ChabatParachat PINHAS
19 JUILLET 2008 – 16 TAMOUZ 5768
Jérusalem | Paris-Bruxelles | New York | |
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Allumage des bougies | 19.04 | 21.29 - 21.29 | 20.06 |
Sortie de Chabbath | 20.25 | 22.46 - 22.52 | 21.11 |
Motivations profondes
Par le Rav Eliahou Elkaïm
L’acte de Pin’has a provoqué une grave polémique au sein du peuple juif. Seule la Thora, qui connaît les secrets de la nature humaine peut nous révéler la vérité sur cet événement.
Notre paracha commence par les paroles de D.ieu adressées à Moïse au sujet de Pin’has :
« Pin’has, fils d’Eléazar, fils d’Aaron le prêtre, a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël, en assouvissant ma vengeance au milieu d’eux, de sorte que Je n’ai pas anéanti les enfants d’Israël dans mon indignation.
C’est pourquoi tu annonceras que Je lui accorde mon alliance de la paix. Elle sera pour lui et sa postérité après lui, une alliance d’un sacerdoce perpétuel, par ce qu’il a été zélé pour son D.ieu et qu’il a fait expiation sur les enfants d’Israël. » (Nombres 25-10 ; 13)
La Thora cite ensuite les noms de ceux que Pin’has a puni. Il s’agit de Zimri, l’un des princes de la tribu de Siméon, et de Kozbi, princesse madianite.
Le récit de l’acte de Pin’has se trouve à la fin de la parachat Balak : il s’agit de l’exécution de Kozbi et de Zimri, acte qui ne peut être compris qu’à la lumière des enseignement de nos sages.
« Cependant, quelqu’un des Israélites s’avança, amenant parmi ses frères la madianite à la vue de Moïse et de toute la communauté des enfants d’Israël, et ils pleuraient au seuil de la Tente d’assignation.
Pin’has, fils d’Eléazar, fils d’Aaron le prêtre, se leva au milieu de la communauté, arma sa main d’une lance, entra sur les pas de l’Israélite dans la tente et les perça tous deux, l’Israélite puis la femme au bas-ventre ;
Et le fléau cessa parmi les enfants d’Israël. » (Nombres 25-6 ; 8).
Seules les précisions des maîtres du Talmud et les Midrachim afférents à cet épisode vont nous permettre de comprendre cet acte.
Débauche et idolâtrie
Il faut d’abord comprendre que Zimri n’était pas un faible qui a succombé à la tentation des filles de Midiane.
Quel était le but de ces femmes ? Amener le peuple juif à devenir idolâtre, en séduisant, par tous les moyens, les hommes juifs.
Quand ces derniers étaient sur le point de succomber à la débauche, elles leur demandaient de se prosterner devant leur idole, le Baal Péôr. Pour parvenir à leur fin, elles utilisaient les moyens les plus vils et les plus pernicieux, en utilisant tous les stratagèmes possibles.
Un grand nombre de Juifs succombèrent, nombreux d’entre eux faisant partie de la tribu de Siméon. Lorsque Moïse prit la décision de les juger et qu’ils risquèrent la mort pour idolâtrie, ils vinrent trouver Zimri, l’un de leurs princes, pour exiger son intervention.
Ce dernier, plutôt que de demander le pardon à Moïse pour ses frères, se rendit avec eux chez Kozbi, princesse madianite.
Contrairement aux autres filles de Moab, cette princesse n’utilisait pas de stratagèmes. Elle avait reçu l’ordre de n’accepter les offres que du plus grand des enfants d’Israël, Moïse.
C’est d’ailleurs ce qu’elle expliqua à Zimri quand il se présenta à elle.
Ce dernier lui répliqua qu’il était un homme plus important que Moïse, dans la mesure où il était prince de Siméon, qui était plus âgé que Lévy, ancêtre de Moïse.
