dit: ‘Il ne faut pas lire ‘alei ayin’ mais ‘olei ayin’.

Sur oleil ayin, Rachi commente: «Qui sont protégés de l’œil malveillant, qui n’aura pas d’emprise sur eux.»

Rabbi Yossi berabi ‘Hanina déduit cet enseignement d’un autre verset:

«Puissent Ephraïm et Ménaché multiplier à l’infini (veydeguou larov) au milieu de la contrée» (Genèse 48-16)

Le terme en hébreu est veydeguou: qu’ils se multiplient comme des poissons.

Cette comparaison vient nous enseigner le sens de cette bénédiction: tout comme les poissons qui sont couverts par les eaux et sont ainsi protégés de l’œil malveillant, ainsi en sera-t-il de la descendance de Joseph.

Tous les bonheurs

Un autre commentaire ajoute: «L’œil qui a refusé de jouir de ce qui ne lui appartenait pas (, la femme de son maître Putiphar, Rachi ibid.) ne subira pas les mauvais effets de l’œil malveillant» (Talmud Bera’hot 20a)

On le sait, Joseph refusa de répondre aux avances de, la femme de son maître Putiphar, et préféra risquer sa vie en la fuyant, plutôt que de céder à la tentation.

Rav Dessler découvre dans ce texte le secret de la protection contre le mauvais œil.

Joseph n’avait qu’une volonté: celle de donner. On a pu l’observer dans son attitude vis-à-vis du peuple égyptien et de sa famille, ainsi que tout au long de sa vie.

Cette attitude protège de toute jalousie. On est jaloux de celui qui est égoïste, mais pas de celui qui ne pense pas à lui-même.

On comprend mieux ainsi le parallèle fait entre le mauvais œil et le fait que Joseph ait refusé de profiter de ce qui ne lui appartenait pas. Lui qui n’avait aucune jalousie ni aucune convoitise envers les biens et les réussites des autres, ne provoquait pas cette même jalousie.

En outre, il était réservé et comme les poissons, vivait dans un milieu discret, où il ne faisait concurrence à personne.

C’est ce qui lui a permis de jouir de cette protection divine contre le regard malveillant et de connaître, lui et sa descendance, tous les bonheurs que l’on sait. ( Mihtav Meeliahou vol.4 p.6)

Chabat Chalom


Commentaires sur la Parachat Bamidbar

Apprendre à se connaître…

et découvrir son vrai rôle

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Par la description du recensement qui eut lieu dans le désert, nous avons la possibilité de comprendre le rôle du peuple juif et par-là, d’accéder à une connaissance plus intime de soi-même…

La première paracha du livre des Nombres, Bamidbar, que nous lisons cette semaine, débute par l’ordre divin de recenser le peuple d’Israël, dès son entrée dans le désert.

Un deuxième recensement, qui figure dans la paracha de Pinhas, aura lieu à la fin du périple dans le désert, après le fléau qui frappa la communauté d’Israël, conséquence de la faute d’une partie du peuple qui fut séduit par les filles de Moab.

Dans le Talmud et dans les Midrashim, le livre de Bamidbar est d’ailleurs appelé « Le livre des recensements » (‘Houmach hapekoudim).

Cela laisse supposer que pour nos maîtres, l’essence même du livre de Bamidbar réside dans cette notion.

Mais pourquoi accorder une place tellement importante à des procédures qui paraissent essentiellement techniques ?

Cela paraît d’autant plus étonnant que la Thora, si concise sur des sujets fondamentaux, s’attache à décrire en détail, au risque de se répéter, les chiffres de ce recensement. Ces chiffres sont cités pour chaque tribu, mais aussi pour les quatre camps qui se trouvaient autour du Tabernacle, et enfin pour le chiffre total de la communauté dans son ensemble.

L’emplacement des différentes tribus dans le campement et l’ordre divin adressé à chaque tribu de déployer des bannières, fait aussi l’objet d’une description détaillée.

Derrière ces procédures administratives, il semble donc que se cache un sens profond qui transcende la simple arithmétique.

A travers les écrits de nos Maîtres tentons de découvrir la signification véritable de ces recensements et de tirer ainsi des enseignements qui nous concernent dans notre propre génération.

