Chabat Parachat MATOT
26 JUILLET 2008 – 23 TAMOUZ 5768
Jérusalem | Paris | New York | |
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Allumage des bougies | 19.01 | 21.21 - 21.21 | 20.00 |
Sortie de Chabbath | 20.20 | 22.36 - 22.40 | 21.04 |
La colère maîtrisée
Par le Rav Eliahou Elkaïm
On pourrait penser que la colère, si elle est justifiée et modérée, est légitime. La Thora, qui seule connaît les secrets de l’âme, n’est pas de cet avis…
Les paroles de nos maîtres au sujet de la colère sont très nombreuses et particulièrement percutantes.
La colère n’est pas seulement prohibée à cause de ses conséquences dans les relations humaines, ou encore à cause des dommages sur la santé physique et morale de celui qui s’emporte.
Dans le Talmud, on trouve de nombreux textes qui relatent les dangers de la colère, et des châtiments divins qu’elle entraîne.
Et même si la colère ne fait pas partie des 613 interdits et commandements de la Thora, il est évident qu’elle est interdite par les enseignements de la loi orale qui nous ont dévoilé toutes les règles concernant les traits de caractère (midoth).
En voici quelques exemples :
« Rabbi Chimon ben Eléazar affirme au nom de Hilfa bar Igra (…) : ‘Quiconque déchire son vêtement sous l’effet de la colère, casse ses ustensiles dans son emportement ou dilapide ses pièces d’argent dans un accès d’humeur, qu’il soit à tes yeux comme un idolâtre’ » (Talmud Chabbath 105b)
« Rabbi Yonathan dit : ‘Toutes sortes de manifestations de la Géhenne s’abattent sur celui qui se met en colère comme il est écrit : ‘Chasse la colère de ton cœur et éloigne le malheur de ta chair’ (Ecclésiaste 11, 10).
Or le malheur dont le texte parle n’est autre que la Géhenne comme le précise un deuxième verset : ‘D.ieu a tout conçu dans un objectif spécifique. Même le méchant pour le jour du malheur’ (Proverbes 16 ; 4) » (Talmud Nédarim 22a).
« Rabba, fils de Rav Houna dit : ‘Aux yeux de celui qui s’emporte, même la Présence divine (chehina) n’a plus d’importance, comme il est écrit : ‘Avec son orgueil, le méchant ne s’inquiète de rien : Il n’est point de D.ieu’ » (Psaumes 10 ; 4).
Tous ces textes semblent se rapporter à celui qui a des accès de colère incontrôlés.
Mais la paracha de cette semaine nous permet de découvrir un aspect supplémentaire de la colère.
Dans notre paracha, on n’assiste pas à un emportement incontrôlé, ni même à des paroles très dures, mais seulement à un subtil sentiment de mécontentement…
En colère contre les officiers
D.ieu donne l’ordre à Moïse d’attaquer Midiane pour exercer la vengeance divine et celle des enfants d’Israël.
Moïse s’empresse d’accomplir son rôle.
Pourtant, D.ieu lui avait annoncé qu’immédiatement après avoir mené à bien sa mission, il devra quitter ce monde (Nombres 31-2).
Si Moïse avait retardé un temps soit peu cette attaque, il aurait d’autant prolongé ses jours. Mais au contraire, il s’empressa d’accomplir l’ordre divin.
Ce zèle tout à fait spécial est vu par nos maîtres (cf. Rachi Nombres 31 ; 3) comme une marque extraordinaire de soumission à la volonté divine.
Lorsque les enfants d’Israël reviennent de leur mission, qu’ils déclarent avoir mené à bien et dans laquelle il n’y eut miraculeusement aucune victime du côté juif, Moïse remarque que les femmes de Midiane ont été épargnées.
C’est une erreur très grave qui prouve que l’ordre divin n’a pas été compris.
« » (Nombres 31 ; 14-16). Moïse se mit en colère contre les officiers de l’armée, chiliarques et centurions, qui revenaient de l’expédition de guerre ;
et Moïse leur dit : ‘Quoi ! Vous avez laissé vivre toutes les femmes ? Voici, ce sont elles qui, sur la parole de Bilaam, ont porté les enfants d’Israël à trahir l’Eternel pour Baal Péôr, de sorte qu’il y eut un fléau dans la communauté de l’Eternel’
La réaction de Moïse semble parfaitement légitime, d’autant qu’il a lui-même pris tellement à cœur l’exécution de cet ordre divin, se sacrifiant au point de précipiter la date de sa mort.
Pourtant, deux textes de nos maîtres nous disent le contraire et critique la colère de Moïse.
« Reich Laquich affirme : ‘Tout homme qui se courrouce, s’il est sage, sa sagesse le quitte. S’il est prophète, son inspiration prophétique l’abandonne.
Comment savons-nous que la sagesse quitte l’homme sage ? Nous l’apprenons de Moïse, comme il est écrit :
‘Moïse se mit en colère contre les officiers de l’armée (…) Eléazar le prêtre dit aux soldats qui revenaient du combat : ‘Ceci (les lois de purification des ustensiles en métal) est une loi de la Thora que D.ieu a ordonné à Moïse.’ (Nombres 31 ; 14 – 31 ; 21).