Alors seulement, Kozbi accepte les avances de Zimri (Talmud Sanhédrin 82b).
On le voit, l’acte de Zimri est tout à fait réfléchi. Comment comprendre qu’un homme de cette stature, prince d’une tribu d’Israël, ait pu choisir de son propre gré la débauche ?
D’autant qu’il double sa bassesse d’une grande insolence.
Après avoir convaincu Kozbi, il vint se présenter, avec elle, devant Moïse lui-même, pour lui poser cette question :
« Cette femme est-elle permise ou interdite ? Si vous l’interdisez, qui a décrété Tzipora permise ? »
On le sait, Tzipora était l’épouse de Moïse, et elle était de Midian, étant la fille de Yitro. Moïse l’avait épousé avant Matan Thora, époque à laquelle l’interdiction d’épouser une araméenne n’avait pas été promulguée. Par la suite, elle fut convertie en bonne et due forme.
Insolence à peine croyable. La réaction de Moïse et des chefs du peuple est tout aussi incompréhensible : plutôt que punir cette insolence et cette débauche insupportable, ils pleurent.
Voix céleste
Autre élément étrange, la réaction des plus grands du peuple, et même des anges face à l’acte de Pin’has.
Pin’has vint d’abord rappeler à Moïse son propre enseignement, quand il descendit du Mont Sinaï : « Celui qui s’unit avec une Araméenne, les zélateurs (kanaïm) doivent l’abattre. »
Il obtint l’accord de Moïse pour exécuter cette loi.
A la suite de son acte, le fléau de l’idolâtrie, qui touchait le peuple juif, cessa.
Pourtant, les dirigeants, et même les anges, eurent une réaction tout à fait négative.
Le Talmud raconte que les anges ont voulu « bousculer » Pin’has après son acte.
C’est D.ieu Lui-même qui les en a empêché en leur expliquant la teneur véritable de l’acte de Pin’has.
Ensuite, les tribus d’Israël l’ont vivement critiqué : « Regardez ce fils de Pouti, dont le grand-père maternel a engraissé des veaux pour les idoles, voici qu’il a tué un prince de tribu en Israël. (Talmud Sanhédrin 82).
Le Talmud de Jérusalem (Sanhédrin 9 ; 7) ajoute qu’ils voulurent le mettre en anathème (nidouï) quand une voix céleste déclara qu’il jouirait de l’alliance éternelle de D.ieu.
En fait pour comprendre toutes ces réactions étranges, il faut savoir que Zimri avait, en réalité, des intentions pures. C’est en toute sincérité qu’il a cru pouvoir, par son union avec Kozbi, rattacher le peuple de Midian à la sainteté (kedoucha).
Le Chem Michmouel cite à ce sujet deux textes qui confirment cette vision des choses.
Plus grand que Moïse
Le premier est un passage du Talmud (Nazir 23b) :
« Oula dit : ‘Tamar a eu une attitude de débauche, et Zimri également.
Mais de Tamar, sont issus des rois et des prophètes, Zimri n’a réussi qu’à faire succomber des myriades d’enfants d’Israël.’ »
Le Talmud met l’accent sur la ressemblance entre les actes de Tamar et de Zimri, qui étaient tous les deux animés d’intentions pures (cf. Dvar Thora parachat Vayéhi 5763).
Ce n’est qu’en prenant en compte cette pureté et cette volonté de faire le bien pour élever les midianites, que l’on peut comprendre la question de Zimri qui demande en quoi Kozbi est diffèrent de Tsipora.
Le deuxième texte nous vient du Zohar (190a) :
« Kozbi a été ensorcelée, par ceux qui l’ont envoyé, pour prendre le pouvoir sur les grands d’Israël, en utilisant les forces du mal. »
Pour que Zimri puisse agir comme Tamar dans une pureté parfaite. Pour ne pas être touché par ses influences négatives, parvenir à les dompter et ramener Kozbi à la sainteté, il aurait fallu que Zimri ait une attitude sans faille.