Penchons-nous dans un premier temps sur l’aspect étymologique.

Double sens

Le mot « pekoudim », traduit généralement par « recensement », a un double sens.

En effet, « compter » est traduit en hébreu par « lispor », alors que le mot « pekoudim » est utilisé également pour définir une fonction.

Au début de la Méguila d’Esther (2 ; 3), le même terme est utilisé : « Yafked Hamele’h pekidim… » :

« Et que le Roi institue des fonctionnaires dans toutes les provinces de son royaume, chargés de rassembler toutes les jeunes filles vierges… »

Dans ce cas, on ne parle pas de recensement, ni de compte, mais de placer un homme dans une fonction.

Le recensement représentait aussi une investiture de chaque individu dans sa fonction particulière au sein de la communauté d’Israël, que ce soit dans le cadre de la famille, de la tribu ou du camp.

Dans son commentaire sur les deux versets 1 ; 3 et 1 ; 45 (Nombres), Na’hmanide exprime une idée similaire.

1 - « Le sens du terme « pekida » est « hachga’ha » : rappel de la providence, comme l’exprime le verset : ‘Or, l’Eternel s’était souvenu (pakad) de Sara, comme Il l’avait dit.’ » (Genèse 21 ; 1)

2 - « Celui qui venait se faire recenser par le père des prophètes et par son frère le Grand Prêtre, présentant son identité devant eux, avait un mérite de vie. Car Moïse et Aharon maîtrisaient le secret des âmes et de la collectivité ; par ce contact direct, chacun obtenait leur attention pour qu’ils intercèdent en leur faveur auprès de D.ieu, et les fassent jouir de la miséricorde divine. »

On le voit, ce recensement dépasse les contingences administratives et à ce sujet, il est intéressant de mentionner le Gaon de Vilna (Biour Hagra – Proverbes 16 ; 4)

D’après lui, le rôle du prophète n’est pas seulement de transmettre le message divin à la communauté : il lui incombe également de le faire pour chaque individu.

« Au moment où la prophétie était présente au sein d’Israël, chacun allait consulter le prophète, qui avait la capacité de discerner les aptitudes cachées de l’âme et de lui définir la mission particulière à remplir dans ce monde.

C’était une opportunité exceptionnelle, offerte à tous, de connaître sa mission et d’être suivi dans son accomplissement.

Et l’on sait, texte à l’appui, que cette opportunité était saisie par tous les Juifs, très régulièrement.

Au sujet de la Sunamite : « Elle manda son époux et lui dit : ‘Envoie-moi je te prie un serviteur avec une ânesse. Je cours chez l’homme de D.ieu (Elysée) et je reviens. »

Il répondit : « Pourquoi vas-tu chez lui aujourd’hui ? Il n’y a point de néoménie, point de fête. » (Rois 4 ; 22, 23)

On le voit, il était de coutume de se rendre chez le prophète à des occasions régulières.

Le recensement auprès de Moïse et d’Aaron comportait bien évidemment cet aspect fondamental : découvrir la mission de chaque individu dans sa vie personnelle et communautaire.

Il s’agit donc d’une véritable investiture, et là se trouve le sens véritable de cette « pekida »

L’arbre et les âmes

Pour bien comprendre l’enjeu de ce recensement, il nous faut situer la génération du désert (Dor hamidbar) dans son contexte historique.

Le Ram’hal, dans « Dére’h Hachem (partie 2, chapitre 4, paragraphe 5) nous donne des éléments précieux pour comprendre l’Histoire d’Israël.

« Les soixante myriades d’enfants d’Israël (une myriade représentant 10 000 personnes, il s’agit donc ici de 600 000 personnes), qui sont sorties d’Egypte représentent l’image finale de l’arbre d’Abraham et toutes les âmes du peuple d’Israël jusqu’à la fin des temps seront des émanations de ces 600 000 racines. »

Pour mieux comprendre ce texte, il faut davantage pénétrer la pensée du maître .

Après Adam, D.ieu a choisi l’âme qui allait « englober » toutes les âmes à venir du peuple élu. Et ce fut Avraham qui fut cet homme. A partir de lui, et jusqu’à Mathan Thora, se sont développées des « racines d’âmes ».