Si Eléazar fut contraint de transmettre cette loi, c’est que Moïse l’avait oubliée à cause de sa colère ! » (Talmud Pessahim 66b).
Le reproche de Moïse
“Rav Houna dit : ‘A trois occasions, Moïse s’est mis en colère et à chaque fois, il a oublié une règle de la Thora. Au sujet de Chabbath (Exode 15 ; 2), de la purification des récipients impurs en métal, et d’une personne en deuil dans l’attente de l’inhumation de son défunt, onen (Midrach Vayikra Rabba 13 ; 1).
On le voit, la colère la plus justifiée fait perdre, même au plus grand des sages, une partie de sa sagesse et de son savoir.
Rabbi ‘Haïm Chmoulevitz (Sihot Moussar année 5733 p. 75) fait à ce sujet une remarque très intéressante.
Le dernier cas (onen), cité dans le Midrach, figure dans la Parachat Chemini (Lévitique 10 ; 16-20)
Il s’agit d’une loi concernant les offrandes (Korbanot), en l’occurrence le bouc expiatoire de la Néoménie (Rachi ibid.).
Les fils d’Aaron avaient brûlé les parties consommables du bouc qu’ils avaient sacrifié, alors qu’ils étaient en deuil, dans l’attente de l’inhumation d’un proche (onen), en l’occurrence leurs frères Nadab et Avihou.
Moïse leur en fait le reproche avant d’accepter finalement leur position.
D’après le Or Hahaïm (ibid.), le reproche de Moïse était dû au fait que ses neveux avaient fixé la règle par leur propre raisonnement alors que d’après la loi, ils étaient tenus de s’en référer à Moïse.
Car la Thora interdit formellement de trancher une loi (halakha) en présence de son Maître (moré horaa bifné rabbo).
L’âme atteinte
Pourtant, contrairement à la thèse du Or Hahaïm, le verset dit clairement que Moïse leur a adressé un reproche concernant l’acte lui-même, c’est-à-dire sur le fait d’avoir brûlé cette offrande qu’ils auraient dû consommer.
C’est d’ailleurs en considérant ce reproche que nos maîtres ont pu déduire que Moïse avait oublié cette loi (qu’ils avaient le droit de brûler l’offrande).
Moïse, bien évidemment, connaissait très bien cette halakha selon laquelle les fils d’Aaron étaient en droit de brûler l’offrande.
Mais dans la mesure où il s’est mis en colère sur le fait qu’ils aient arbitré seuls (reproche tout à fait justifié), il a oublié la loi sur l’offrande en état de deuil !
Il leur adresse donc un reproche sur ce manquement à cette loi.
On le voit, la colère, sous toutes ses formes, même les plus subtiles, est une impureté qui atteint l’âme.
Et lorsqu’il s’agit de la Connaissance et de la compréhension de la sagesse divine, la mémoire est touchée et devient inopérante.
Immédiatement, la sagesse quitte l’homme.
Même Moïse peut énoncer une règle erronée alors que quelques instants avant, il connaissait la loi parfaitement.
Evidemment, dans certaines situations, il est nécessaire de montrer son mécontentement devant des attitudes qui ne sont pas conformes à la Thora et à la morale.
Mais ce doit seulement être une expression extérieure, que l’on appelle kaas hapanim, une colère simulée, qui n’exprime en rien des sentiments intérieurs.
Nos maîtres prennent à la lettre ces enseignements et un témoignage concernant Rabbi Israël Salenter l’illustre parfaitement.
« Lorsque Rabbi Israël Salenter s’installa à Berlin, de nombreux voyageurs en provenance de Russie et de Pologne, venaient lui rendre visite. Qui pour avoir le plaisir de le rencontrer, qui pour recueillir sa bénédiction ou ses conseils.
Un jour, en entrant dans sa chambre, le Rav Herman le trouva fort déprimé.
Quand il demanda à Rabbi Israël les raisons de sa mine affligée, ce dernier lui expliqua que deux Juifs de sa ville –Kovno-, venus lui rendre visite, lui avaient appris que l’on allait introduire certains changements dans son centre d’étude, et qu’il pensait que ce n’était pas une bonne chose.
Rav Herman s’étonna : Y a-t-il là de quoi concevoir une telle tristesse ?
- Non, répondit Rabbi Israël, mais cette information m’a inspiré une certaine colère.
- Notre maître aurait-il prononcé des paroles humiliantes à l’égard de ses visiteurs ?
- Que D.ieu m’en préserve, s’exclama Rabbi Israël. Nul autre que moi ne s’en est aperçu.
- Dans ces conditions, qu’est-ce qui afflige tant votre cœur ?
- S’emporter revient à servir des idoles, et toutes sortes de Géhennes s’abattent sur celui qui cède à cette propension… » (Tenouat Hamoussar)
On le voit, nos maîtres apportent une attention draconienne à ne pas se mettre en colère, même si cette colère est imperceptible ou justifiée.
En gardant en tête l’exemple de Rabbi Israël, peut-être pourrons-nous parvenir à moins nous emporter…