Malheureusement, quand il dit à Kozbi qu’il était plus grand que Moïse, il perdit toutes ses chances de réussite. Car cette vanité lui fut fatale : il succomba aux forces du mal (touma) de Kozbi.
Quoiqu’il en soit, ces éléments ont échappé aux dirigeants d’Israël et aux anges et ils ont pensé que Pin’has n’avait pas bien agit. Ils ont estimé que ce descendant d’idolâtres n’aurait pas dû se permettre de juger un homme de la stature de Zimri.
Pour cette raison, ils méritaient l’anathème (nidouï).
L’auteur du Méoré Chéarim ajoute un élément pour comprendre cette discussion
Entre D.ieu et les tribus d’Israël.
On l’a vu, les tribus insistent sur l’ascendance de Pin’has, dont l’un des ancêtres était Poutiel, qui engraissa des veaux pour les sacrifier aux idoles.
De son côté, D.ieu met en relief sa parenté avec Aaron.
Quel est le sens de cette discussion ?
Recherche de vérité
Pour comprendre la raison de cette divergence de point de vue, il nous faut d’abord comprendre le niveau spirituel extraordinaire des Juifs de cette époque.
Car de nos jours, nos ambitions spirituelles n’ont aucun rapport avec ce que pouvaient être celles de nos ancêtres.
Pour eux, la quête de D.ieu, la recherche de vérité et la réalisation du Bien sur terre étaient des objectifs primordiaux.
Pour preuve ce texte du Talmud (Yoma 22 ; 23) qui, parce qu’il nous semble relater un événement cruel et presque monstrueux, nous montre le fossé qui nous sépare de nos ancêtres, si proches de D.ieu.
Ce texte du Talmud raconte qu’à l’époque du Premier Temple, la cendre de l’autel pouvait être ramassée par le prêtre qui le souhaitait, ce que l’on appelle terouma hadechen.
Quand il y avait plusieurs candidats pour cette œuvre sainte, celui qui arrivait le premier devant l’autel était choisi.
Un jour, deux jeunes prêtres se précipitèrent. Lorsque l’un deux s’aperçut que l’autre allait arriver le premier, il lui planta un couteau dans le cœur, acte répréhensible et très grave, même dans ce contexte.
Après ce terrible drame, les Sages décidèrent de tirer au sort le prêtre qui accomplirait le service divin.
Mais l’histoire de cette ambition spirituelle ne s’arrête pas là.
En effet, le père de la victime, arrivé sur les lieux du drame alors que son fils agonisait, demanda que l’on sorte le couteau pendant que son fils était encore en vie.
Pourquoi une telle demande ? Pour éviter que le couteau, qui était un objet sacré (kli chéret) ne devienne impur au contact d’un mort.
Le Talmud se pose alors une question essentielle : cette réaction prouve-t-elle un respect fantastique pour les objets sacrés ou au contraire une indifférence presque monstrueuse pour le sang versé ? Le Talmud reste sur la question.
Question difficile car tout acte qui sort de l’ordinaire est difficilement compréhensible et peut donc avoir des interprétations totalement différentes.
Il en est de même pour l’acte de Pin’has. Les tribus d’Israël ont pensé que cet acte qui sort de l’ordinaire n’était pas dû à son amour de la vérité et de la justice, mais à des pulsions dont il avait hérité de ses origines maternelles païennes.
Et même les anges ont pensé ainsi.
Seul D.ieu peut leur révéler les intentions de Pin’has, en rattachant ce dernier à son ascendance glorieuse, celle d’Aaron, homme de paix.
Cette attitude de Pin’has, tout comme celle du père du prêtre assassiné, parce que nous avons du mal à les comprendre, doivent justement nous faire prendre conscience du décalage entre notre conception profonde du spirituel et la conscience du divin que pouvait avoir nos ancêtres…