Après Mathan Thora, la révélation au mont Sinaï, ces 600 000 racines d’âmes vont donner naissance à toutes les âmes qui vont exister jusqu’à la fin des temps. Ces âmes à venir sont des émanations de ces âmes de départ, et ne sont pas des racines.

Rabbi Zadoc Hacohen de Lublin dans « Israël Kedochim » (chapitre 5), complète cette explication.

Il rapporte, au nom de ses maîtres, l’interprétation du verset :

« Ainsi devint-il roi de Yéchouroun, les chefs du peuple étant réunis, les tribus d’Israël unanimes. » (Deutéronome 33 ; 5)

« Quand on dit les chefs du peuple, il ne s’agit pas d’une partie de la communauté, mais de la génération du désert tout entière. La Thora les appelle tous des chefs de peuple, car tous les membres de cette génération (en fait, leurs âmes) seront par la suite les âmes des dirigeants des générations à venir. Car l’âme du plus simple des membres de cette génération sera réincarnée (guilgoul) dans l’âme d’un des dirigeants spirituels d’une des générations à venir.

Il n’y aura pas, et ce jusqu’à la fin des temps, de génération qui atteindra le niveau moral et spirituel des enfants d’Israël dans le désert. »

La lutte de l’esprit

Le périple dans le désert est présenté dans le Zohar (cf. Chem Michmouel Bamidbar année 5670) dans une perspective très particulière, qui va venir préciser le rôle des Juifs…

« Et aussi dans le désert où tu as vu l’Eternel. » (Deutéronome 1 ; 31).

Que signifie « Tu as vu ? »

C’est que l’Eternel a mené Israël vers le désert le plus aride de tous les déserts, comme il est écrit : « Qui t’a conduit à travers ce vaste et redoutable désert, plein de serpents venimeux et de scorpions… » (Deutéronome 8 ; 15)

Pourquoi une décision apparemment si cruelle ?

Au moment où le peuple juif sort d’Egypte, atteignant la dimension de nation, comptant soixante myriades, le royaume céleste s’est renforcé et déployé partout, la lune s’est éclairée et le royaume du mal s’est affaibli. C’est alors que D.ieu a mené Israël vers le désert, lieu où les forces du mal ont le plus d’emprise.

Elles sont sur leur terrain propre.

Le but était de briser cette emprise et d’affaiblir ces forces.

Le peuple juif « a vu » sa mission , mission très particulière, de la génération du désert dans son ensemble, qui consistait en une lutte de l’esprit d’une envergure et d’une importance sans précédent.

Même si nos maîtres ne nous ont dévoilé qu’un aperçu de cette lutte, les mots du Zohar sont évocateurs.

Au vu de l’enjeu de cette mission collective, nous pouvons mieux comprendre l’importance du rôle de chaque individu, et de ce fait, le sens profond de cette pekida.

Et c’est dans ce sens que nous devons comprendre l’ordre concernant les degalim, drapeaux ou bannières que devait arborer chaque tribu.

Un amour tout particulier

« Chacun sous sa bannière d’après les signes de la maison paternelle, ainsi camperont les enfants d’Israël » (Nombres 2 ; 1)

Le Midrash, au sujet de ce verset, se réfère à un autre verset, tiré des Psaumes :

« Nous allons célébrer Ta victoire, arborer comme un drapeau le Nom de notre D.ieu. » (20 ; 6)

C’est que D.ieu a mis Son Nom sur le nôtre, et nous a fixé des bannières, comme il est écrit « chacun sous sa bannière » (Nombres 2, 2) : « C’est un amour tout particulier que D.ieu a manifesté au peuple d’Israël en leur accordant des bannières, comme Il l’a fait pour les anges, afin qu’ils soient particularisés. »

« Il m’a conduite dans le cellier et sa bannière qu’il a étendue sur moi, c’est l’amour. » (Cantique des Cantiques 2 ; 4)

Lorsque D.ieu s’est révélé au Mont Sinaï, vingt-deux myriades d’anges sont descendues avec Lui.

Et chaque ange portait une bannière différente.

Lorsque le peuple d’Israël eut cette vision, il exprima le désir de posséder lui aussi des bannières… Et l’Eternel exauça leur désir, comme il est écrit : « chacun sous sa bannière »

Les Nations vont essayer de séduire le peuple d’Israël en lui disant : « Assimilez-vous, venez parmi nous, soyez comme nous et nous vous nommerons dirigeants, vous ferez partie de notre élite, de notre aristocratie. »

Alors, le peuple d’Israël leur répondra : « Quelle grandeur pouvez-vous nous apporter, comparée aux bannières que D.ieu nous a donné dans le désert ? » (Bamidbar Rabba 2, 4)

Mais pourquoi le peuple juif a-t-il ressenti le besoin de posséder des bannières, à quoi servent-elles, et pourquoi D.ieu leur accorda-t-Il ce mérite ?

Rabbi Yérou’ham, de Mir, comprend ce Midrash dans le même ordre d’idée que celui que nous avons développé plus haut.

Les anges sont ornés de bannières pour exprimer leur particularisme. La mission de chaque ange n’interférera jamais avec celle d’un autre. Chaque ange a été créé avec les aptitudes nécessaires à sa mission particulière, qui le singularise parmi les myriades d’autres anges.

C’est ainsi que l’on peut comprendre le sens des bannières que les tribus d’Israël arboraient dans le désert : ces drapeaux particularisaient chaque tribu en fonction de la mission spirituelle qui était la sienne.

C’est une notion tout à fait différente des autres nations du monde qui sont pourtant également représentées par des drapeaux.

Les drapeaux que les nations se sont choisis pour les symboliser ne sont qu’un élément matériel, technique, vide de sens. Ils font parfois référence à un événement historique ou un élément folklorique. Mais ils n’ont aucun sens spirituel.

A l’inverse, les degalim incarnent la marque divine qui fixe le rôle de chaque tribu d’Israël et la particularise au sein de la communauté.

« Je t’ai connu par ton nom… »

Le Sforno nous permet d’aller encore un peu plus loin dans cette idée grâce à son commentaire sur l’expression « dénombrement nominal » (Nombres 1 ; 2)

« Car chaque individu de cette génération était représenté par son nom, qui incarnait sa stature morale, car le niveau était très élevé. Comme il est écrit au sujet de Moïse : « Je t’ai connu par ton nom… » (Exode 33 ; 17)

Aujourd’hui, seules certaines personnes sont réellement représentées par leur nom.

Il en est ainsi des grands de notre génération.

Si l’on parle du Ben Ich Haï, du ‘Hafets ‘Haïm ou du ‘Hazon Ich, la simple évocation de leur nom nous impressionne et évoque leur grandeur, leur sagesse, leur particularisme.

A notre époque, seuls quelques géants ont ce mérite, mais au moment du périple dans le désert, chaque individu était placé à ce niveau.

Même si nous sommes très loin du niveau moral et de la mission qui était celle de la génération du désert, la Thora nous révèle, par ce récit, la valeur et la particularité de chaque membre du peuple d’Israël, et cela à tout jamais.

Cette idée est exprimée par le Ramhal dans « Le sentier de rectitude » (chapitre 1) : notre rôle à tous est de découvrir quel est notre devoir, chacun « dans son monde » (‘Hovato beolamo)

Car chacun possède son monde. Dans la mesure où notre mission ne peut interférer avec la mission d’un autre, on peut considérer que nous avons chacun notre monde.

Nous sommes les seuls à pouvoir accomplir la mission qui nous a été assigné par D.ieu.

Le Gaon de Vilna précise que, même si nous n’avons plus le mérite de pouvoir nous présenter devant le prophète, D.ieu nous a donné une chance immense pour découvrir notre mission sur terre :

Celui qui s’attache à l’étude de la Thora et à la pratique des mitsvoth avec sincérité pourra se découvrir et ressentir par lui-même quel est son rôle particulier, unique dans ce monde.

C’est, dans notre génération, l’opportunité de connaître la mission que nous devons accomplir. Notre tafkid, notre pekida.

Chabat Chalom